Pierre Dufour n’a pas perdu de temps pour régler ses comptes avec son ancienne formation politique. Exclu du caucus de la Coalition avenir Québec le 5 septembre dernier par François Legault, le député indépendant d’Abitibi-Est a profité du débat sur le discours d’ouverture de la 2e session de la 43e législature, le 7 octobre, pour servir une critique en règle du gouvernement caquiste et de sa vision des régions ressources.
Une exclusion controversée
L’intervention de Dufour survient à peine un mois après son expulsion du caucus caquiste. Le premier ministre avait justifié sa décision par la nécessité de « maintenir la cohésion » au sein de son équipe, après que Dufour eut menacé de quitter le parti si aucun député de l’Abitibi-Témiscamingue n’obtenait une place au Conseil des ministres. L’ancien ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs (2018-2022) siège désormais comme député indépendant.
« Vous représentez 1,7 % de la population. That’s it, that’s all »
Dans son allocution de huit minutes, Dufour a dénoncé avec force la politique du gouvernement Legault envers les régions, qu’il qualifie d’approche « simpliste du mur à mur ». Le député a révélé la réponse que donne le ministre régional aux demandes de financement de l’Abitibi-Témiscamingue : « Vous représentez 1,7 % de la population. That’s it, that’s all. Voici ce que vous avez droit ».
Autrement dit, Québec refuse d’investir dans la région au-delà de ce que son poids démographique représente, sans égard à sa contribution économique réelle. Cette façon de calculer les investissements régionaux est, selon Dufour, une vision dépassée qui ne tient pas compte de la réalité.
L’Abitibi-Témiscamingue : une région qui donne plus qu’elle ne reçoit
Dufour a rappelé qu’une étude professionnelle réalisée par la firme Aviséo, commandée par les préfets de l’Abitibi-Témiscamingue, « a clairement démontré la contribution de la région de l’Abitibi-Témiscamingue à la richesse collective du Québec, mais qu’elle ne reçoit pas sa juste part dans la redistribution des fonds publics pour assurer les maintiens des actifs et des infrastructures publiques ». Les chiffres sont éloquents et révèlent un déséquilibre majeur.
L’Abitibi-Témiscamingue génère un produit intérieur brut (PIB) de 10,6 G$ (données de 2022), ce qui représente 2,1 % du PIB québécois. La région affiche ainsi une contribution économique supérieure à son poids démographique de 1,7 % de la population québécoise. Plus révélateur encore, le PIB par habitant de la région s’élevait à 71 527 $ en 2022, soit 23 % au-dessus de la moyenne québécoise de 58 251 $. Le PIB par emploi atteint même 143 615 $, soit 25 % au-dessus de la moyenne québécoise, témoignant de la forte productivité de l’économie régionale.
Ces performances s’expliquent notamment par la structure économique de la région, dominée par des industries à forte valeur ajoutée comme le secteur minier et forestier. L’industrie minière à elle seule génère près de 40 % de l’activité économique régionale et emploie environ un travailleur sur huit. Entre 2020 et 2024, l’Abitibi-Témiscamingue a enregistré la plus forte proportion d’investissements privés parmi toutes les régions du Québec, avec 80 % de l’investissement total provenant du secteur privé. Depuis 2020, près de 13 % des investissements privés étrangers en immobilisations au Québec ont été réalisés en Abitibi-Témiscamingue, pour un total de 6,2 G$.
Mais le portrait le plus troublant concerne le déficit fiscal régional. Selon l’étude Aviséo, les entreprises privées de l’Abitibi-Témiscamingue génèrent 1 715 M$ en revenus fiscaux pour le gouvernement du Québec. En retour, la région n’a reçu qu’entre 893 M$ et 1 049 M$ en dépenses et transferts du gouvernement en 2023. Le déficit fiscal annuel est donc estimé entre 666 M$ et 822 M$. Si cette tendance se maintient, ce déséquilibre pourrait atteindre 6,7 G$ sur 10 ans.
Immigration et main-d’œuvre : l’angle mort du discours de Legault
Le député a été particulièrement virulent sur l’absence totale de mention des travailleurs étrangers temporaires (TET) dans le discours d’ouverture de François Legault, qui a duré 46 minutes. « J’invite d’ailleurs les ministres du gouvernement à venir en région pour bien comprendre qui, aujourd’hui, permet de faire rouler plusieurs PME, les épiceries, les restaurants et même certains éléments du secteur public comme les CPE », a-t-il lancé.
