Mark Carney est au sommet de l’OTAN à la Haye et il a droppé une bombe (badoum tschhh!) aujourd’hui. Il a annoncé, bien relax, que le Canada atteindrait la cible de 5 % du PIB en dépenses militaires d’ici 2035.
Analysons tout ça. J’arrondis certains chiffres pour alléger la lecture. Long article parce que, ben oui, j’aime ça les patentes militaires.
Premièrement, il faut mettre un chiffre là-dessus parce qu’un pourcentage du PIB, ça ne dit pas grand-chose. En 2024, le PIB du Canada était estimé à un peu plus de 3 000 milliards canadiens. Les dépenses militaires, elles, s’élevaient environ à 40 milliards, pour environ 1,37 % du PIB.
Si on tombe dans les pronostics, on peut estimer plus ou moins la croissance du PIB réel (c’est à dire, une fois qu’on enlève l’inflation cible de 2 %) à environ 1,5 % par année. Si on projette à 2035, donc 11 ans plus tard que 2025, on peut arrondir le PIB à plus ou moins 4 900 milliards.
L’accord de l’OTAN prévoit que la cible de 5 % du PIB soit ventilée en deux cibles sous-jacentes.
On vise 3,5 % en dépenses militaires pures, donc des soldats, des tanks, des balles et des bombes.
L’autre 1,5 % est destiné aux « infrastructures critiques, des réseaux et au renforcement de la base industrielle », par exemple tout ce qui touche la chaine logistique militaire, des radars, des ports en eaux profondes ou, évidemment, la capacité de produire des armes.
Maintenant, si on veut atteindre le 5 % cible promis par Mark-coudes-en-l’air, il faudrait augmenter les dépenses militaires à la somme astronomique de 250 milliards par année en dollars canadiens. Les médias ont rapporté le chiffre de 150 milliards aujourd’hui, mais c’est seulement la portion « armée » et ça n’inclut pas la portion « infrastructures ».
Cette cible, c’est 210 milliards de plus qu’aujourd’hui, une augmentation de 525 %. Vous avez bien lu. C’est tellement absurde que je doute bien fort que Carney ait vraiment envisagé que ce soit une possibilité pour vrai.
Comprenons-nous bien, s’il y a bien quelqu’un qui milite pour financer l’armée sur le sens des planches depuis des années, c’est bien moi. Après 10 années de marguerite au canon de Trudeau, on part de loin et les besoins sont critiques et nombreux. En ce moment, on n’a même pas assez de soldats et d’armes pour participer (pas mener seul là, juste participer) à une opération militaire d’envergure.
Ça fait dur, et ce n’est pas la faute des femmes et des hommes en uniformes, loin de là.
Par contre, là où on fait fausse route pour l’instant, c’est dans la stratégie globale de notre armée. On a encore la lubie de vouloir avoir tout en notre possession pour mener la guerre comme si un scénario pouvait nous amener à nous battre en solo. Jamais le Canada ne pourrait se faire attaquer sans support du reste de l’OTAN et particulièrement des États-Unis, même sous Trump. Ça ne sert à rien d’essayer de tout prévoir alors que ça n’arrivera pas.
On n’aura jamais le budget pour avoir une armée qui fait de nous une puissance mondiale de toute façon. Outre le fait que ce n’est pas dans notre culture de conquérir, on n’aura pas la capacité de projeter de la force en solo l’autre bord d’un des océans. Ça ne sert donc à rien de tenter d’avoir une armée aussi complète et versatile que les États-Unis ou la Chine.
J’aimerais entendre mes amis soldats ou vétérans là-dessus, mais je crois qu’on devrait plutôt viser à devenir une armée-boutique surspécialisée dans certains éléments clés. Par exemple, on pourrait avoir les meilleures forces spéciales, des systèmes anti-aériens imbattables, des tonnes de brise-glaces polaires ou une flotte imposante de jets intercepteurs.
Le but est de viser certains créneaux et tenter de devenir les meilleurs dans ça au monde. Le reste, on se fait compléter par l’OTAN où chaque pays ferait de même, avec les États-Unis comme grand parapluie tous azimuts. Ce serait, là, une vraie stratégie d’alliance et pas seulement une course à la quincaillerie.
Oubliez les sous-marins ou les navires d’attaque, laissez-faire les hélicos de combat ou les milliers de chars Leopard qu’on pourrait être tentés d’acheter. Devenons un avantage comparatif ambulant dans des domaines spécifiques.
C’est un autre point ça d’ailleurs. Comme on ne produit pas grand-chose de significatif ici, on devra forcément acheter les gréements des autres pays. Ça veut dire des dizaines de milliards qui s’en vont ailleurs au lieu de faire tourner l’économie ici.
Oui, il y a une volonté nouvelle de développer notre complexe militaro-industriel depuis quelques mois, mais y’a de l’ouvrage. En plus d’être contestés sur le plan idéologique par une minorité bruyante, ce sont des industries énergivores et qui sont difficiles à démarrer sans investissement massif du gouvernement.
On pourrait par contre faire de la recherche et développement canadien, comme à l’époque du programme Avro Arrow qui a connu une fin controversée. Le Canada est capable de développer ses propres technologies de pointe dans certains domaines précis. Ça, ça aiderait pour vrai l’Alliance en plus de garder l’argent ici.
Enfin bref, gardez en tête qu’on est 40 millions de personnes au Canada en ce moment. Mettons que je lance le chiffre en l’air qu’on sera 45 millions en 2035, la cible de 5 % du PIB sera une grosse bouchée de gâteau à manger.
En fait, on parle d’une facture additionnelle moyenne par personne de 4 700 $ pour passer du budget actuel à la cible.
Certains diront qu’on fera seulement déplacer des chiffres dans le budget existant et pas l’additionner. Je répondrai que le jour où le gouvernement fédéral va couper des dépenses sociales pour financer l’armée est aussi probable que de voir Poutine et Zelenskyy frencher à CNN.