Mercredi, octobre 22, 2025

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La parole comme propriété

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Et si la liberté d’expression n’était qu’un autre nom pour le droit de propriété?

On aime croire que la liberté d’expression flotte au-dessus de tout : un droit universel, abstrait, intangible. Mais aucune liberté ne naît dans le vide. Elle s’enracine dans quelque chose de concret : la propriété.

Être libre de parler, c’est d’abord être propriétaire de soi. C’est disposer de son esprit, de son corps, de ses mots — et décider ce qu’on en fait.

John Locke l’avait bien vu : le droit de propriété précède l’État. Il est le fruit du travail, de l’effort, du soin qu’on investit dans le monde. Ce que l’on crée devient nôtre, non parce qu’une autorité nous l’accorde, mais parce qu’on y a mis une part de soi. La liberté d’expression découle de ce même principe : ma parole m’appartient parce qu’elle procède de mon être. Elle est le prolongement de ma propriété la plus fondamentale — celle de ma propre personne.

Les frontières de la parole

Mais si la parole m’appartient, celle d’autrui aussi. C’est pourquoi la liberté d’expression implique nécessairement la reconnaissance des frontières.

On peut parler librement, oui, mais pas partout. Pas dans la maison d’un autre, ni sur les terres d’un autre, ni avec les moyens d’un autre. La liberté d’expression n’est pas le droit d’envahir : elle est le droit d’occuper, à sa manière, le territoire qu’on a bâti.

Cette distinction, essentielle, est souvent perdue aujourd’hui. On confond la liberté d’expression avec le droit à l’amplification. On croit qu’être libre, c’est pouvoir parler sur toutes les plateformes, dans toutes les entreprises, à l’intérieur de toutes les institutions.

Mais ces espaces appartiennent à quelqu’un — à une communauté, à un propriétaire, à une organisation. Et ces derniers ont, eux aussi, un droit de propriété qui inclut celui de protéger leur réputation, leur identité, leur image.

Lorsqu’une entreprise sanctionne un employé qui nuit à ce qu’elle représente, elle n’étouffe pas la liberté d’expression : elle exerce son droit de propriété. Lorsqu’un média choisit de ne pas publier une opinion contraire à sa ligne, il n’interdit pas la parole : il affirme la sienne. Et lorsqu’un individu refuse d’ouvrir son espace à des propos qu’il juge destructeurs, il ne censure pas : il garde ce qui lui appartient.

Un exemple québécois : le cas Francis Gosselin

Au Québec, un exemple récent illustre bien cette tension. Celui de Francis Gosselin et d’une blague malheureuse. Quelques instants après que l’on ait appris que Charlie Kirk venait d’être atteint par balle, il a fait une remarque sur le ton de l’ironie — maladroite, « awkward » même — qui, quelques heures plus tard, s’est révélée bien plus lourde de sens : Charlie Kirk était mort.

Une déferlante d’insultes a suivi sur les réseaux sociaux. À tort ou à raison, peu importe ici : ce n’est pas la question morale qui importe, mais la question du droit. Le lendemain, Francis Gosselin présentait ses excuses en ondes, et l’entreprise propriétaire des ondes — de l’espace médiatique qu’elle contrôle — décidait de le suspendre temporairement.

Quelques jours plus tard, il revenait à l’antenne, dans un rôle plus circonspect.

Dans ce cas, que l’on soit à l’aise ou non avec la blague, l’entreprise exerçait son droit légitime de propriété. Elle louait, par contrat, les services de M. Gosselin pour qu’il ait une présence en ondes. Contrairement à un animateur syndiqué comme dans certaines boites médiatiques du Québec, le contrat d’animateur de M. Gosselin est plus proche d’une entente contractuelle avec un travailleur autonome. En tant que propriétaire des ondes, la firme était fondée à en restreindre temporairement l’usage. Elle aurait même pu résilier le contrat. Ce n’est pas une atteinte à la liberté d’expression, mais une manifestation concrète du droit de propriété — celui de déterminer ce qui peut être dit ou non sur un territoire qui nous appartient.

