Une étiquette sur mon bac et une claque sur les doigts
Cette semaine, j’ai appris par un employé de la Ville de Lévis que je suis une mauvaise personne. Un vrai bandit. J’ai commis un crime de lèse-majesté environnementale : un petit papier, soigneusement agrafé à la poignée de mon bac de recyclage, m’informait que j’avais eu l’audace de laisser le couvercle sur mon pot de yogourt.
Je me suis donc repenti. Pas parce que je me sentais coupable, mais parce que ce bout de papier m’a rappelé à quel point la gestion des matières résiduelles, au Québec, est devenue un rituel moral bien plus qu’un exercice pragmatique.
Et Lévis n’est pas seule. Partout dans la province, les municipalités se mettent à inspecter nos bacs, à marquer nos déchets, à nous corriger. Mais vous êtes-vous déjà demandé pourquoi?
Encore une fois, ça vient d’en haut.
Un incitatif vertical
Depuis quelques années, chaque opérateur de centre de traitement des matières résiduelles doit verser une redevance environnementale au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP). Cette redevance augmente de 2 $ la tonne métrique chaque 1er janvier pour s’élever à 34 $/tonne métrique en 2025, comme une sorte de taxe carbone version site d’enfouissement.
Mais ce n’est pas tout. De l’autre côté, les opérateurs peuvent obtenir du financement de la part de RECYC-QUÉBEC s’ils démontrent une performance élevée en recyclage et en valorisation. Plus tu récupères proprement, plus tu es subventionné.
L’idée, en soi, n’est pas mauvaise. Elle s’inspire d’une logique d’éco-efficacité : pénaliser l’enfouissement, récompenser la valorisation. Mais dans les faits, comment cette logique se traduit-elle sur le terrain?
C’est là que ça se complique.
L’illusion du progrès
Au Québec, on est culturellement réticents au principe de l’utilisateur-payeur. L’idée que quelqu’un paie plus pour avoir mis trois sacs de vidanges au lieu d’un déclenche des réflexes pavloviens d’indignation égalitaire. Résultat? Très peu de municipalités osent facturer la collecte des déchets selon le poids ou le volume. Et encore moins offrent des crédits aux citoyens qui trient comme des moines zen.
Pourquoi? Entre autres pour des raisons technologiques. Pour appliquer un tarif ou un incitatif variable, il faut pouvoir tracer précisément les matières de chaque foyer, de la collecte au centre de tri. On parle ici de puces RFID sur les bacs, de sacs identifiés, d’un système d’analyse automatisé à l’entrée des installations — bref, de toute une logistique numérique et industrielle. Personnellement, j’adore l’idée. La Ville de Markham, en Ontario, a un modèle intéressant d’ailleurs.
Mais ça peut coûter cher. Très cher. Et dans un Québec qui a de la difficulté à livrer une plateforme informatique de permis de chasse sans bogues, on comprend pourquoi plusieurs préfèrent ne pas s’y aventurer.
Des pistes de solution pour un vrai virage
Voici quelques pistes concrètes qui s’appuient sur des mécanismes de marché plutôt que sur la microgestion bureaucratique :
Tarification incitative : Des municipalités comme Markham, en Ontario, ont introduit des systèmes où la collecte des ordures est facturée selon le volume ou le nombre de sacs. Les ménages qui produisent moins paient moins. C’est simple, équitable et efficace.
Marché du recyclage ouvert : Plutôt que de confier la gestion à un seul contracteur, pourquoi ne pas permettre à différentes entreprises de compétitionner pour traiter les matières recyclables selon leur rentabilité réelle? Cela favoriserait les innovations technologiques et l’optimisation du tri.
Responsabilité élargie des producteurs (REP) réellement appliquée : Ce modèle, déjà en place pour certaines matières, pourrait être étendu et durci. Les producteurs seraient responsables des coûts de traitement de leurs emballages. Cela les inciterait à concevoir des produits plus faciles à recycler.
Crédits de performance aux citoyens : Il est techniquement possible, avec la RFID et les bacs identifiés, d’implanter des systèmes de récompense pour les ménages qui trient bien. Ces crédits pourraient être déduits de leur taxe municipale ou convertis en points échangeables.
Développement de marchés locaux pour les matériaux recyclés : La création de débouchés locaux est cruciale. Le plastique ou le verre recyclé devrait être intégré aux achats publics, aux projets d’infrastructure ou à la construction résidentielle. Cela rendrait le recyclage économiquement viable, au lieu d’être un simple acte de foi.
Pendant ce temps, sur le terrain…
Alors, faute de technologie, de courage politique ou d’ambition industrielle, les municipalités font quoi?
Elles embauchent des étudiants pour ouvrir vos bacs, fouiller dans vos vidanges et laisser des billets d’infraction morale. C’est cheap, c’est symbolique, c’est efficace sur Instagram. C’est aussi beaucoup plus économique pour les villes d’engager un étudiant financé par un programme de subvention. Ainsi, c’est le citoyen qui porte la totalité du coût supplémentaire au triage, sans jamais voir de dividendes.
Mais ce n’est ni structurel, ni durable, ni intelligent. C’est de la petite gestion de culpabilité collective. Un simulacre d’écologie de proximité qui évite soigneusement les vraies décisions. Parce qu’après tout, il est plus simple de faire honte au citoyen pour son pot de yogourt mal rincé que d’implanter un système cohérent et transparent de gestion des déchets.
Conclusion
On vit dans un Québec où l’on applaudit l’écologie tant qu’elle reste punitive, symbolique et sans trop de remous. On est verts, mais surtout pour les caméras.
Et pendant qu’on moralise les citoyens à coups de circulaires agrafées sur les bacs bleus, on laisse dormir notre génie industriel, on évite la tarification intelligente et on se satisfait d’une performance environnementale en stagnation.
Alors, la prochaine fois que vous serez accusé de crime de recyclage par un petit papier collé sur votre poignée, rappelez-vous : vous n’êtes pas un mauvais citoyen. Vous êtes juste le bouc émissaire d’un système incapable d’assumer ses choix.