Lundi, octobre 13, 2025

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Camions Lourds : La Hausse de 133% des Décès au Québec Révèle un Système Défaillant

Le bilan routier 2024 de la SAAQ confirme une situation préoccupante : les décès d’occupants de camions lourds ont bondi de 133% au Québec. Deux enquêtes journalistiques majeures révèlent l’ampleur du problème : corruption dans les centres de test, écoles frauduleuses et formations bâclées mettent en danger la sécurité de tous.

Une Hausse Alarmante Confirmée par les Statistiques

Les données officielles de la SAAQ pour 2024 révèlent 14 décès d’occupants de camions lourds, comparativement à 6 en 2023, soit une augmentation de 133%. Cette hausse représente 55,6% au-dessus de la moyenne des cinq dernières années et constitue la plus forte augmentation parmi tous les groupes d’usagers de la route québécois.

Marc Cadieux, PDG de l’Association du camionnage du Québec, estime qu’entre 8 000 et 10 000 «camionneurs au rabais» circulent actuellement sur les routes québécoises. « Notre sécurité est en jeu. C’est une main-d’œuvre prise en otage par un système », dénonce-t-il.

En Ontario, la Police provinciale rapporte que 20% de toutes les collisions fatales impliquent des camions. Dans le Nord-Ouest de la province, cette proportion atteint 60% : sur 21 collisions mortelles recensées en 2024, 13 impliquaient des poids lourds. Le taux y est donc trois fois plus élevé que la moyenne provinciale.

Corruption chez Serco : Une Note Interne Explosive

Une enquête de CBC Marketplace diffusée le 11 octobre 2024 a révélé l’existence d’une note interne de Serco, l’entreprise privée qui gère les centres d’examen DriveTest en Ontario. La note, datée de novembre 2023 et adressée à tous les examinateurs, indique qu’un « certain nombre d’employés ont démissionné ou ont été congédiés cette année en raison d’enquêtes que nous avons menées impliquant des allégations de comportements inappropriés et illégaux ».

Le système de test serait compromis par des pots-de-vin, des documents falsifiés et des examens truqués. Une examinatrice de Serco, dont l’identité est protégée, a confié à CBC sous le couvert de l’anonymat que l’entreprise valorise les indicateurs de performance et le service à la clientèle plutôt que de s’assurer que les conducteurs adéquatement formés obtiennent leur permis. « Dans notre entreprise, il y a des moments où nous estimons que quelqu’un ne devrait pas réussir et nous devons quand même le faire passer… Nos mains sont liées », révèle-t-elle.

Caméras Cachées : La Formation qui N’Existe Pas

L’enquête de CBC Marketplace a utilisé des caméras cachées pour documenter les pratiques de certaines écoles de formation. Un étudiant, dont le nom a été changé pour Manish par souci de protection, témoigne de son expérience à la Smart Truck Training Academy : « Je peux compter sur une seule main le nombre de fois où j’ai été emmené sur la route ».

Pour sa formation en cour, Manish affirme avoir dû se fier à des vidéos YouTube et aux notes d’autres étudiants pour apprendre à inspecter un camion. Lors des rares heures sur la route, il y avait souvent un deuxième étudiant dans le camion, assis sur une chaise de parterre pliante sans ceinture de sécurité. « Je me demandais comment c’était permis. Comment est-ce légal? », raconte-t-il.

Malgré le fait qu’il n’ait pas complété ses 103,5 heures de formation obligatoire, un gérant de Smart Truck Training Academy a accepté de dire au ministère des Transports qu’il l’avait fait, le rendant admissible à l’examen. L’école a finalement fermé subitement, laissant des instructeurs non payés et des étudiants ayant perdu des milliers de dollars.

First Canadian : Révocation pour Fraude Massive

Le 9 juillet 2024, le surintendant des écoles de carrière de l’Ontario a révoqué l’enregistrement de First Canadian Truck & Forklift Training Centre pour des raisons graves. L’école avait reçu des dossiers de permis de conduire étrangers falsifiés pour contourner le programme de formation MELT, créant un risque important pour les étudiants et la sécurité publique.

L’école a permis à des étudiants ayant obtenu de fausses attestations d’expérience de conduite à l’étranger d’obtenir des permis de classe A, permettant ainsi à des conducteurs mal formés d’opérer des tracteurs semi-remorques sur les autoroutes ontariennes. L’établissement a aussi bénéficié financièrement de la création et de la vente de documents frauduleux.

L’Enquête de JE : Des Accidents Évitables

L’émission JE, diffusée le 21 mars 2025 et menée par le journaliste Félix Séguin, a documenté plusieurs cas troublants. Jonathan Beauvais, porte-parole de Contrôle routier Québec, explique : « Certains transporteurs vont couper sur l’entretien mécanique pour faire des profits ».

