Le député de Rosemont a quitté Québec solidaire le 22 novembre après que des discussions secrètes avec le chef du Parti québécois aient été révélées au grand jour. Dans une conférence de presse cinglante, l’ex-journaliste a dénoncé la « radicalisation » de son ancien parti et affirmé qu’il « étouffe » sous sa direction actuelle.
Une rupture éclatante
La journée du samedi 22 novembre 2025 a marqué une crise sans précédent pour Québec solidaire. Tôt le matin, les co-porte-parole Ruba Ghazal et Sol Zanetti, accompagnés de la présidente Roxane Milot, ont publié un communiqué révélant que Vincent Marissal entretenait depuis « plusieurs semaines » des discussions avec le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, « afin de quitter le caucus solidaire et de planifier une candidature pour le Parti québécois en 2026 ».
Le parti avait convoqué un caucus extraordinaire pour le lendemain afin d’officialiser l’expulsion du député de Rosemont. Toutefois, le vote a été devancé et confirmé à l’unanimité samedi. Marissal a pris les devants et claqué la porte avant l’exclusion formelle, annonçant qu’il siégerait désormais comme député indépendant.
Dans une entrevue à Tout le monde en parle le 23 novembre, Marissal a révélé que son départ avait été « bousillé » par une fuite. « J’ai été scoopé par une ancienne employée de QS à qui j’ai eu tort de faire confiance. Elle se reconnaîtra », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il avait prévu annoncer sa démission « de façon civilisée » au caucus le mercredi suivant.
« J’ai besoin de prendre un gros pas de recul »
Lors de sa conférence de presse tenue quelques heures après l’annonce de QS, Vincent Marissal ne s’est pas retenu dans ses critiques à l’endroit de son ancien parti. « Les habits de QS sont trop petits pour moi, je suis en train d’étouffer », a-t-il déclaré, ajoutant avoir « besoin de prendre un gros pas de recul ».
Le député a énuméré une série de griefs accumulés contre Québec solidaire, tout en admettant qu’il aurait « dû partir avant ». En tête de liste : l’appui du caucus aux grévistes de la Société de transport de Montréal, qu’il qualifie de « goutte qui a fait déborder le vase ». « Je ne comprenais pas qu’on participe à cette prise en otage de la population de Montréal », a-t-il expliqué, affirmant avoir reçu des messages de citoyens « enragés » contre la position du parti qui soutenait le syndicat plutôt que les usagers.
Sur la grève de la STM, Marissal a précisé lors de son passage à Tout le monde en parle avoir reçu un flot de courriels de citoyens mécontents. « Pour un qui nous disait « bravo, bravo, continuez la lutte syndicale », tous les autres nous disaient « vous nous avez abandonnés, vous nous avez tourné le dos » », a-t-il rapporté.
L’affaire Haroun Bouazzi : un tournant décisif
Marissal a également évoqué l’affaire Haroun Bouazzi, le député de QS qui avait affirmé en novembre 2024 voir « à tous les jours à l’Assemblée nationale » le mécanisme du racisme, déclenchant une tempête politique qui a forcé QS à clarifier sa position. « L’histoire avec Haroun Bouazzi, je ne l’ai jamais digérée », a-t-il affirmé.
À Tout le monde en parle, il est allé plus loin : « La perception qu’il y a du racisme à tous les coins, de tous les corridors de l’Assemblée nationale, que mes 124 collègues, 123 si j’enlève Haroun, sont tous potentiellement coupables d’une forme ou une autre de racisme ou de colonialisme. Je n’ai pas aimé ça ». Selon Marissal, « n’importe quel parti normal » aurait expulsé Bouazzi pour de tels propos.
Un parti « paralysé par sa base militante »
Au cœur de son argumentaire, Vincent Marissal accuse Québec solidaire d’être devenu un parti « paralysé par sa base », « menotté par sa base militante » qui se radicalise. « Le problème, c’est qu’on n’est pas capable de ramener ce parti-là vers un peu plus de rationalité », a-t-il soutenu.
Marissal a affirmé avoir tenté, en vain, de « recentrer » Québec solidaire, un objectif qu’il affirme avoir partagé avec l’ancien co-porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois. « Le mot « recentrage » est un peu tabou à QS, mais pour que tout le monde se comprenne, c’est une question de recentrage, de rationalité, d’être un petit peu moins champ gauche », a-t-il expliqué à Tout le monde en parle.
Pourtant, cette déclaration entre en contradiction avec ses positions passées. Marissal avait été le seul député du caucus à appuyer Émilise Lessard-Therrien — et non l’équipe de Nadeau-Dubois — lors de la course au leadership féminin de 2023. De plus, en avril 2024, après la démission précipitée de Lessard-Therrien, il avait publiquement affirmé que Gabriel Nadeau-Dubois devait « changer sa manière de gérer la formation », critiquant ouvertement le leadership auquel il dit aujourd’hui s’être rallié.
