Mark Carney a beau promettre un « nouveau départ » pour le Canada, c’est plutôt une vieille recette réchauffée qu’il a servie à Rideau Hall le 13 mai, en dévoilant son premier Conseil des ministres. Une équipe de 28 ministres et 10 secrétaires d’État, pour un total de 38 postes — soit exactement le même nombre que sous Trudeau, malgré les promesses de « réduction » et « efficacité ». Le tout laisse entrevoir un cabinet porté par une vision technocratique et identitaire, bien plus qu’autour d’un programme de redressement économique concret.
« Quatorze (14) ministres de Trudeau sont maintenant dans le cabinet de Carney. Ça, ce n’est pas le changement que M. Carney a promis. C’est toujours la même recette libérale alors que le pays a plutôt besoin d’un vrai changement. »
Pierre Poilievre, le 13 mai 2025
Le recyclage libéral : Des visages connus pour des résultats discutables
Le cabinet de Mark Carney ramène plusieurs figures bien connues de l’ère Trudeau — des ministres dont les bilans passés soulèvent plus de doutes que d’enthousiasme.
- Chrystia Freeland hérite des Transports après avoir dirigé les Finances durant une période marquée par des déficits records et une explosion du coût de la dette. C’est sous sa gestion qu’Ottawa a commencé à dépenser un milliard par semaine en intérêts sur la dette. Bien qu’elle ait perdu les Finances — ce qui ressemble à un déclassement —, sa simple présence dans le cabinet continue de cristalliser les critiques, notamment dans les milieux d’affaires, où son passage a laissé un goût amer.
- François-Philippe Champagne, nommé aux Finances, était aux commandes de l’Industrie alors que le Canada traînait de la patte au sein du G7. Malgré un ton toujours dynamique, son passage à ce portefeuille a laissé peu de résultats concrets.
- Steven Guilbeault, militant écologiste de formation, devient ministre de l’Identité canadienne et des Langues officielles. Un choix qui confirme que la ligne environnementale interventionniste du gouvernement demeure intacte, même en période de crise énergétique — d’autant plus que placer un militant écologiste à la tête de l’Identité canadienne envoie un signal fort.
- Gary Anandasangaree, désormais à la Sécurité publique, s’était attiré les critiques en affirmant que les lois sur la libération sous caution étaient « adéquates », alors que les agressions violentes se multiplient dans plusieurs grandes villes.
Le cabinet compte 28 ministres, répartis également entre 14 femmes et 14 hommes. Avec le premier ministre, la balance penche néanmoins à 15 hommes contre 14 femmes autour de la table décisionnelle.
Secrétaires d’État : retour d’un outil partisan sous couvert d’efficacité
Officiellement, Mark Carney a réduit la taille du cabinet en ramenant le nombre de ministres à 28. Mais en réintroduisant la fonction de secrétaire d’État — abolie sous Justin Trudeau — il a ajouté dix postes politiques supplémentaires, souvent confiés à des députés sans expérience ministérielle. Ces secrétaires sont subordonnés à des ministres, avec un champ d’action réduit, mais ils bénéficient tout de même d’un cabinet politique et d’une visibilité accrue.
Plusieurs de ces nominations soulèvent des interrogations, non seulement sur la pertinence des profils choisis, mais aussi sur les critères ayant motivé leur sélection.
- Nathalie Provost, nommée secrétaire d’État à la Nature, est souvent identifiée publiquement à son rôle dans le militantisme anti-armes à feu. Elle possède une expérience dans l’administration publique environnementale au Québec. Cela dit, sa nomination reste fortement teintée de symbolisme politique — et soulève des questions sur les priorités réelles derrière la création de ce nouveau poste.
- D’autres désignations, comme Ruby Sahota (criminalité), Anna Gainey (jeunesse), Randeep Sarai (développement international) ou Adam Van Koeverden (sport), semblent surtout motivées par des considérations électoralistes : diversité régionale, appartenance ethnique, visibilité médiatique. Les compétences sectorielles passent souvent au second plan.
