Vendredi, Décembre 19, 2025

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Aide médicale à mourir, la mort ou la vie

Le Québec face à son miroir : quand la mort devient un droit et la vie une rareté

Il y a quelque chose de profondément troublant dans l’époque que nous traversons. Une contradiction si massive qu’on ne la voit plus. On la contourne. On la banalise. On la découpe en statistiques. Pourtant, elle saute aux yeux dès qu’on accepte de la regarder sans anesthésie idéologique.

D’un côté, le Québec est devenu, en moins de dix ans, le champion mondial de l’aide médicale à mourir. Près de 8 % de l’ensemble des décès se font maintenant par euthanasie. C’est plus qu’aux Pays-Bas. Plus qu’en Belgique. Plus que partout ailleurs sur la planète.
 De l’autre, le Québec est désormais une société qui ne se renouvelle plus. En 2024, pour la première fois, il y a eu plus de morts que de naissances. 77 400 bébés contre 78 800 décès. Et le taux de fécondité chute à 1,33 enfant par femme, un plancher historique.

Ce n’est pas seulement un enjeu démographique. Ce n’est pas qu’un problème économique. C’est un symptôme métaphysique. Un indice du rapport que cette société entretient désormais avec la vie… et avec la mort.

La mort comme accomplissement rationnel

L’aide médicale à mourir, au Québec, n’est plus un geste exceptionnel. Ce n’est plus une transgression tolérée. C’est devenu un service de santé ordinaire. Une procédure. Un protocole. Une offre.

En 2024-2025, 6 268 Québécois ont reçu l’AMM. Presque un décès sur douze. La courbe ne ralentit pas. Elle accélère. Et tout indique que ce mouvement n’a pas atteint son point de saturation.

Ce ne sont pas des raisons abstraites. Ce ne sont pas des constructions idéologiques. Ce sont des raisons nues. Fatiguées. Concrètes. La douleur. La perte d’autonomie. La solitude. La peur de devenir un poids. L’impression de ne plus être soignable dans un système qui manque de bras, de lits, de temps, d’argent.

Ce que ces motifs révèlent surtout, ce n’est pas une société obsédée par la performance. C’est une société qui ne sait plus comment prendre soin, autrement que par l’acte final. Une société dont le modèle, celui d’un État responsable de tout, du berceau au tombeau comme dirait l’autre (Salut Sam), est en train de craquer de partout.

Les soins de santé sont de plus en plus difficiles à obtenir. Les listes d’attente s’allongent. Les médecins sont épuisés. Les infirmières quittent. Les coûts explosent. L’État s’endette. Et pendant que l’appareil s’essouffle, une solution simple, rapide, juridiquement propre, parfaitement comptabilisable s’impose dans le décor : l’aide médicale à mourir. Et ça, c’est quand le gouvernement ne décide pas d’aller en guerre ouverte contre les médecins…

On ne la promeut jamais officiellement pour des raisons budgétaires. Mais elle tombe à point nommé dans un système saturé. Elle devient une réponse « efficace » là où l’accompagnement est long, coûteux, humainement exigeant. Elle devient, sans qu’on l’avoue, un raccourci administrable à l’impuissance de soigner durablement.

Le danger, ce n’est pas l’aide médicale à mourir (l’euthanasie, disons les vraies choses) en soi. Le danger, c’est l’écosystème dans lequel elle prospère.

Un écosystème où l’État promet de s’occuper de chacun, mais n’en a pas la capacité réelle. Où la dépendance devient un problème de gestion. Où la vulnérabilité devient une charge structurelle. Où mourir finit par apparaître comme une solution propre à un problème sale : celui de la finitude dans un système à bout de souffle.

L’idée sous-jacente est simple : ma vie m’appartient, donc ma mort aussi. Et cette logique est désormais si normalisée qu’on envisage d’inscrire le « droit de mourir dans la dignité » dans une future constitution québécoise. La mort comme droit fondamental. Comme conquête politique. Comme victoire morale.

Nous avons juridiquement sécurisé notre sortie.

