Lundi, octobre 13, 2025

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La Syrie a organisé dimanche ses premières élections législatives depuis la chute spectaculaire de Bashar al-Assad en décembre 2024. Mais ce scrutin historique repose sur un mécanisme électoral indirect qui concentre l’essentiel du pouvoir entre les mains du président intérimaire Ahmed al-Sharaa, suscitant des critiques sur la véritable séparation des pouvoirs dans la nouvelle Syrie.

Un système électoral en cascade contrôlé par le sommet

Le processus mis en place par al-Sharaa fonctionne en trois étapes. D’abord, le président nomme un comité supérieur de 11 membres qui supervise l’ensemble du processus électoral. Ce comité crée ensuite des sous-comités de district, eux aussi nommés, chargés de sélectionner environ 6 000 électeurs à travers le pays. Ces électeurs forment des collèges électoraux qui, dimanche, ont voté pour élire 121 des 210 sièges de la nouvelle Assemblée du peuple. Les 70 sièges restants ? Al-Sharaa se réserve le droit de les attribuer directement.

Les sous-comités doivent théoriquement sélectionner les 6 000 électeurs selon des critères précis: éducation, profession, « influence sociale » dans la communauté, et diversité incluant les déplacés, les personnes handicapées et les anciens prisonniers. Au moins 20% des électeurs doivent être des femmes. Les candidats exclus incluent les affiliés au régime Assad (sauf ceux ayant fait défection), les membres des forces de sécurité, et toute personne ayant un casier criminel. Une nuance importante: seuls les membres de ces collèges électoraux peuvent ensuite se porter candidats pour devenir députés.

Le gouvernement justifie ce système indirect par l’absence de recensement fiable après près de quatorze ans de guerre civile et le déplacement de millions de Syriens. Mais la mécanique révèle surtout un contrôle étroit du processus depuis le sommet jusqu’à la base.

Des contre-pouvoirs qui existent sur papier

La déclaration constitutionnelle transitoire adoptée en mars 2025 prévoit théoriquement des mécanismes de contrôle. L’Assemblée du peuple possède le pouvoir législatif et peut théoriquement destituer le président. Si al-Sharaa oppose son veto à une loi, l’Assemblée peut le contrer avec une majorité des deux tiers, soit 140 voix sur 210.

Mais en pratique, ces garde-fous deviennent illusoires. Avec ses 70 nominations directes, al-Sharaa s’assure une capacité de blocage quasi garantie. Surtout, il contrôle l’ensemble de la chaîne de sélection des 140 autres députés: il nomme le comité supérieur qui nomme les sous-comités qui sélectionnent les électeurs qui élisent les députés. Un membre du comité de rédaction constitutionnelle, Abd al-Hamid al-Awak, a admis avec franchise que « théoriquement » une destitution présidentielle est possible, mais « pratiquement, ce sera extrêmement difficile parce que les membres [de l’Assemblée] vont être nommés directement par le président lui-même ».

La concentration du pouvoir ne s’arrête pas là. Al-Sharaa nomme également tous les juges de la Cour constitutionnelle suprême, censée surveiller le respect de la constitution. Il contrôle le Bureau de sécurité nationale, les forces armées, et peut déclarer l’état d’urgence sans limite temporelle. Human Rights Watch a prévenu que sans garde-fous plus solides, « cette déclaration risque de consolider le contrôle exécutif au détriment des libertés fondamentales à un moment crucial pour l’avenir de la Syrie ».

Des territoires exclus du scrutin

Trois gouvernorats n’ont pas participé au scrutin dimanche: Raqqa et Hassakeh, sous contrôle de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES), ainsi que Soueïda, à majorité druze. Les autorités ont invoqué des raisons sécuritaires pour justifier ce report qui concerne 19 sièges de députés. À Soueïda, la situation s’est envenimée depuis l’été avec des affrontements très violents impliquant les milices et populations druzes, les tribus bédouines du sud et les forces de sécurité. Une partie importante de la population druze a rompu avec le nouveau pouvoir sous l’influence du leader spirituel Hikmet el-Hijri. À l’est, les partis kurdes et la coalition des Forces démocratiques syriennes revendiquent une autonomie et sont exclus des processus politiques engagés en décembre 2024, le nouveau gouvernement mettant en avant leur refus de déposer les armes.

L’AANES, qui contrôle une partie substantielle du territoire syrien, a qualifié ces élections de non démocratiques, déclarant: « Les Syriens se sont sacrifiés pour de véritables droits de citoyenneté, au premier rang desquels le droit à des candidatures et à des élections libres et équitables. Pourtant, nous voyons l’histoire se répéter : ce droit est une fois de plus retiré à tous les Syriens ». L’organisation a appelé la communauté internationale à ne pas reconnaître les résultats. Cette exclusion prive le processus de toute prétention à l’universalité et compromet fortement la capacité de cette assemblée à devenir le canal d’expression de l’ensemble de la population syrienne.

