L’Obsession Étatiste du Vouvoiement : Un Symptôme de l’Échec Éducatif Québécois
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Québec n’a pas de grippe, il a carrément la pneumonie dans les écoles publiques. Entre un taux de décrochage de 24 % au secondaire régulier (soit trois fois plus élevé que dans les filières sélectives) et un absentéisme en forte hausse (10 % des élèves manquent l’école début avril, un quasi-doublement en un mois), la situation est explosive. À cela s’ajoute un manque abyssal de personnel : plus de 5000 postes (enseignants, professionnels et soutien) sont vacants, soit 3,4 % des effectifs scolaires. Dans ce climat de pénurie et de « chantiers » (inclusion mal financée, classes surchargées, services psychologues inexistants), même les directions d’école tirent la sonnette d’alarme : elles sont débordées et « surchargées », aux dires des syndicats locaux. Bref, on a l’impression que le navire coule… et que le capitaine décide de repeindre la coque plutôt que de colmater la brèche.
Un projet de loi sur le civisme… par décret
En plein naufrage éducatif, que fait le gouvernement? Il décrète que, dès janvier 2026, tous les élèves devront vouvoyer les enseignants (dire « Monsieur/Madame » partout, tout le temps). Une idée de génie, vraiment. Ce n’est pas un gag : le ministre de l’Éducation Bernard Drainville l’a annoncé pour « ramener une culture du civisme à l’école », après une proposition de la CAQ. Projet de loi, circulaire, on envoie des consignes dans les écoles. Mais au lieu de demander aux élèves d’apprendre par cœur le vouvoiement, ne serait-il pas plus honnête de leur apprendre d’abord à être respectueux? Comme l’explique le Journal de Québec, l’imposition du vouvoiement est une lubie ministérielle qui ne résoudra pas les vrais problèmes.
Des professeurs-chercheurs l’ont déjà dit sans détour. Mélanie Dumouchel (UQAM) assène : « Le respect ne tient pas au vouvoiement. » Plus lapidaire encore, la sociolinguiste Alexandra Dupuy résume : « Pas du tout. Il y a d’autres mesures qui devraient d’abord être envisagées. » Autrement dit, leur avis de spécialistes est clair : ajouter une règle de plus — une qui ne repose sur aucune étude sérieuse — ne changera rien au climat de classe. Imagine-t-on vraiment que des adolescents turbulents seront soudain transformés en chevaliers civilisés parce qu’on leur aura appris à dire « vous »?
Le respect, ça se construit en classe, pas en Haut lieu
Le plus cocasse dans cette histoire, c’est qu’on tente de centraliser un truc qui est par essence local. Le civisme et la politesse se forgent dans la cour d’école, pas à coup de décret ministériel. À Montréal, la présidente des directions soulignait qu’il faut « une discussion de tous les intervenants, impliquant les parents, pour trouver des solutions » contre l’absentéisme. Comprenez : c’est au lycée, avec les enseignants, les parents et la communauté, qu’on règle les questions de discipline et de respect. Le Ministère ferait bien de suivre ce conseil au lieu de gaspiller son temps à pondre des circulaires inutiles.
Sur le fond, c’est une question de subsidiarité. Comme le rappelait récemment l’Institut des Libertés, « l’État n’a pas pour rôle d’organiser le service d’éducation, mais, avec le principe de subsidiarité, il doit donner aux acteurs les moyens de l’organiser ». En clair : ce sont les écoles, les directions et les enseignants qui devraient être habilités à fixer les règles de vie scolaire — et non pas un bureaucrate à Québec. L’école, jusqu’à preuve du contraire, n’est pas une caserne militaire ni une base de l’Oncle Sam, mais un milieu d’apprentissage coopératif. Faire confiance aux intervenants de terrain (et donc aux élèves et aux parents) est précisément ce qu’enseigne l’exemple scandinave que l’on nous vante tant.
20 ans de réformes abracadabrantes
Le fou rire épidermique serait complet si ce nouveau décret n’était pas aussi révélateur d’une gestion ministérielle affligeante. Sur deux décennies, le système scolaire québécois a subi son lot de réformes hâtives et de solutions gadget, le tout saupoudré de zèle bureaucratique. On promet monts et merveilles (parfois des projets coûteux, comme les nouveaux cours obligatoires sur l’histoire des religions, l’évaluation bisannuelle des profs ou la refonte des parcours, etc.) et on obtient souvent un bel effet d’affichage — alors que la réalité se dégrade.