Christian Forcier, président de TCF Express à Pierreville, partage son expérience directe avec les «chauffeurs inc.» : « J’ai fait appel à ‘eux’ trois fois. Ça a été chaque fois une histoire d’horreur ». Il a perdu des chauffeurs dans une violente collision. « Le monde a peur. Les gens ont peur de dire la vérité », confie-t-il.

Pascal Gaudet, vice-président de Transwest, résume la situation sans détour : « Est-ce que ce sont des bombes sur la route? Force est d’admettre qu’il y en a ».

Au Québec : Formation Non Obligatoire et Vide Réglementaire

L’enquête de JE a documenté une particularité québécoise problématique : la province permet encore à des conducteurs de prendre le volant d’un 18 roues sans formation obligatoire. Cette situation place le Québec en porte-à-faux avec les autres provinces canadiennes qui ont adopté des exigences minimales de formation.

Les chiffres illustrent les conséquences : seulement 32% des candidats réussissent l’examen théorique pour le permis de classe 1. Ce taux d’échec de 68% signifie que la majorité des candidats se présentent à l’examen sans préparation adéquate. Plusieurs finissent néanmoins par obtenir leur permis après des tentatives répétées, souvent en changeant de centre d’évaluation pour éviter d’être reconnus.

Jean-Claude Daignault, président de la Fraternité des constables du contrôle routier du Québec, souligne l’impuissance des contrôleurs face à des conducteurs manifestement incompétents : « Moi, quand je vous dis que quelqu’un n’est pas capable de reculer un camion… Pour moi, tu n’es pas capable de le conduire ». Sans formation obligatoire, les autorités ne peuvent retirer un permis valide même si le conducteur démontre des lacunes évidentes.

L’enquête JE a aussi révélé une tentative de corruption à la SAAQ, où un candidat a offert 1 000$ à une évaluatrice pour falsifier son résultat d’évaluation. Bien que l’évaluatrice ait refusé et dénoncé la tentative, l’incident illustre les pressions exercées sur le système.

Une Réforme Annoncée Mais Jamais Appliquée

Une formation de 125 heures a été développée et testée. Le Code de la sécurité routière a même été modifié en 2024 pour la rendre obligatoire. La SAAQ a lancé en juillet 2025 le processus de reconnaissance des prestataires de formation. L’entrée en vigueur est prévue pour décembre 2025, mais cette échéance survient après des années de promesses non tenues.

Christian Forcier, président de TCF Express, et Pascal Gaudet, vice-président de Transwest, témoignent des conséquences concrètes de cette absence de réglementation sur la sécurité routière. Jonathan Beauvais, de Contrôle routier Québec, ajoute que certains transporteurs profitent de ce vide réglementaire pour réduire leurs coûts de formation et d’entretien.

Un Système de Surveillance Défaillant

Le vérificateur général de l’Ontario a révélé que 56% des 60 000 transporteurs n’ont eu aucune inspection en deux ans. Entre 2014 et 2018, le nombre d’inspections routières a chuté de 22%. Si le rythme d’inspection de 2014 avait été maintenu, 10 000 véhicules ou conducteurs dangereux supplémentaires auraient pu être retirés de la route.

Le problème structurel est majeur : il y a seulement 8 inspecteurs pour superviser plus de 500 écoles en Ontario. Un rapport de l’auditeur général de l’Ontario de 2022 confirme que le programme MELT n’a pas encore démontré d’amélioration mesurable de la sécurité routière depuis son implantation.

Entre 2008 et 2017, l’Ontario a enregistré 182 000 collisions impliquant des véhicules commerciaux, causant 1 180 décès et 44 000 blessures, pour un coût social de 2 milliards de dollars.

Le Nord de l’Ontario : Zone à Haut Risque

Guy Bourgouin, député de Mushkegowuk—Baie James, souligne l’importance de la Transcanadienne dans le Nord : « Si les routes ferment, on ne peut pas faire un détour. C’est la Transcanadienne, les routes 11 et 17. Je dis souvent au monde que ce n’est pas une trail à vaches, c’est la Transcanadienne, et on a besoin des services qui représentent ça ».

Johanne Baril, mairesse de Val Rita-Harty, décrit la situation : « Ces gens se font embarquer dans un stratagème et ils sont lâchés lousse avec zéro formation, ils ne savent pas reculer même! Ils arrivent au Canada, ils arrivent dans le nord de l’Ontario, c’est triste ».

Patrick Leblanc, camionneur québécois avec 27 ans d’expérience, évite désormais la route 11-17 : « Le problème avec les routes ‘à rencontre’ du Nord de l’Ontario et des Rocheuses canadiennes, c’est que t’as bien beau être le meilleur conducteur au monde et avoir pris une bonne formation, tu es à la merci du camion qui roule vers toi. Tellement de gens sont morts dans des face-à-face sur la 11/17, c’est d’une tristesse incroyable. Non, j’ai vu trop de morts et de sang tout au long de mes années à parcourir ces routes-là ».

