Mardi, Décembre 16, 2025

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Attentat de Bondi Beach : un père et son fils face aux failles du contre‑terrorisme australien

Une célébration de Hanouka s’est transformée en scène de terreur, dimanche 14 décembre, sur la plage de Bondi à Sydney, en Australie. Un père et son fils ont ouvert le feu sur des familles juives réunies pour un événement communautaire, faisant au moins 15 morts et plus de 40 blessés. Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière qu’ait connue le pays depuis le massacre de Port Arthur, en 1996, et elle soulève des questions embarrassantes sur les failles du renseignement, le suivi des radicalisés et la réponse politique centrée sur les armes à feu.

Une fête de Hanouka virant au cauchemar

En fin d’après‑midi, des centaines de personnes participent à « Hanukkah by the Sea », un rassemblement organisé par le mouvement hassidique Chabad à Archer Park, à deux pas de l’iconique plage de Bondi. Des enfants jouent autour des stands, des familles attendent l’allumage de la ménorah géante, symbole du début de la fête.

Vers 18 h 47, la fête bascule. Deux hommes vêtus de noir prennent position sur une passerelle piétonne surplombant le parc et le stationnement. Ils épaulent leurs armes longues et commencent à tirer en direction de la foule. Les témoins parlent d’une succession de détonations, parfois prises au départ pour des pétards, puis de mouvements de panique alors que les corps tombent et que les gens cherchent à se mettre à l’abri.

Quand les tirs cessent, le bilan est effroyable : au moins 15 personnes ont perdu la vie, plus de 40 autres ont été blessées. Parmi les victimes figurent des parents qui se seraient interposés pour protéger leurs enfants, un survivant de la Shoah, Alexander Kleytman, ainsi que plusieurs membres actifs de la communauté juive locale.

Un duo père‑fils, et un signal ignoré

Rapidement, l’identité des assaillants est révélée : Sajid Akram, 50 ans, et son fils Naveed, 24 ans, habitants de la banlieue sud‑ouest de Sydney. Le père détenait depuis 2015 un permis de catégorie A/B, était membre d’un club de tir et possédait légalement six armes à feu, conformément au cadre en vigueur en Nouvelle‑Galles du Sud. Pour les autorités administratives, il était un détenteur d’armes « régulier », sans antécédent connu.

Le fils, lui, était déjà apparu sur les radars du renseignement. En 2019, l’agence de sécurité intérieure australienne l’a brièvement examiné pour des liens présumés avec une cellule locale de sympathisants de l’État islamique. L’enquête est refermée, l’intéressé étant classé comme ne présentant pas de menace immédiate. Aucun suivi soutenu ne semble avoir été mis en place par la suite.

Après l’attaque, les enquêteurs découvrent dans leur véhicule des drapeaux de l’organisation État islamique, ainsi qu’un engin explosif improvisé qui n’a pas été déclenché. Pour les autorités, ces éléments confirment une radicalisation djihadiste et une attaque ciblant explicitement un rassemblement juif, à la croisée du terrorisme et de l’antisémitisme.

Un héros ordinaire qui a stoppé le massacre

Au milieu des cris et de la confusion, un homme parvient à faire basculer le déroulement de l’attaque. Ahmed Al Ahmed, 43 ans, propriétaire d’une fruiterie à Sydney, se trouvait à proximité lorsque les premiers coups de feu ont retenti. Selon les témoignages, il se met d’abord à couvert, observe la scène, puis profite d’un moment d’inattention de l’un des tireurs pour se jeter sur lui.

Gravement blessé par balle à l’épaule et au torse, il parvient pourtant à plaquer l’assaillant au sol et à lui arracher son arme. Son intervention donne aux policiers le temps nécessaire pour intervenir, abattre Sajid Akram et neutraliser Naveed, grièvement blessé, qui est transféré à l’hôpital sous haute surveillance. Très vite, le parcours d’Ahmed, musulman d’origine syrienne venu en aide à des victimes juives, est mis en avant comme un symbole de solidarité au‑delà des lignes communautaires.

Sécurité intérieure ou contrôle des armes : où se situe vraiment l’échec?

Dans les heures suivant l’attentat, le Premier ministre Anthony Albanese annonce la convocation du cabinet national et promet un nouveau durcissement des lois sur les armes à feu. L’Australie avait déjà durci considérablement son régime après le massacre de Port Arthur, en interdisant notamment certaines armes automatiques et en renforçant l’enregistrement et les permis de possession. L’attentat de Bondi met cette fois en cause non pas l’existence de règles, mais la façon dont la chaîne de sécurité – renseignement, partage d’information et suivi des individus radicalisés – a été appliquée.

Dans ce dossier, le problème ne vient pas d’un vide légal, mais du fait qu’un suspect déjà lié à une mouvance djihadiste a pu, des années plus tard, avoir accès à des armes parfaitement enregistrées dans son propre foyer. Une logique qui n’est pas sans rappeler les débats au Canada, où la majorité des homicides par arme à feu impliquent des armes illégales plutôt que des armes détenues légalement, ce qui soulève la question de l’efficacité réelle des mesures qui ciblent d’abord les propriétaires conformes plutôt que les filières criminelles.

