Jeudi, août 14, 2025

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Comment l’environnement prive les pauvres de climatisation

Au Québec et au Canada, une réglementation bien intentionnée mais aux effets pervers oblige les propriétaires de climatiseurs portables à jeter leurs appareils plutôt qu’à les réparer. Une logique qui enrichit les fabricants tout en fragilisant les plus vulnérables face à la chaleur qui peut être mortelle.

Des objectifs louables, une méthode discutable

Les objectifs environnementaux énoncés par le gouvernement québécois sont légitimes en théorie, mais leur application révèle une approche à la fois simpliste et contradictoire qui ignore les évolutions technologiques récentes.

Une vision binaire qui ignore les progrès technologiques

L’estimation gouvernementale de 6,6 millions de tonnes d’émissions de CO₂ évitées entre 2021 et 2035 se base sur les anciens fluides frigorigènes les plus polluants, sans distinguer les différents types d’HFC ni reconnaître les alternatives plus vertes déjà disponibles.

Les HFC de première génération comme le R410A, avec un potentiel de réchauffement planétaire (PRG) de 2 088 fois celui du CO₂, sont effectivement problématiques. Mais les fluides de nouvelle génération comme le R32, largement utilisés dans les climatiseurs modernes, affichent un PRG de seulement 675, soit trois fois moins que le R410A.

Le R32 présente des avantages environnementaux significatifs : il est plus facilement recyclable car il s’agit d’un composé pur, offre une efficacité énergétique supérieure de 6 à 12% et n’a aucun impact sur la couche d’ozone. Sa durée de vie atmosphérique est également plus courte que ses prédécesseurs, moins de 5 ans au lieu de 29 ans.

Interdiction ou dissuasion ? Le piège réglementaire

La loi n’interdit pas explicitement la réparation des climatiseurs portables qui fuient. Cette nuance révèle une stratégie gouvernementale retorse : créer des conditions si contraignantes que la réparation devient économiquement impossible.

Officiellement, le Règlement fédéral impose aux techniciens certifiés de réparer la fuite, d’isoler la partie défectueuse ou de récupérer le fluide, et ce, dans les meilleurs délais, au plus tard sept jours après sa détection. Dans les faits, l’arsenal des contraintes transforme cette exigence en piège : récupération préalable obligatoire, tests d’étanchéité normalisés, intervention exclusive par des professionnels accrédités. Et comme ces fuites sont souvent découvertes bien après la fin de la garantie d’un an, lorsque l’appareil ne refroidit plus, la réparation devient entièrement à la charge du consommateur.

Résultat : une facture de réparation de 325$ à 625$ pour un appareil qui en coûte 400$ neuf.

Cette approche permet aux autorités de maintenir une fiction juridique confortable : la réparation reste « permise » sur papier, mais devient irréalisable en pratique. Une forme d’hypocrisie réglementaire qui enrichit les fabricants tout en appauvrissant les ménages vulnérables, sans que les gouvernements assument la responsabilité politique de leurs choix.

Les incohérences méthodologiques du gouvernement

Premier problème : Le gouvernement comptabilise uniquement les émissions directes d’HFC évitées, mais ignore totalement les émissions indirectes générées par sa propre réglementation. Chaque climatiseur portable jeté prématurément représente des émissions de CO₂ liées à la production de plastique, d’aluminium, d’acier et de composants électroniques de remplacement.

Deuxième problème : L’approche réglementaire ne fait aucune distinction entre les différents fluides frigorigènes. Un climatiseur fonctionnant au R32 – 75% moins polluant que les anciens fluides – est traité de la même façon qu’un appareil utilisant du R410A, pourtant trois fois plus problématique.

Troisième problème : En interdisant la réparation même avec des fluides de remplacement moins polluants, la réglementation crée un marché captif qui décourage l’innovation. Les fabricants n’ont aucune incitation à développer des appareils plus durables ou à utiliser les fluides les plus respectueux de l’environnement puisque l’obsolescence programmée devient profitable.

Une approche qui ignore les alternatives disponibles

L’Amendement de Kigali au Protocole de Montréal, souvent cité comme justification, prévoit une réduction progressive des HFC selon leur impact environnemental, pas leur interdiction uniforme de réparation. L’accord international encourage explicitement le passage vers des fluides à faible PRG comme le R32.

Le gouvernement québécois aurait pu adopter une approche différentielle : autoriser la réparation avec des fluides à faible PRG (inférieur à 750), tout en maintenant l’interdiction pour les fluides les plus polluants. Cette nuance aurait permis de concilier objectifs environnementaux et réparabilité des appareils.