Julie Miller, résidente de Manitouwadge et ancienne instructrice, constate : « Voyager sur les routes 11/17, c’est devenu une partie de roulette russe. Et pourtant, il n’y a pas de place pour le jeu sur ces routes. Le manque de formation ne fait qu’aggraver l’ignorance des lois et du respect des règles. Ce qu’on voit, c’est une absence totale de respect pour la vie humaine ».

Pénurie et Pression Économique

L’industrie fait face à des défis démographiques importants. Selon l’Alliance canadienne du camionnage, 25% des conducteurs sont âgés de 55 à 64 ans et prendront leur retraite prochainement. Une pénurie d’environ 48 000 conducteurs est anticipée, créant une pression pour recruter rapidement.

Cette urgence pousse certains établissements et transporteurs à baisser leurs standards. Au Québec, seulement 32% des candidats réussissent l’examen théorique pour le permis de classe 1. L’Association des Professionnels du Dépannage du Québec a recensé 142 incidents nécessitant une dépanneuse poids lourd depuis le 20 décembre 2024.

Les pertes de revenus pour les transporteurs conformes sont estimées à 2 milliards de dollars sur 12 ans en raison de la concurrence déloyale des «chauffeurs inc.».

Responsabilité Partagée dans les Accidents

Les données 2024 révèlent un élément important : 86% des collisions fatales impliquant des camions sont causées par des véhicules non-commerciaux. Le capitaine Carl Bélisle de la Sûreté du Québec confirme que « le comportement humain est à l’origine de la majorité des collisions mortelles et avec blessés graves, ce qui signifie qu’elles étaient évitables ».

En Ontario, la vitesse excessive a contribué à 26 collisions fatales en 2024, la conduite distraite à 16, et l’alcool ou les drogues à 12. Les statistiques de Transport Canada pour la période 2012-2021 montrent que 30% des accidents mortels impliquant des véhicules commerciaux sont des collisions frontales, 80% impliquent plusieurs véhicules, et 74% se produisent sur routes rurales. Les défauts mécaniques représentent moins de 4% des accidents.

Tendances Contradictoires

Les données de Transport Canada révèlent un paradoxe. Entre 2012 et 2021, les collisions impliquant des véhicules commerciaux ont diminué de 20%, les décès de 14% et les blessures graves de 30%. Cette amélioration s’est produite malgré une augmentation de 24% des véhicules commerciaux immatriculés.

Cependant, 2023 a enregistré 1 964 décès routiers au Canada, le total le plus élevé en 10 ans. Les données 2024 confirment une inversion préoccupante, particulièrement au Québec avec sa hausse de 133% des décès d’occupants de camions lourds.

Actions Gouvernementales Récentes

En septembre 2025, le ministère des Transports de l’Ontario a envoyé des lettres de suspension à des conducteurs de camions que la province croit avoir obtenu leur permis de classe A « de manière malhonnête » durant les processus de test ou de formation. Dakota Brasier, porte-parole du ministre des Transports de l’Ontario, a déclaré que la province a « une tolérance zéro pour les mauvais acteurs sur nos routes ».

Le nombre exact de suspensions n’a pas été communiqué, et la province n’a pas fourni de détails sur la manière dont les permis ont été obtenus malhonnêtement.

Propositions de Solutions

Julie Miller propose plusieurs mesures concrètes : « Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi aucune action n’a encore été prise. On pourrait commencer par tenir responsables ces écoles de formation bidon. Révoquer les permis de conduire délivrés dans le cadre de programmes qui ne respectent pas les exigences. Exiger un nouveau test pour tous les nouveaux conducteurs qui ont été impliqués dans un accident. Et surtout, retirer aux centres de formation privés le droit d’émettre eux-mêmes des permis de conduire ».

Lise Vaugeois, députée de Thunder Bay—Superior Nord, travaille sur un projet de loi visant à renforcer les contrôles. Des groupes comme Truckers for Safer Highways poursuivent leurs efforts de sensibilisation.

Le programme MELT avait été instauré après la tragédie des Broncos de Humboldt en 2018, où 16 personnes avaient perdu la vie dans un accident impliquant un camionneur mal formé. Sept ans plus tard, les enquêtes journalistiques révèlent que les défaillances systémiques persistent et s’aggravent, malgré les promesses de réforme.

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Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier est journaliste pour PiluleRouge.ca. Passionné de politique depuis plus de dix ans, il s'est impliqué à plusieurs reprises sur la scène provinciale. Entrepreneur en informatique, il allie rigueur journalistique et regard critique sur l’actualité. Son approche analytique et son sens de l’humour apportent une perspective unique aux sujets qu’il couvre.

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