Vendredi, novembre 14, 2025

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Mode de scrutin : Duhaime et QS unissent leurs voix

Le député solidaire Alexandre Leduc a déposé mardi matin le projet de loi 199 établissant un nouveau mode de scrutin mixte proportionnel compensatoire à l’Assemblée nationale. Dans un point de presse tenu à 11h10, il était accompagné d’une coalition improbable : Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec, Maïté Blanchette Vézina, députée indépendante de Rimouski, et Jean-Pierre Charbonneau, président du Mouvement Démocratie Nouvelle. Une alliance transpartisane qui démontre l’urgence ressentie par plusieurs acteurs politiques face aux distorsions du système électoral actuel.​

Du scrutin uninominal à la proportionnelle mixte

Le système actuel repose sur le scrutin uninominal majoritaire à un tour avec 125 circonscriptions électorales. Dans ce modèle, le candidat qui obtient le plus de votes dans sa circonscription remporte le siège, même s’il n’obtient pas la majorité absolue des voix. Simple et rapide, ce système favorise toutefois les gouvernements majoritaires au détriment de la représentativité : un parti peut former le gouvernement avec moins de 40% des voix tout en détenant 80% des sièges.​

Le projet de loi 199 propose une refonte en profondeur. Le nombre de sièges passerait de 125 à 129, soit 80 sièges de circonscription et 49 sièges de région. Le territoire québécois serait divisé en 17 régions électorales correspondant aux régions administratives. Les électeurs disposeraient de deux votes : un pour élire leur député de circonscription au scrutin majoritaire uninominal, et un second pour une liste régionale de candidats ou un candidat indépendant régional.​

Le mécanisme de compensation régionale vise à corriger les distorsions du scrutin majoritaire. Les 80 sièges de circonscription seraient attribués comme actuellement, tandis que les 49 sièges de région seraient répartis proportionnellement en tenant compte des résultats dans chaque région, avec un seuil de 4% des votes à l’échelle provinciale pour qu’un parti puisse participer à cette attribution. Chaque région se verrait garantir un minimum de deux sièges de région, sauf la Côte-Nord et le Nord-du-Québec qui n’en auraient qu’un.​

La parité : un point de divergence

Le projet de loi intègre des mesures contraignantes pour favoriser la parité homme-femme. Les listes régionales des partis devraient alterner entre candidates et candidats, en commençant par une candidate dans au moins 50% des cas. Lors d’élections générales, les partis devraient présenter entre 40% et 60% de candidates dans les circonscriptions.​

Le PCQ, bien qu’il appuie le fond du projet de loi, entend proposer des amendements à ces dispositions spécifiques. Le parti conservateur estime que la compétence doit prévaloir sur le sexe dans la sélection des candidats. Selon cette position, imposer une alternance stricte reviendrait à du sexisme en choisissant des personnes selon leur sexe plutôt que leurs qualifications. Le PCQ souhaite que les partis conservent la liberté d’alterner s’ils le désirent, ou de présenter plus de femmes que d’hommes si elles sont plus compétentes, l’objectif étant d’avoir les ministres et députés les plus compétents possible pour représenter la population.

Cette position reflète un débat qui traverse plusieurs démocraties occidentales sur l’équilibre entre représentativité et méritocratie. Les défenseurs des quotas paritaires soutiennent qu’ils corrigent des biais systémiques qui ont historiquement exclu les femmes de la politique, tandis que les critiques craignent que des règles trop rigides ne nuisent à la sélection des meilleurs candidats.