Citons quelques clichés récents : par exemple, on crée des programmes « particuliers » en art ou sport pour attirer les meilleurs élèves, laissant derrière eux un parcours régulier martyrisé — situation qualifiée de « ségrégation scolaire » par des députés inquiets. Autre joyeuseté : on découvre qu’au moment même où on réfléchit à la discipline en classe, le ministère ignore son nombre d’écoles religieuses subventionnées — comme si on répartissait un gâteau sans savoir combien de parts le ministère a servies.
Plus cocasse encore, dans Charlevoix une syndicaliste alerte sur l’absurdité d’une autre mesure : le nouveau plan d’évaluer les enseignants « tous les deux ans » est selon elle « techniquement impossible » parce que les directions d’école sont surchargées. Son message pourrait s’adresser à Québec : « On n’a pas besoin d’en rajouter », affirme Monique Brassard. C’est exactement le genre de casse-tête bureaucratique qui nous pend au nez lorsque l’on additionne réformes sur réformes sans jamais alléger le fardeau des profs. L’autonomie pédagogique est ainsi sacrifiée à coups de circonvolutions administratives, suscitant le découragement du personnel enseignant.
À ce palmarès surréaliste s’ajoutent les décrets déjà votés par monsieur Drainville : comme l’interdiction des téléphones portables en classe (on apprend le numérique… en leur retirant le numérique) ou la mode du « procurez-vous le vouvoiement avant la rentrée ». On a connu un service public encore plus pressé d’imprimer des règlements pour régenter tout et n’importe quoi. L’État-nounou, comme disent les libertariens, déroule le papier et promet monts et merveilles pendant que les vraies priorités demeurent à l’abandon.
Scandinaves : confiance, autonomie et résultats
Pendant ce temps-là, dans les pays nordiques tant admirés, on donne plutôt des moyens aux écoles et on fait confiance aux enseignants. En Finlande, par exemple, il n’existe ni inspecteurs ni contrôleurs qui tournent la loupe sur chaque classe : on attend des directeurs qu’ils soutiennent leurs équipes plutôt que de les surveiller, « accordant leur confiance aux enseignants et les orientant, au lieu de les contrôler ». C’est l’inverse exact de la logorrhée bureaucratique que nous subissons : là-bas, l’enseignant est un expert auquel on confie les clés de la classe, pas un enfant chapeauté par une administration tatillonne.
Résultat des courses? Les élèves scandinaves figurent parmi les plus performants au monde. La Finlande surpasse régulièrement la moyenne de l’OCDE en mathématiques, en lecture et en sciences. Le Danemark affiche 80 % d’élèves atteignant le niveau de compétence de base en mathématiques (contre 69 % en moyenne OCDE) et 81 % en lecture (contre 74 %). Ces performances sont obtenues non pas grâce à des petits papiers officiels, mais grâce à une culture de la confiance et de la responsabilité locale. Subsidiarité en action : on laisse les écoles décider pour leur monde. Aucun besoin de vouvoyer à tout vent pour qu’un système fonctionne bien… si on lui donne d’abord les ressources, la liberté d’agir et le respect des professionnels.
Sauver l’école par la liberté locale
À l’analyse, l’obsession du vouvoiement relève d’une vision policière du respect, digne d’une autre époque. Cette solution de facilité nie la complexité des enjeux : lorsque l’enseignant est enseveli sous la paperasse et que la moitié des élèves décrochent, réclamer des « Monsieur/Madame » relève du pansement sur jambe de bois. Le problème du respect et du civisme à l’école se règlera sur le plan local — par l’exemple des parents à la maison, l’encadrement des directions et l’autorité des profs — et non par un décret ministériel de plus. En somme, la seule réforme vraiment utile serait de redonner plus d’autonomie et de pouvoirs aux écoles elles-mêmes.
Les libertariens auront beau jeu de rappeler que la subsidiarité n’est pas un gros mot : c’est tout simplement le principe de déléguer la responsabilité à ceux qui vivent la réalité de près. Si l’on se souciait vraiment de respect et de résultats, on entreprendrait plutôt de réduire la bureaucratie inutile, d’alléger la paperasse des enseignants et d’investir dans la formation (pour qu’ils sachent de quoi ils parlent en matière de civisme!) — au lieu de polir les bancs publics en érigeant des lois sur les salutations.
Au final, imposer le vouvoiement ressemble furieusement à une fausse bonne idée : c’est un écran de fumée pour faire croire qu’on agit pendant que le bateau coule. Si le ministère veut vraiment « redonner du pouvoir aux profs », il ferait mieux de les écouter quand ils disent qu’ils sont déjà « surchargés » et démoralisés, plutôt que de leur imposer un plan de civisme à l’emporte-pièce. En attendant, le Québec s’apprête à démarrer 2026 en vouvoyant ses élèves — comme s’il prétendait régler un ouragan à l’aide d’un soufflet à poussière.