Mark Carney et Donald Trump se sont serré la main dans le Bureau ovale le 7 octobre, se sont couverts de compliments et ont promis des avancées imminentes sur les tarifs douaniers qui plombent l’économie canadienne depuis des mois. Résultat concret? Aucun. La rencontre très attendue entre le premier ministre canadien et le président américain s’est soldée par des poignées de main, des sourires et une directive de poursuivre les discussions.
Des promesses sans échéancier
Dominic LeBlanc, le ministre fédéral responsable du commerce entre le Canada et les États-Unis, a qualifié les réunions de « positives » et « substantielles », affirmant que les conversations étaient « plus détaillées que les discussions précédentes ». Le hic? Aucune annonce concrète sur un allègement des tarifs qui étranglent les secteurs canadiens de l’acier, de l’aluminium, de l’automobile et du bois d’œuvre.
LeBlanc avait déclaré le 7 octobre que les négociations pourraient se poursuivre « possiblement ce soir, demain » et qu’il resterait à Washington pour continuer les pourparlers. Le lendemain, soit le 8 octobre, le bureau du premier ministre a publié un communiqué confirmant la conclusion de la visite, mais sans annoncer d’entente concrète. Les équipes ont plutôt été dirigées pour « conclure ce travail dans les semaines à venir ». Encore une fois, aucun échéancier précis.
Trump, pour sa part, a déclaré que Carney repartirait « très heureux » de Washington, ajoutant que les États-Unis allaient « traiter le Canada équitablement ». Quand on lui a demandé ce que cela signifiait concrètement, le président s’est contenté de sourires et de formules vagues: « Nous avons beaucoup de choses sur lesquelles nous travaillons et dont les gens ne parlent pas ». De quoi laisser les Canadiens perplexes.
Un conflit naturel qui coûte cher
Les deux leaders ont échangé des compliments diplomatiques lors de leur rencontre, Trump qualifiant Carney de « leader de classe mondiale » et Carney décrivant Trump comme un « président transformateur ». Mais derrière les courtoisies, le président américain a souligné franchement le « conflit naturel » entre les deux pays: « Ils veulent une entreprise automobile, et moi aussi, ce qui veut dire que les États-Unis veulent une entreprise automobile. Et ils veulent de l’acier, et nous aussi. »
Depuis l’imposition des tarifs américains de 25% sur l’acier et l’aluminium en mars 2025, puis leur doublement à 50% en juin, les secteurs manufacturiers canadiens ont encaissé des coups brutaux. L’Ontario a perdu des milliers d’emplois dans le secteur manufacturier, tandis que les exportations d’aluminium ont chuté de manière significative.
Les contre-tarifs de Carney: plus de mal que de bien
Le problème fondamental avec la stratégie de Carney reste ses contre-tarifs, qui ont davantage nui aux Canadiens qu’aux Américains. En imposant des tarifs de représailles sur les produits américains, c’est l’économie canadienne qui absorbe le choc: les entreprises canadiennes paient plus cher pour leurs intrants, les consommateurs canadiens paient plus cher à la caisse, et les chaînes d’approvisionnement intégrées depuis des décennies se fragmentent. Les Américains, avec leur marché domestique massif, peuvent se permettre de jouer la guerre commerciale bien plus longtemps que le Canada.
LeBlanc a précisé que les discussions portaient sur « une façon rapide d’arriver à un accord qui apportera, nous espérons, une meilleure situation pour les deux pays dans ces secteurs de grande importance ». Mais la question demeure: pourquoi avoir attendu si longtemps avant de s’asseoir sérieusement à la table de négociation? Les mois de postures politiques et de déclarations martiales n’ont abouti qu’à des pertes d’emplois et à une incertitude économique qui décourage les investissements.
Un partenariat énergétique comme bouée de sauvetage
Au-delà des tarifs, Trump et Carney ont abordé un partenariat énergétique renforcé, un des rares dossiers où les intérêts convergent naturellement. Le Canada est « un partenaire essentiel dans la sécurité énergétique des États-Unis » et il existe des occasions d’approfondir cette collaboration. Carney a également évoqué des investissements canadiens massifs aux États-Unis, estimant que les 500 milliards de dollars déjà investis pourraient doubler pour atteindre 1 000 milliards au cours des cinq prochaines années si une entente est conclue.
Ces chiffres, bien que spectaculaires, soulèvent une question embarrassante: pourquoi le Canada mise-t-il autant sur les investissements à l’étranger alors que son propre climat d’affaires décourage les capitaux domestiques? Le chef conservateur Pierre Poilievre a d’ailleurs critiqué Carney aux Communes, affirmant que le premier ministre encourage les investissements à quitter le Canada.
Trump a aussi mentionné le projet Golden Dome, un système de défense antimissile que Ronald Reagan avait envisagé dans les années 1980. LeBlanc a confirmé que Carney avait exprimé son ouverture à discuter de cette initiative, mais qu’aucun accord formel n’avait été signé.
Le libre-échange comme seule issue
Le communiqué officiel du bureau du premier ministre, publié le 8 octobre, affirme que « 85% du commerce Canada-États-Unis est maintenant libre de tarifs » et que le Canada « a actuellement le meilleur accord commercial de tous les partenaires commerciaux américains ». Ces chiffres, bien que positifs, masquent une réalité plus sombre: les 15% restants touchent des secteurs cruciaux comme l’acier, l’aluminium et l’automobile, et les tarifs dans ces domaines causent des dommages disproportionnés à l’économie canadienne.
La vraie solution réside dans un retour au libre-échange complet, sans quotas ni tarifs de part et d’autre. Les économies canadienne et américaine sont si intégrées qu’elles fonctionnent essentiellement comme une seule zone économique dans plusieurs secteurs. Les tentatives de découpler cette relation par des postures nationalistes ne font qu’appauvrir les deux pays, mais surtout le plus petit des deux.
Eric Miller, président de Rideau Potomac Strategy Group, a noté que Trump ne supprimera probablement pas complètement les tarifs et qu’il vise plutôt un système de quotas tarifaires. Si c’est le cas, le Canada se retrouvera avec une relation commerciale gérée et bureaucratisée, loin de l’idéal du libre-échange qui a enrichi les deux nations pendant des décennies.
Ce qui se profile
La rencontre du 7 octobre a au moins permis d’établir un dialogue direct et de préciser les priorités. Carney et Trump ont convenu de poursuivre les discussions sur l’acier, l’aluminium et l’énergie, avec l’espoir d’arriver à des ententes dans « les semaines à venir ». L’accord États-Unis-Mexique-Canada (ACEUM) doit être révisé en 2026, et toute avancée maintenant pourrait faciliter ce processus.
Mais le chemin reste semé d’embûches. Trump a clairement indiqué qu’il voulait remodeler la relation commerciale avec le Canada et qu’il était prêt à envisager des « formules » pour y parvenir. Qu’il s’agisse de quotas, de tarifs ajustés ou de partenariats sectoriels, une chose est sûre: les négociations seront ardues.
Pour l’instant, le Canada n’a toujours pas d’entente en poche. Les secteurs touchés continuent de saigner, les investisseurs hésitent, et l’économie canadienne reste à la merci de décisions américaines imprévisibles. La prospérité économique exige plus que des photos dans le Bureau ovale et des communiqués rassurants. Elle exige des résultats concrets qui rétablissent la libre circulation des biens et des capitaux entre deux nations dont les destins économiques sont inextricablement liés.