Dans un affrontement télévisuel révélateur diffusé à Tout le monde en parle, Pierre Poilievre et Mark Carney ont offert aux Québécois deux visions distinctes pour l’avenir du Canada. Alors que la campagne électorale entre dans sa phase finale, ces entrevues ont mis en lumière des contrastes saisissants entre les deux chefs, tant dans leur style que dans leur substance.
Poilievre : franc-parler et vision claire
Le chef conservateur a surpris par son aisance en français et sa capacité à articuler une vision cohérente pour le pays. Lorsque Guy A. Lepage lui a demandé s’il s’ennuyait de Justin Trudeau maintenant que son avance dans les sondages avait fondu, Poilievre a répondu avec humour : « J’aurais jamais dit auparavant que Justin Trudeau me manque, mais… ».
Sur la question de sa ressemblance présumée avec Donald Trump, où on lui demande : « Est-ce que vous êtes un mini-Trump? Un moyen Trump, un grand Trump? ». Poilievre répond en traçant une ligne claire : « J’ai 180 livres, à peu près. Donc, non, rien du tout. J’ai une histoire complètement différente. Lui, il vient d’une origine très riche, famille millionnaire. Moi, je suis né d’une mère monoparentale avec deux enseignants comme parents qui m’ont donné une origine modeste ».
Cette origine modeste est revenue comme un thème central de son discours, notamment quand il a évoqué sa « raison d’être en politique » : « donner à la future génération les mêmes opportunités que j’avais comme jeune Canadien ».
La « promesse du Canada » selon Poilievre
Le chef conservateur a défini sa vision politique autour du concept de la « promesse du Canada », qu’il distingue du rêve américain : « Aux États-Unis, c’est difficile de commencer en bas et aller en haut. Il y a une division entre les différentes classes de richesse. Ce que j’aime du Canada, c’est mieux que le rêve américain, c’est la promesse. C’est comme un contrat. Travaillez fort, vous allez avoir une belle vie. Vous allez avoir une école publique pour vos jeunes. Vous allez avoir la santé publique pour vous protéger dans le cas de blessures. Mais si vous travaillez fort, vous pouvez avoir n’importe quoi dans ce pays. ».
Sur la crise du logement, Poilievre a proposé des solutions concrètes : « Accélérer la construction des appartements. La raison pour laquelle le loyer a triplé à Montréal et doublé à travers le Canada, c’est parce qu’on a les pires attentes pour avoir un permis de construction et des frais les plus élevés presque dans le monde. » Il dénonce le fait que « ça prend trois fois plus longtemps d’avoir un permis de construction pour un appartement ».
Je vais inciter les municipalités d’accélérer les permis, de réduire les frais de construction et je vais payer la moitié des frais si la municipalité réduit ses taxes de construction pour qu’on puisse accélérer la construction et l’offre des appartements pour que ce soit encore plus abordable.
Pierre Poilievre, chef du Parti Conservateur du Canada
Carney : évasif et contradictoire
En contraste, Mark Carney a souvent évité de répondre directement aux questions, préférant des généralités. Quand Guy A. Lepage lui a demandé pourquoi il soutiendrait une contestation de la loi 96 sur la protection du français, Carney a tenté de contourner la question : « Il faut protéger, renforcer et promouvoir la langue française au Québec. C’est en déclin, il y a des menaces partout. Je partage ça absolument ».
Mais lorsque pressé davantage, il a finalement révélé que son opposition concernait « l’utilisation péremptoire de clause nonobstant », une position qui pourrait inquiéter les défenseurs de l’autonomie québécoise.
Sur la question des paradis fiscaux, alors que Carney a lui-même travaillé pour une entreprise utilisant ces structures, sa réponse a été particulièrement évasive : « Je suis fier de ma carrière dans le secteur privé et c’est utile pour le moment maintenant », avant de défendre ces pratiques comme bénéfiques pour « des retraités, des enseignants, des gendarmes qui travaillent ici au Canada ».
Contradictions sur l’énergie et l’environnement
Les positions de Carney sur l’énergie et l’environnement ont révélé d’importantes contradictions. D’un côté, il affirme vouloir faire du Canada une « superpuissance énergétique » en développant le pétrole et le gaz, de l’autre, il se présente comme un champion de la lutte contre les changements climatiques : « J’ai travaillé pour les Nations unies en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique jusqu’au début de janvier ».
Quand Lepage lui a fait remarquer que construire un pipeline transcanadien prendrait du temps, Carney a répondu vaguement : « Ça prend du temps et c’est une décision… Comme j’ai dit au début, nous sommes dans une crise, il faut agir, il faut choisir quelques projets, quelques grands projets, pas nécessairement des pipelines, mais peut-être des pipelines. On verra ».
Radio-Canada : une ligne de fracture révélatrice
Un moment particulièrement révélateur est survenu lorsque les deux chefs ont été interrogés sur l’avenir de Radio-Canada. Alors que Carney est resté vague, Poilievre a surpris en défendant clairement le diffuseur public francophone : « Pour CBC, c’est basé sur le principe qu’il y a beaucoup d’informations fournies déjà en anglais. Ce n’est pas le cas en français. C’est pour ça que je vais protéger le financement pour Radio-Canada ».
Il a même partagé une anecdote personnelle : « Quand j’étais jeune, à Calgary, mon père m’a enseigné un peu le français pendant mon enfance. Je l’ai perdu, mais j’ai essayé d’écouter les nouvelles en français. La seule façon de le faire à Calgary, c’est Radio-Canada ».
Un test culturel révélateur
Lorsque Guy A. Lepage a testé les connaissances de Carney sur la culture québécoise, lui demandant de nommer « une chanteuse, une ville, une caractéristique, un fromage, n’importe quoi », le chef libéral a peiné à répondre, pour finalement répondre après plus de 35 secondes : « Cœur de pirate ».
Cette méconnaissance apparente de la culture québécoise s’ajoute à d’autres gaffes mentionnées durant l’entrevue, comme lorsqu’il a confondu le drame de Polytechnique avec celui de Concordia en présentant une candidate survivante.
Conclusion : deux styles, deux visions
Ces entrevues ont mis en lumière deux approches distinctes : d’un côté, Poilievre a présenté une vision claire, ancrée dans son histoire personnelle et des propositions concrètes ; de l’autre, Carney a souvent navigué dans les généralités, évitant les réponses directes aux questions délicates.
Alors que les élections approchent, les Québécois et tous les Canadiens devront choisir entre ces deux styles de leadership. Comme l’a dit Poilievre lui-même : « La décision sera prise en deux semaines et les gens vont devoir décider s’ils veulent un changement ».