Un timing stratégique révélé par un sondage explosif

Le point de presse tombait à point nommé. Un sondage Léger publié le matin même révèle que le Parti québécois, avec seulement 32% d’appuis, pourrait tout de même former un gouvernement majoritaire aux élections d’octobre 2026. À l’inverse, la Coalition Avenir Québec, avec 17% d’intentions de vote, risque de se retrouver avec un seul député, voire aucun. Une ironie du sort pour le parti qui avait promis en 2018 de réformer le mode de scrutin avant de renier cet engagement en 2022.​

Le Parti conservateur souligne que cette situation illustre parfaitement l’aberration du système actuel : 68% des Québécois voteraient contre le parti qui obtiendrait la majorité des sièges. Un sondage qui démontre une fois de plus, selon les conservateurs, l’importance de réformer le mode de scrutin.​

Duhaime prend position

Pour Éric Duhaime, cette sortie publique marque une première. « Je suis ici aujourd’hui en tant que chef du Parti conservateur pour la première fois à prendre position publiquement en faveur d’une réforme du mode de scrutin », a-t-il déclaré. Le chef conservateur explique avoir attendu que ses membres se prononcent démocratiquement lors du congrès de novembre 2023 avant de s’engager officiellement.​

Sa présence n’est pas anodine. Aux élections de 2022, le PCQ a récolté plus de 530 000 votes, soit 12,9% du suffrage exprimé, sans obtenir un seul siège à l’Assemblée nationale. « C’est la pire distorsion de l’histoire démocratique du Québec », a affirmé Duhaime. Plus d’un Québécois sur huit a voté conservateur, mais ces électeurs n’ont aucune voix au Parlement. Un exemple éloquent de la déconnexion entre la volonté populaire et la représentation parlementaire dans le système actuel.​​

« Si vous m’aviez dit il y a quelques années que je me retrouverais dans un point de presse organisé par Québec solidaire pour appuyer un de leurs projets de loi, je vous aurais demandé qu’est-ce que vous fumez », a lancé Duhaime avec son franc-parler habituel. Mais il justifie cette alliance par la nécessité de combattre le cynisme politique : « Mon véritable adversaire depuis deux ou trois ans, ce n’est pas le Québec solidaire, ce n’est pas le Parti québécois, ce n’est pas la CAQ, ce n’est pas les libéraux, c’est le cynisme en politique ».​

« C’était important pour moi de défendre aujourd’hui la position adoptée par nos membres en Congrès, et de veiller à ce que cet important exercice démocratique, débattu depuis des décennies au Québec, se fasse sans partisanerie », a déclaré d’emblée le chef conservateur.​

Une pression ciblée sur la CAQ

Jean-Pierre Charbonneau, vétéran de la cause électorale, n’a pas ménagé ses mots en s’adressant directement aux députés caquistes. « Vous avez l’occasion, même si les sondages ne sont pas bons et même si actuellement les projections vous donnent à peu près zéro siège, vous avez la possibilité de faire l’histoire et de faire en sorte que les prochaines élections soient les dernières avec ce mode de scrutin-là », a-t-il plaidé.​

Le président du Mouvement Démocratie Nouvelle rappelle que le modèle proposé n’est pas une invention récente : « C’est un modèle mixte compensatoire avec liste régionale qui a été le modèle proposé par le Parti québécois de René Lévesque en 1969, par le Parti libéral de Jean Charest, et par la CAQ de François Legault ». Le système s’inspire du modèle allemand, adapté avec succès par l’Écosse et la Nouvelle-Zélande.​​

Charbonneau rappelle aussi que les citoyens sont devenus cyniques « parce que les gens qui promettent ne respectent pas leurs engagements pour de faux prétextes ». Il lance un appel aux médias pour que la réforme électorale redevienne un enjeu majeur pour la prochaine élection. « Il n’est pas trop tard pour faire les choses correctement et pour terminer cette législature-là en laissant en héritage un mode de scrutin qui est réclamé au Québec depuis 1870 », a-t-il lancé.​

Le PQ absent mais engagé

L’absence remarquée du Parti québécois au point de presse a suscité des questions. Tous les partis ont voté en faveur du projet de loi en première lecture le matin même. Jean-Pierre Charbonneau a précisé que le PQ lui avait fait parvenir une lettre confirmant son maintien de l’engagement et sa volonté « de faire en sorte que la prochaine élection soit la dernière avec le mode de scrutin actuel ».​