Pour Dufour, « le fait de ne pas prendre acte de l’importance de l’apport tangible que l’immigration apporte à l’économie met une pression indue sur nos gens d’affaires et nuit aux investisseurs potentiels en région, car nos gestionnaires ne savent même pas s’ils auront la main-d’œuvre nécessaire pour opérer leur commerce dans le futur ». Une critique directe de la politique migratoire restrictive du gouvernement caquiste.
Les compressions qui font mal
Bien qu’il salue la volonté du gouvernement de réduire la taille de l’appareil de l’État après « sept ans de laxisme », Dufour a dénoncé les « effets pervers » de la méthode employée, « particulièrement dans les régions dites éloignées ». Il a fourni quatre exemples concrets pour appuyer son propos.
En culture, un poste temporaire a été aboli, celui d’une personne « qui s’occupait de toute la coordination des musées, des centres d’exposition et même du nord du Québec ». En environnement, le gel d’embauche empêche de remplacer les départs à la retraite ou les congés de maladie, ce qui risque de ralentir l’accélération des projets économiques promise par le gouvernement. Au ministère des Transports, déjà en manque de personnel, la suppression des emplois temporaires crée « une double problématique ». Enfin, chez les agents de la faune, des territoires qui devraient compter 20 agents n’en ont plus que 5.
« Pourquoi on arrive à cette situation-là? C’est parce qu’on coupe simplement ce qui est facile à couper au lieu d’avoir une vision plus large », a tranché Dufour.
Vision régionale : une question qui reste en suspens
Le député a reproché au gouvernement de parler de « projets spécifiques, mais sans jamais soulever qu’est-ce que la vision », de ne jamais aborder la « vision régionaliste ». Selon lui, le seul développement envisagé par le gouvernement pour l’Abitibi-Témiscamingue se résume à « exploiter les ressources minières, mais surtout ne pas vouloir dynamiser le développement régional ».
Dufour a donné l’exemple d’une mine qui créera 1 600 emplois, un projet pour lequel il affirme avoir « fortement travaillé pour obtenir le bloc énergétique qui fut annoncé ». Mais il souligne que sans investissements parallèles dans les terrains résidentiels et industriels, les écoles et les mesures d’aide économique, la région ne devient qu’« une destination de fly-in fly-out ». « S’assurer que le milieu n’est pas juste cannibalisé que pour sa matière première, ça, j’ai le regret de vous dire, M. le Président, que je ne sens pas cette sensibilité dans le discours d’ouverture », a-t-il déploré.
Un gouvernement sourd aux besoins sociaux des régions
Le député s’est également étonné de l’absence du volet scolaire dans les priorités gouvernementales : « À cet effet, je me serais attendu que le discours du PM conserve le volet scolaire, ce qui ne semble plus être dans les cartons ». Il a insisté sur l’importance d’une « vision du développement social comme le milieu scolaire, un CPE, la réfection d’hôpitaux ou encore la modernisation d’infrastructures sportives, le tout dans le but d’améliorer les services à la population ». Mais le constat est sans appel : « Pour la prochaine année, le volet social ne semble pas faire partie de la volonté de ce gouvernement ».
« Les régions-ressources ne sont pas que des bars ouverts »
En terminant, Pierre Dufour a admis qu’« une portion de ce discours a le mérite de revenir à certains fondements qui m’avaient stimulé à m’impliquer dans la CAQ en 2018 ». Mais cette concession était suivie d’une longue liste de reproches : « Je ne peux passer sous silence le manque de vision, le manque de vision sur comment on développe les régions ressources, le manque de vision sur les services offerts à la population dans les régions, le manque de sensibilité envers les communautés forestières qui vivent de la forêt publique et le manque d’écoute de la vie qui se développe en dehors du couloir du Saint-Laurent ».
Sa conclusion a été cinglante : « Les régions-ressources ne sont pas que des bars ouverts à la ressource première, comme semble le penser le premier ministre. Une vision du développement social et économique doit accompagner le discours politique. L’enjeu ici n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais plutôt de cesser de véhiculer et croire au vieux paradigme sur les régions-ressources ».
Un silence qui en dit long
François Legault, qui a assumé lui-même la responsabilité ministérielle de l’Abitibi-Témiscamingue dans son remaniement ministériel, n’a pas réagi publiquement aux propos de son ancien député. La députée caquiste d’Abitibi-Ouest, Suzanne Blais, s’est contentée de dire qu’elle était « plus motivée que jamais à travailler pour les citoyens de sa circonscription ». Le débat sur la place des régions dans les priorités gouvernementales, lui, est loin d’être terminé.