Malgré le discours sur « l’efficacité » et le « renouveau », ce segment du cabinet ressemble à un exercice de remplissage politique bien connu : cocher les bonnes cases, donner des titres, et faire croire à une gestion allégée… alors qu’on vient plutôt de recréer un étage supplémentaire dans la machine gouvernementale.
Evan Solomon à l’IA : un choix médiatique pour un enjeu technologique
La nomination d’Evan Solomon au poste de ministre de l’Intelligence artificielle et de l’Innovation numérique a fait lever plusieurs sourcils dans les milieux technologiques. Ancien animateur à la CBC et à CTV, Solomon n’a ni formation en informatique ni expérience concrète en innovation. Il fait son entrée en politique après avoir été élu dans Toronto-Centre, et hérite directement d’un portefeuille stratégique… sans bagage technique. Dans un domaine aussi complexe que l’IA, où les enjeux éthiques, industriels et géopolitiques sont majeurs, plusieurs observateurs s’interrogent sur la crédibilité d’un ministre avant tout connu pour ses talents de communicateur.
La situation est d’autant plus délicate que Solomon s’était attiré la controverse en partageant sur les réseaux sociaux, en pleine campagne, une fausse publication issue d’un compte parodique de Mark Carney — une erreur rapidement critiquée comme un manque de rigueur de base. Ajoutons à cela son départ peu glorieux de la CBC en 2015, à la suite d’un conflit d’intérêts lié à la vente d’œuvres d’art à des invités de ses émissions. Bref, un choix qui semble plus médiatique que stratégique, et qui donne l’impression que ce nouveau ministère sert aussi à récompenser un proche allié politique.

Et Carlos Leitão dans tout ça ?
Parmi les absents notables du cabinet Carney, le cas de Carlos Leitão continue de faire sourciller. L’ex-ministre des Finances du Québec, fraîchement élu sous la bannière libérale fédérale, n’a pas obtenu de portefeuille, malgré un profil économique largement reconnu — tant au provincial qu’au privé. Interrogé à ce sujet, Carney s’est contenté d’un commentaire évasif :
« M. Leitão, je lui connais bien. Il est très capable, beaucoup d’expérience. Je suis très content qu’il est une député libérale. C’est difficile de créer une cabinet, une cabinet ciblé, une cabinet assez petit… de gouverner et dans une manière efficace et rapide. Et alors, il faut faire des choix. J’ai fait des choix. »
Mark Carney, le 13 mai 2025. Citation transcrite fidèlement, y compris les erreurs de langue du premier ministre.
Une explication qui sonne creux, surtout dans un cabinet qui a réintroduit 10 postes de secrétaires d’État, certains manifestement créés sur mesure pour y loger des figures médiatiques ou des profils militants. Comme l’a souligné Yasmine Abdelfadel sur les ondes de LCN, difficile de justifier une exclusion aussi stratégique quand on prétend vouloir ramener la rigueur économique au cœur de l’action gouvernementale. Dans un contexte de ralentissement, se priver d’un économiste respecté comme Leitão ressemble moins à un oubli qu’à un choix politique… qui en dit long.
D’ailleurs, cette marginalisation d’un profil sérieux et modéré comme Leitão illustre un schéma plus large : dans ce cabinet, la loyauté idéologique semble avoir davantage pesé que la compétence ou l’expérience économique.