L’histoire québécoise en matière de réforme électorale est toutefois jalonnée de promesses non tenues. Plusieurs partis favorables à la réforme en opposition ont changé d’avis une fois parvenus au pouvoir. René Lévesque n’a pas réussi à concrétiser son engagement en 1969, pas plus que Jean Charest ou François Legault par la suite. Ce dernier avait pourtant qualifié son engagement de 2018 de « ferme et solennel », allant jusqu’à promettre qu’il serait « meilleur que René Lévesque ».​

Une voix pour la coopération

Maïté Blanchette Vézina, élue caquiste en 2022 devenue indépendante, apporte un témoignage éloquent. « En fait, j’ai entendu régulièrement dans les derniers mois des gens qui me disaient à quoi ça sert de voter si mon vote est perdu de toute façon », a-t-elle raconté. Elle souligne que la réforme favoriserait une culture politique où les députés travailleraient davantage ensemble au-delà de la partisannerie.​​

Interrogée sur l’appétit du caucus caquiste pour une réforme, elle a confirmé que le sujet est discuté : « Pour certains, il y a de l’intérêt ». La députée souligne que même avec un pourcentage réduit, la CAQ aurait des sièges sous le nouveau système, contrairement aux projections actuelles.​

Jean-Pierre Charbonneau rappelle que « ce n’est pas normal que quand tu as moins de 40% du vote, que tu aies 80% des députés ». « Ce qu’on veut, c’est que l’Assemblée nationale reflète la réalité des citoyens, des votes. Quand on dit ‘chaque vote compte’, ça veut dire aussi que chaque parti important a sa place au Parlement ».​

Le projet de loi 199 reprend l’essentiel du projet de loi 499 déposé en 2023. Avec 144 pages de modifications législatives détaillées, il touche la Loi électorale, la Loi sur l’Assemblée nationale, ainsi que plusieurs autres lois connexes. Le texte prévoit des dispositions transitoires et des ajustements au financement politique, tout en maintenant globalement l’enveloppe actuelle consacrée au financement public des partis.​

Un test de leadership pour Legault

L’ironie de la situation n’échappe à personne. François Legault, qui avait qualifié son engagement de 2018 de « ferme et solennel », se retrouve aujourd’hui victime du même système injuste qu’il avait promis de changer. En 2022, le PCQ avait récolté 12,9% des votes sans obtenir un seul siège – une distorsion que Legault avait alors ignorée. Aujourd’hui, avec 17% d’intentions de vote, c’est son propre parti qui risque de se retrouver sans représentation à l’Assemblée.​

Jean-Pierre Charbonneau résume bien l’enjeu : « Il faut juste un jour, un monarque élu qui va respecter sa parole, vraiment, puis qui va faire en sorte que ce qu’il a dit, il le fait ». Les choses pourraient changer « en moins d’un an si le chef du gouvernement actuel revenait sur son engagement de rien faire ».​

Le bal est maintenant dans le camp de la CAQ. Après des décennies de promesses non tenues par divers gouvernements, François Legault aura-t-il le courage de faire ce que René Lévesque, Jean Charest et lui-même n’ont pas su accomplir? Ou l’histoire retiendra-t-elle un autre recul face aux intérêts partisans? La réponse déterminera si la démocratie québécoise saura enfin s’adapter au pluralisme politique du 21e siècle.​

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Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier est journaliste pour PiluleRouge.ca. Passionné de politique depuis plus de dix ans, il s'est impliqué à plusieurs reprises sur la scène provinciale. Entrepreneur en informatique, il allie rigueur journalistique et regard critique sur l’actualité. Son approche analytique et son sens de l’humour apportent une perspective unique aux sujets qu’il couvre.

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