La question de la proportionnalité ignorée

Les climatiseurs portables utilisant désormais majoritairement du R32 représentent une fraction minime du total des émissions d’HFC au Québec. Cibler en priorité ces petits appareils résidentiels – dont l’impact environnemental diminue déjà grâce aux nouveaux fluides – tout en maintenant des règles plus souples pour les gros systèmes commerciaux soulève des questions de cohérence environnementale.

Cette approche révèle une logique dogmatique qui sacrifie l’efficacité environnementale globale sur l’autel d’une mesure simple mais inadéquate. Une véritable politique environnementale aurait encouragé la transition vers les fluides les moins polluants tout en préservant la réparabilité, plutôt que de créer un marché de produits jetables qui profite avant tout aux fabricants.

Une menace mortelle : La chaleur tue au Québec

Cette problématique prend une dimension dramatique quand on connaît les chiffres de la mortalité liée à la chaleur. Selon l’Institut national de santé publique du Québec, 623 décès par année en moyenne sont attribuables à la chaleur estivale entre 2010 et 2024. L’année 2018 a été particulièrement meurtrière avec 943 décès estimés.

En 2024, on dénombre 841 décès attribuables à la chaleur estivale dans l’ensemble des régions du Québec. La région de Montréal compte « la plus grande proportion de décès attribuables à la chaleur par rapport aux autres régions ».

Les plus vulnérables ? Les personnes âgées, celles souffrant de maladies chroniques comme l’hypertension ou le diabète, et les ménages à faible revenu qui n’ont pas les moyens de se climatiser adéquatement. Lors de la vague de chaleur de juin 2024 à Montréal, « quatorze personnes sont mortes d’un décès ayant un lien probable avec la chaleur », toutes âgées de plus de 50 ans.

Or, pour beaucoup de ces personnes vulnérables, les climatiseurs portables représentent la seule option de climatisation autorisée. Dans de nombreux appartements locatifs, les propriétaires interdisent l’installation d’unités murales ou de fenêtre pour des raisons esthétiques. Plusieurs municipalités bannissent également les unités visibles depuis l’extérieur. Quand ces appareils portables tombent en panne, ces ménages se retrouvent pris au piège : racheter un appareil tous les 1-2 ans ou renoncer à la climatisation.

L’alternative : Réviser la réglementation pour la réparabilité

Au lieu de multiplier les programmes, amendes et partenariats forcés, pourquoi ne pas simplement modifier la réglementation pour permettre la réparation ? C’est beaucoup plus simple et respectueux des libertés :

Solution minimaliste et efficace

  • Supprimer les obstacles réglementaires qui rendent la réparation prohibitive
  • Permettre l’utilisation de fluides à faible PRG (comme le R32) lors des réparations
  • Simplifier les procédures pour les petits appareils résidentiels
  • Interdire aux municipalités de bannir les climatiseurs de fenêtre ou muraux pour des raisons purement esthétiques
  • Laisser le marché s’autoréguler : si la réparation redevient économiquement viable, elle se développera naturellement

Les avantages d’une approche déréglementaire

  • Aucun coût pour l’État ni les contribuables
  • Aucun nouveau bureaucrate à embaucher
  • Aucune surveillance supplémentaire à mettre en place
  • Respect du choix des consommateurs : réparer ou remplacer selon leur situation
  • Concurrence naturelle entre réparation et remplacement
  • Réduction potentielle de la mortalité liée à la chaleur grâce à un meilleur accès à la climatisation

Vers un équilibre entre environnement et justice sociale

La lutte contre les changements climatiques ne peut se faire au détriment des plus vulnérables. Quand une réglementation environnementale pousse les ménages précaires à choisir entre leur portefeuille et leur survie face à la chaleur, il faut réviser l’approche.

L’interdiction de recharge des climatiseurs portables, si elle part d’une intention louable, crée plus de problèmes qu’elle n’en résout. Entre les déchets électroniques qui s’accumulent, les ménages qui renoncent à se climatiser et les fabricants qui profitent d’un marché captif, cette réglementation mérite d’être repensée.

Car au final, obliger les Québécois à jeter des appareils réparables tout en les privant d’un accès abordable à la climatisation dans un contexte de réchauffement climatique relève d’une contradiction que nos lois ne peuvent plus se permettre.

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Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier est journaliste pour PiluleRouge.ca. Passionné de politique depuis plus de dix ans, il s'est impliqué à plusieurs reprises sur la scène provinciale. Entrepreneur en informatique, il allie rigueur journalistique et regard critique sur l’actualité. Son approche analytique et son sens de l’humour apportent une perspective unique aux sujets qu’il couvre.

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