Une représentation qui reflète les rapports de force

Les résultats préliminaires annoncés lundi ont révélé que les femmes ne représentent qu’environ 5% des parlementaires élus – six femmes sur 121 sièges, avec aucune femme élue à Damas. Les chrétiens n’ont obtenu que deux sièges. Nawar Najmeh, porte-parole de la commission électorale, a reconnu un « déséquilibre »: « la composante chrétienne ne dispose que de deux sièges, une représentation faible au regard de sa proportion dans la population syrienne ». Il a ajouté: « La place des femmes dans ce Parlement ne reflète pas leur rôle dans la société syrienne ni dans la vie politique, économique et sociale ».

Le président du comité supérieur, Muhammad Taha al-Ahmad, a indiqué que le président « corrigera » ces déséquilibres en nommant les 70 députés restants. Cette promesse soulève cependant une question: si le système était conçu pour favoriser la compétence et la représentation, pourquoi produit-il des résultats que le pouvoir lui-même qualifie de déséquilibrés ?

Le nouveau régime face aux minorités

La Syrie post-Assad navigue dans un équilibre délicat sur la question religieuse. Hayat Tahrir al-Cham (HTS), le mouvement islamiste dirigé par al-Sharaa qui a renversé Assad, s’est publiquement engagé à protéger les minorités religieuses. Depuis des années, HTS a travaillé à améliorer ses relations avec les communautés chrétiennes et druzes d’Idlib, restituant des propriétés volées pendant la guerre civile et permettant aux chrétiens de rouvrir des églises.

En décembre 2024, après l’incendie d’un arbre de Noël dans une ville chrétienne par des miliciens ouzbeks, al-Sharaa a rencontré des leaders catholiques, orthodoxes et anglicans. L’archevêque Jacques Mourad a rapporté qu’al-Sharaa a évité d’utiliser le terme « minorité », disant plutôt que « les chrétiens et autres groupes font partie du peuple syrien » et qu’il est conscient que « les chrétiens sont fondateurs de ce pays ».

Mais la réalité sur le terrain est plus complexe. Des incidents isolés de violence sectaire continuent. Certains observateurs craignent que le gouvernement islamiste d’al-Sharaa soit « incapable ou peu disposé à contrôler certaines parties de la Syrie ». D’autres, comme l’analyste Mouhanad Jouejati, décrivent ces incidents comme « des cas isolés plutôt qu’un schéma cohérent d’intolérance » et notent que « les Sunnites syriens, qui constituent la majorité, tendent la main à leurs homologues kurdes, alaouites, chrétiens et autres ».

Une transition pour trente mois

Les 210 députés élus et nommés siègeront pour une période de trente mois. Al-Sharaa a indiqué qu’il serait impossible d’organiser des élections générales directes avant trois à quatre ans en raison du chaos dans lequel se trouve la Syrie. La déclaration constitutionnelle prévoit une transition de cinq ans au total avant l’adoption d’une constitution permanente et la tenue d’élections.

Lors de la supervision du vote à la Bibliothèque nationale de Damas, al-Sharaa a déclaré: « Ce moment est vital pour tous les Syriens. Il est temps pour nous de reconstruire collectivement notre nation. » Aron Lund, analyste syrien du think tank Century International, tempère ces ambitions : « Le vote aura lieu, mais sa portée politique sera limitée. Il s’agit d’une élection indirecte impliquant des électeurs essentiellement choisis par le régime en place. L’environnement ne facilite pas un véritable débat, même si la Syrie est désormais, heureusement, libérée de la censure oppressive d’Assad et des méthodes d’État policier. »

La Syrie a beau être libérée de la censure écrasante et de l’appareil policier d’Assad, cinquante-quatre ans de dictature dynastique ayant pris fin en décembre 2024, elle a mis en place un système où le pouvoir reste concentré aux mains d’un seul homme. Le cabinet d’analyse Center for Strategic and International Studies résume la situation: al-Sharaa « parle de se doter d’une assemblée législative, mais veut en nommer tous les membres » et « fait semblant d’écouter lorsqu’il rencontre différents segments de la société syrienne, mais, au final, les décisions qui se matérialisent semblent être celles qui servent essentiellement à maintenir sa propre emprise sur le pouvoir ». Une transition qui ressemble davantage à une consolidation autoritaire qu’à une véritable ouverture démocratique.

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Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier est journaliste pour PiluleRouge.ca. Passionné de politique depuis plus de dix ans, il s'est impliqué à plusieurs reprises sur la scène provinciale. Entrepreneur en informatique, il allie rigueur journalistique et regard critique sur l’actualité. Son approche analytique et son sens de l’humour apportent une perspective unique aux sujets qu’il couvre.

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