Selon lui, QS n’a pas encore trouvé sa niche auprès de « la classe moyenne, celle qui vote, puis qui élit, puis qui défait des gouvernements ». Il reproche au parti de ne pas avoir « un réel plan fiscal et économique pour la classe moyenne ».
L’ex-député solidaire a également critiqué le leadership actuel, affirmant que ni Ruba Ghazal ni Sol Zanetti ne faisaient partie de ses choix pour être porte-parole. « Je ne crois pas que [Ruba Ghazal] est la femme de la situation », a-t-il déclaré sans détour.
La caricature qui a fait déborder le vase
Quelques jours avant son départ, QS a publié une parodie du livre de Ruba Ghazal, remplaçant le titre « Les gens du pays viennent aussi d’ailleurs » par « Les gens d’ailleurs ne devraient pas venir ici », avec une photo de Paul St-Pierre Plamondon en couverture. Cette publication insinuait que le chef péquiste déteste les immigrants.
« J’étais au restaurant avec ma blonde quand j’ai vu ça. J’ai pris mon téléphone et j’ai écrit à Paul. Je suis désolé. Ça m’écœure ce genre de politique », a confié Marissal à Tout le monde en parle. Il juge la publication « cheap » et « mesquine », reprochant au parti d’attaquer « une personne et pas ses idées et pas son programme ».
L’épouse de St-Pierre Plamondon, Alexandra Tremblay, avait qualifié le visuel de « dégoûtant, populiste et diffamatoire », forçant QS à le retirer. Marissal a reproché aux co-porte-parole leurs « attaques permanentes » contre la personne de Paul St-Pierre Plamondon. « Il me semble que quand on est à 6% dans les sondages, on fait preuve d’un peu d’humilité », a-t-il lancé.
« Un sentiment de trahison énorme »
Du côté de Québec solidaire, la réaction a été tout aussi vive. Lors de leur point de presse, Ruba Ghazal et Sol Zanetti ont exprimé un « sentiment de trahison énorme ». « C’est comme se faire tromper par son conjoint. C’est un bris de confiance total », a illustré la co-porte-parole.
Ghazal a souligné que les discussions « secrètes » avec le PQ représentent « une ligne rouge qui a été franchie ». « Vincent Marissal nous a caché la vérité. On a appris qu’il a entrepris des négociations secrètes avec un autre parti politique et ça c’est une ligne rouge qui a été franchie », a-t-elle déclaré.
Les deux co-porte-parole ont présenté leurs excuses aux électeurs de Rosemont, « qui ont choisi à deux reprises de faire confiance à QS et à son candidat ». En réponse aux critiques de Marissal sur sa capacité à diriger le parti, Ruba Ghazal a rappelé qu’elle est membre fondatrice de Québec solidaire depuis 2006.
D’autres voix solidaires se sont ajoutées au concert de condamnations. Le député Guillaume Cliche-Rivard s’est dit « profondément trahi » par « un manque de loyauté, de transparence, d’intégrité ». L’ancien co-porte-parole Amir Khadir a accusé Marissal d’agir « par pur opportunisme » et d’avoir « raté sa sortie politique ».
Les explications de Paul St-Pierre Plamondon
Le chef du Parti québécois a publié une longue déclaration sur Facebook pour clarifier la nature de ses discussions avec Vincent Marissal. Selon Paul St-Pierre Plamondon, le député de Rosemont l’avait informé « de son inconfort de plus en plus intolérable, tant sur le fond que sur la forme, au sein de QS » il y a plusieurs semaines.
Le chef péquiste affirme que Marissal lui avait « indiqué qu’il prenait la décision de siéger comme indépendant, notamment dans la foulée de leur position dans le dossier de la STM, mais également en raison d’une tendance à la radicalisation dans cette formation ».
Toutefois, St-Pierre Plamondon soutient qu’ils n’ont « rien convenu de précis en ce qui concerne le Parti québécois, outre le fait qu’il siégerait comme indépendant et que l’on continuerait à se parler ». Il ajoute que « la question des transferts entre les partis en cours de mandat est toujours très délicate » et que Marissal « prend la bonne décision en allant comme indépendant ».
Le chef du PQ a salué Marissal comme « un député indépendantiste très compétent, à son affaire et efficace à l’Assemblée nationale », soulignant qu’il est « le seul député à m’avoir écrit pour s’excuser des attaques personnelles de QS » à son endroit.