Même si personnellement, je préfère les entreprises qui défendent leur employé coûte que coûte, il fait parfois plus de sens de laisser partir un joueur afin de protéger la viabilité de la firme.

La propriété comme condition de la liberté

Le véritable danger pour la liberté d’expression ne vient donc pas de la propriété, mais de son effacement.

Là où tout appartient à tout le monde — ou pire, à l’État — plus rien ne nous appartient vraiment. La parole devient collective, donc surveillée, donc fragile. Dans un monde où nul n’a son propre lieu, la liberté n’est qu’une illusion : une permission réversible accordée par le pouvoir dominant.

C’est la propriété qui rend la liberté réelle. C’est parce que chacun peut posséder un espace — un journal, une entreprise, une page, un simple coin de table — que la pluralité des voix devient possible. Là où tout est commun, il ne reste qu’une seule voix : celle du plus fort, ou du plus moralement approuvé.

La liberté d’expression, dans sa forme la plus authentique, n’est pas un droit octroyé par un État magnanime, mais une conséquence directe du droit naturel de propriété. Être propriétaire, c’est pouvoir dire :

« Ceci est à moi, et voici ce que j’en fais. »

C’est le fondement même de la responsabilité, de la créativité et du pluralisme.

De la censure à l’autocensure

Mais il existe une menace plus subtile que la censure directe : l’autocensure.

Là où la censure impose le silence par la force, l’autocensure l’impose par la peur — peur de perdre son emploi, son statut, sa réputation, son appartenance au groupe. Elle ne détruit pas la liberté d’expression : elle la vide de l’intérieur.

L’autocensure n’est pas dictée par un État totalitaire, mais par un climat moral, un conformisme diffus qui pousse chacun à mesurer ses mots avant même qu’ils ne naissent. Ce n’est plus l’autorité qui interdit : c’est la société qui décourage. Ce n’est plus la loi qui réprime : c’est la peur d’être jugé, isolé, effacé.

Or, ce réflexe d’autocensure est le signe d’un effritement du sentiment de propriété. Quand on n’est plus certain que sa parole nous appartient vraiment, on hésite à s’en servir. On la pèse, on la stérilise, on la rend acceptable.

La parole libre demande du courage, mais surtout une certitude : celle d’avoir le droit de parler, parce qu’on en est le propriétaire légitime.

Dans une société où tout se dit sous condition d’approbation sociale, la propriété de soi s’efface. On devient locataire de sa propre pensée, sous bail moral renouvelable. Et lorsque les individus cessent d’être propriétaires d’eux-mêmes, le pouvoir se déplace vers ceux qui déterminent ce qu’il est convenable de dire.

Protéger la liberté d’expression, ce n’est donc pas seulement refuser la censure. C’est aussi refuser cette forme insidieuse de soumission volontaire. C’est affirmer que chacun doit avoir le droit — et la responsabilité — de parler en son nom, dans son espace, avec ses mots.

La liberté comme archipel

La parole est un acte de possession. Elle engage celui qui parle, elle transforme le monde autour de lui, elle fonde son espace moral. Et elle suppose que les autres puissent faire de même, dans leurs propres lieux, selon leurs propres règles.

C’est peut-être là le cœur du libéralisme : la coexistence de multiples souverainetés personnelles. Chacun règne sur un petit territoire — son esprit, ses biens, son œuvre — et la liberté naît de la rencontre, parfois du frottement, entre ces royaumes.

Ainsi comprise, la liberté d’expression n’est pas un champ de bataille, mais un archipel. Chacun y possède une île, et la mer entre elles, c’est le respect du droit de propriété.

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Francis Hamelin
Francis Hamelin
Francis Hamelin, #MakeThePLQLiberalAgain, est membre des Trois Afueras et écrivain amateur. Technicien en génie mécanique et industriel, il s'intéresse particulièrement aux politiques publiques, l'économie et à la productivité des entreprises et des individus.

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