La vie comme projet risqué

Pendant ce temps, faire des enfants est devenu un acte lourd. Incertain. Différé. Calculé. Souvent reporté jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

L’âge moyen à la première naissance frôle maintenant les 30 ans. Le coût du logement explose. Les places en garderie manquent. La conciliation travail-famille est devenue un discours creux dans un système qui exige toujours plus. On valorise la mobilité, l’adaptabilité, la disponibilité totale.

Le résultat est brutal : une part importante de femmes québécoises ont moins d’enfants qu’elles le souhaiteraient réellement. Le désir est là. Le réel bloque.

Et politiquement, la natalité n’est plus un sujet. On ne parle plus de transmettre. On parle de compenser par l’immigration. Ce qui est, en soi, un choix de société parfaitement légitime — mais qui confirme une chose : nous avons cessé de nous penser dans la durée biologique.

La pulsion de mort comme climat culturel

Freud parlait de Thanatos, la pulsion de mort, en tension permanente avec Éros, la pulsion de vie. Ce qui frappe aujourd’hui, c’est que ces deux forces ne semblent plus s’équilibrer.

Le Québec contemporain célèbre :

  • l’autonomie jusqu’à la mort,
  • le contrôle de la fin,
  • le refus de la déchéance,
  • la dignité conçue comme absence de dépendance.

Mais il hésite devant :

  • l’irréversibilité de l’enfant,
  • la contrainte radicale qu’impose la vie nouvelle,
  • le désordre qu’introduit la fécondité dans l’existence.

La mort est devenue maîtrisable.
La naissance est devenue risquée.

Ce renversement est vertigineux.

La scène du party de famille

Et pourtant, dans la réalité concrète, quelque chose résiste encore.

Va dans un party de famille avec un bébé. Tu verras.
Tout le monde veut le prendre. Le toucher. Le bercer. Le sentir.
Comme si cette petite vie devenait soudain un objet sacré dans un monde qui n’en produit presque plus.
Comme si l’enfant révélait, par sa simple présence, un manque collectif.

On manque d’enfants. Mais on ne manque pas de discours sur le droit de mourir.

Une civilisation qui apprend à disparaître proprement

Nous sommes peut-être en train d’inventer une forme nouvelle de civilisation : une civilisation qui gère admirablement sa fin, mais qui doute profondément de son commencement.

Une société capable d’organiser juridiquement la mort, mais incapable de se projeter biologiquement dans l’avenir.

Une société où l’on soigne la sortie plus que l’entrée.

La question qu’on n’ose pas poser

La vraie question n’est pas : « Faut-il interdire l’aide médicale à mourir? »

Ce serait un débat moral simpliste.

La vraie question est plus grave : Que dit une société qui, au même moment de son histoire, légalise massivement la mort choisie et renonce collectivement à la naissance?

Que dit-elle de son rapport au temps ?
De son rapport à la fragilité ?
De son rapport au sens ?

Car une société qui ne fait plus d’enfants n’est pas simplement une société vieillissante. C’est une société qui ne se raconte plus dans l’avenir.

Entre dignité et disparition

Le Québec est aujourd’hui parfaitement équipé pour mourir proprement. Mais il semble de moins en moins disposé à faire naître.

Il protège la dignité du dernier souffle. Mais il hésite devant le chaos de la première respiration.

Il a sécurisé le droit de sortir. Il ne sait plus très bien pourquoi il faudrait encore entrer.

Et ce déséquilibre-là, entre la mort parfaitement administrée et la vie devenue rare, ce n’est pas un hasard. C’est un choix civilisationnel, même si nous refusons encore de le nommer ainsi.

Et pendant ce temps, certains veulent parler de souveraineté…

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Francis Hamelin
Francis Hamelin
Francis Hamelin, #MakeThePLQLiberalAgain, est membre des Trois Afueras et écrivain amateur. Technicien en génie mécanique et industriel, il s'intéresse particulièrement aux politiques publiques, l'économie et à la productivité des entreprises et des individus.

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