Des contradictions qui refont surface
Le départ de Vincent Marissal a fait ressurgir plusieurs de ses écrits et positions passés qui contrastent brutalement avec sa situation actuelle.
D’abord, son parcours idéologique soulève de sérieuses questions de cohérence. Avant de se joindre à Québec solidaire en 2018, l’ex-journaliste avait eu des discussions sérieuses avec l’entourage de Justin Trudeau pour se présenter sous la bannière du Parti libéral du Canada, une formation fédéraliste aux antipodes du Parti québécois qu’il envisage aujourd’hui de rejoindre au nom de la souveraineté. Il avait ensuite rejoint Québec solidaire, se disant « souverainiste de gauche ». Aujourd’hui, il lorgne vers le Parti québécois, justifiant ce nouveau virage par le fait que QS serait un « cul-de-sac » pour l’indépendance.
Cette trajectoire sinueuse, passant du PLC (fédéraliste) à QS (souverainiste de gauche) pour finir au PQ (souverainiste traditionnel), alimente les critiques sur la sincérité de ses convictions profondes.
Ensuite, une de ses propres chroniques de 2015 dans La Presse est revenue le hanter. À l’époque, il qualifiait sévèrement les transfuges politiques d’« opportunistes ». « Rares sont les transfuges qui réussissent à survivre à leur prochain test électoral. Les électeurs les prennent le plus souvent pour ce qu’ils sont : des opportunistes », avait-il tranché.
Cette déclaration a suscité l’ironie mordante de plusieurs observateurs et commentateurs politiques, qui y voient une contradiction flagrante avec sa propre situation actuelle. Des extraits de cette chronique ont abondamment circulé sur les réseaux sociaux dans les heures suivant son départ de QS, plusieurs soulignant qu’il incarne désormais exactement ce qu’il dénonçait jadis avec vigueur.
Pourquoi le Parti québécois ?
Interrogé sur ce qui l’attire au Parti québécois, Marissal a placé le projet de souveraineté en tête de liste lors de son passage à Tout le monde en parle. « Ce n’est pas QS qui va le faire. Le véhicule QS, quant à moi, il est à l’arrêt dans un cul-de-sac », a-t-il affirmé.
Il a également souligné l’importance de « se débarrasser de la CAQ » et de « bloquer le chemin aux libéraux » avec un parti « social-démocrate », désignant ainsi le PQ. « On a un Québec à reconstruire », a-t-il ajouté.
Impacts politiques et enjeux électoraux
Le départ de Marissal risque de faire mal à Québec solidaire en vue des élections de 2026, non pas tant par la perte de l’homme lui-même, dont la crédibilité est entachée par ses volte-face idéologiques, que par le ravage médiatique qu’il provoque en claquant la porte. Le message qu’envoie le départ d’un élu vers le rival souverainiste, en pleine législature, reste dévastateur pour l’image du parti.
En qualifiant QS de parti « paralysé par sa base » et incapable de compromis, Marissal offre des armes aux adversaires de la formation. « La gauche veut toujours avoir raison… mais la politique est l’art du compromis », a-t-il déclaré.
Ce départ place également la circonscription de Rosemont, un château fort péquiste historique repris par QS, au centre d’une lutte intense pour 2026. L’ironie de la situation n’échappe à personne : c’est Vincent Marissal qui avait battu l’ancien chef du PQ, Jean-François Lisée, dans cette circonscription en 2018.
Un avenir politique incertain
Le départ de Vincent Marissal vers la députation indépendante marque un tournant dans la dynamique politique québécoise. La circonscription de Rosemont, ancien château fort péquiste repris par QS en 2018, devient un enjeu central pour 2026.
Marissal a admis lors de son passage à Tout le monde en parle qu’il comprend « venir de perdre en crédibilité » et reconnaît la perception de « girouettage », mais maintient qu’il s’agit d’« une décision intègre » prise par principe. S’il dit avoir « besoin de prendre un gros pas de recul » et ne pas avoir de plan concret immédiat, il ne ferme pas la porte à se joindre au Parti québécois d’ici les prochaines élections.
Pour Québec solidaire, cette défection soulève des questions existentielles sur sa capacité à retenir ses élus modérés et à élargir son appel au-delà de sa base militante. Le départ de Marissal n’est pas un cas isolé : Nadia Poirier, ex-candidate de QS dans Terrebonne, s’était elle aussi jointe au Parti québécois. Pour le PQ, l’arrivée potentielle de Marissal représente un gain symbolique, témoignant d’un recentrage stratégique qui pourrait attirer d’autres souverainistes déçus de QS. La bataille pour Rosemont en 2026 s’annonce féroce, peu importe les couleurs sous lesquelles Marissal décidera de se présenter.