La liste complète des ministres et secrétaires d’État
Ministres :
- Mark Carney – Premier ministre
- Dominic LeBlanc – Président du Conseil privé du Roi pour le Canada et ministre responsable du Commerce Canada–États-Unis, des Affaires intergouvernementales et de l’Unité de l’économie canadienne
- Anita Anand – Ministre des Affaires étrangères
- François-Philippe Champagne – Ministre des Finances et du Revenu national
- Mélanie Joly – Ministre de l’Industrie et ministre responsable de Développement économique Canada pour les régions du Québec
- Chrystia Freeland – Ministre des Transports et du Commerce intérieur
- Gary Anandasangaree – Ministre de la Sécurité publique
- Sean Fraser – Ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique
- Steven Guilbeault – Ministre de l’Identité et de la Culture canadiennes et ministre responsable des Langues officielles
- Shafqat Ali – Président du Conseil du Trésor
- Rebecca Alty – Ministre des Relations Couronne-Autochtones
- Rebecca Chartrand – Ministre des Affaires du Nord et de l’Arctique et ministre responsable de l’Agence canadienne de développement économique du Nord
- Julie Dabrusin – Ministre de l’Environnement et du Changement climatique
- Mandy Gull-Masty – Ministre des Services aux Autochtones
- Patty Hajdu – Ministre de l’Emploi et des Familles et ministre responsable de l’Agence fédérale de développement économique pour le Nord de l’Ontario
- Tim Hodgson – Ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles
- Joël Lightbound – Ministre de la Transformation du gouvernement, des Travaux publics et de l’Approvisionnement
- Heath MacDonald – Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire
- Steven MacKinnon – Leader du gouvernement à la Chambre des communes
- David J. McGuinty – Ministre de la Défense nationale
- Jill McKnight – Ministre des Anciens Combattants et ministre associée de la Défense nationale
- Lena Metlege Diab – Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté
- Marjorie Michel – Ministre de la Santé
- Eleanor Olszewski – Ministre de la Gestion des urgences et de la Résilience des communautés et ministre responsable de Développement économique Canada pour les Prairies
- Gregor Robertson – Ministre du Logement et de l’Infrastructure et ministre responsable de Développement économique Canada pour le Pacifique
- Maninder Sidhu – Ministre du Commerce international
- Evan Solomon – Ministre de l’Intelligence artificielle et de l’Innovation numérique et ministre responsable de l’Agence fédérale de développement économique pour le Sud de l’Ontario
- Joanne Thompson – Ministre des Pêches
- Rechie Valdez – Ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et secrétaire d’État (Petites Entreprises et Tourisme)
Secrétaires d’État :
- Buckley Belanger – Secrétaire d’État au Développement rural
- → Rattaché au ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (ministre : Heath MacDonald)
- Stephen Fuhr – Secrétaire d’État à l’Approvisionnement en matière de défense
- → Rattaché au ministère de la Défense nationale (ministre : David J. McGuinty)
- Anna Gainey – Secrétaire d’État à l’Enfance et à la Jeunesse
- → Rattachée au ministère de l’Emploi et des Familles (ministre : Patty Hajdu)
- Wayne Long – Secrétaire d’État à l’Agence du revenu du Canada et aux Institutions financières
- → Rattaché au ministère des Finances et du Revenu national (ministre : François-Philippe Champagne)
- Stephanie McLean – Secrétaire d’État aux Aînés
- → Rattachée également au ministère de l’Emploi et des Familles (ministre : Patty Hajdu)
- Nathalie Provost – Secrétaire d’État à la Nature
- → Rattachée au ministère de l’Environnement et du Changement climatique (ministre : Julie Dabrusin)
- Ruby Sahota – Secrétaire d’État à la Lutte contre la criminalité
- → Rattachée au ministère de la Sécurité publique (ministre : Gary Anandasangaree)
- Randeep Sarai – Secrétaire d’État au Développement international
- → Rattaché au ministère des Affaires étrangères (ministre : Anita Anand)
- Adam Van Koeverden – Secrétaire d’État aux Sports
- → Rattaché au ministère de l’Identité et de la Culture canadiennes (ministre : Steven Guilbeault)
- John Zerucelli – Secrétaire d’État au Travail
- → Rattaché au ministère de l’Emploi et des Familles (ministre : Patty Hajdu)
En somme, Carney promet du changement, mais compose un cabinet calibré pour plaire à un électorat urbain et progressiste — identitaire, centralisateur, et éloigné des priorités de la classe moyenne productive et du Canada entrepreneurial.