Parmi les mesures évoquées figurent une limitation du nombre d’armes qu’un particulier peut posséder, un renforcement des contrôles périodiques des permis et l’amélioration de l’interopérabilité des registres entre États. Le gouvernement met en avant le fait que Sajid Akram détenait six armes enregistrées pour appuyer son appel à un nouveau durcissement des règles, en soutenant qu’un particulier ne devrait pas pouvoir posséder un tel nombre d’armes.

Sur le terrain, pourtant, les spécialistes des armes à feu rappellent que posséder plusieurs armes reste courant chez les chasseurs et tireurs sportifs, chaque arme ayant un usage distinct. Les fusils utilisés à Bondi étaient des armes longues à répétition, non des armes automatiques de type militaire déjà interdites depuis longtemps.

Surtout, l’un des deux tireurs était lui‑même le détenteur légal des armes. Il disposait du permis, du coffre et des clés. En ce sens, ce n’est pas un défaut de stockage ou un détournement par un tiers qui est en cause, mais la bascule du propriétaire légal vers le terrorisme.

Une alerte ignorée : le précédent de 2019

C’est sur ce point que se cristallise aujourd’hui la critique. Le parcours de Naveed Akram – brièvement surveillé en 2019 pour des liens présumés avec un réseau lié à l’État islamique, puis totalement sorti des radars avant de se retrouver au cœur de l’attentat de Bondi – est désormais cité comme l’illustration la plus flagrante d’un suivi défaillant des radicalisés. Six ans plus tard, il se retrouve impliqué dans un attentat majeur, aux côtés de son père, en utilisant des armes que son père détenait légalement depuis des années.

Cette séquence alimente un débat sur l’organisation du contre‑terrorisme en Australie. Plusieurs questions reviennent avec insistance : les signaux détectés en 2019 ont‑ils été correctement partagés entre services de renseignement, police et autorités chargées des permis d’armes? Des mécanismes existent‑ils pour déclencher automatiquement une révision des permis lorsqu’un membre du foyer est signalé pour radicalisation? La menace des petites cellules familiales radicalisées, agissant presque exclusivement en ligne et à domicile, a‑t‑elle été sous‑estimée?

Pour une partie de l’opposition et plusieurs experts, l’échec est d’abord celui de la coordination et du suivi, plus que celui du texte de loi lui‑même.

Une communauté juive en colère, un pays sous tension

Pour les Juifs d’Australie, l’attaque de Bondi n’est pas un choc isolé, mais l’aboutissement d’une dégradation du climat ressentie depuis plusieurs années. Les incidents antisémites – tags, agressions, intimidations devant des écoles ou des synagogues – sont en hausse, phénomène accentué depuis le déclenchement de la guerre à Gaza.

Des responsables communautaires affirment avoir « prévenu que quelque chose finirait par arriver » et demandent désormais des engagements concrets sur la protection des sites juifs, l’application des lois sur les discours de haine et la lutte contre la radicalisation en ligne. Des dirigeants étrangers, notamment en Israël, aux États‑Unis et en Europe, ont eux aussi condamné l’attentat en le qualifiant explicitement d’attaque antisémite visant des Juifs rassemblés pour Hanouka.

Au niveau politique intérieur, deux récits s’affrontent. Le gouvernement met en avant sa volonté d’agir vite sur le contrôle des armes. Ses adversaires lui reprochent de ne pas assumer les questions plus dérangeantes : comment un individu déjà repéré pour ses liens avec une mouvance djihadiste a‑t‑il pu, des années plus tard, participer à un massacre sans que son environnement – notamment l’accès aux armes au sein du foyer – ne soulève de drapeaux rouges?

Et maintenant?

L’attentat de Bondi Beach condense plusieurs tendances lourdes auxquelles les démocraties occidentales sont confrontées : la persistance d’une menace djihadiste à bas coût, portée par des individus radicalisés localement; la difficulté à gérer les dossiers « intermédiaires », ni totalement inconnus, ni jugés assez dangereux pour justifier une surveillance étroite; et la convergence entre questions de sécurité intérieure et lutte contre l’antisémitisme.

Reste à savoir si la réponse australienne se limitera à un nouveau tour de vis législatif sur les armes, ou si le pays acceptera de se pencher plus profondément sur les angles morts de son contre‑terrorisme. En arrière‑plan, une question s’impose pourtant : ce drame aurait‑il pu être évité si les signaux de 2019 avaient été traités autrement? Et si oui, que faut‑il changer pour réduire au maximum le risque qu’un scénario similaire se reproduise?

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Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier est journaliste pour PiluleRouge.ca. Passionné de politique depuis plus de dix ans, il s'est impliqué à plusieurs reprises sur la scène provinciale. Entrepreneur en informatique, il allie rigueur journalistique et regard critique sur l’actualité. Son approche analytique et son sens de l’humour apportent une perspective unique aux sujets qu’il couvre.

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