La Banque du Canada a maintenu son taux directeur à 2,75% le 30 juillet 2025, marquant une troisième décision consécutive de statu quo dans un contexte économique des plus tumultueux. Le gouverneur Tiff Macklem et la sous-gouverneure principale Carolyn Rogers ont clairement signalé que l’incertitude entourant les tarifs américains dicte désormais la politique monétaire canadienne.
Trois raisons de tenir bon
Dans un contexte où l’Ontario demande des baisses de taux, la Banque maintient le cap pour trois raisons majeures. « Premièrement, l’incertitude entourant les tarifs américains sur le Canada demeure élevée. Les discussions entre le Canada et les États-Unis sont en cours, et la politique américaine reste imprévisible », a expliqué Macklem lors de la conférence de presse.
La deuxième considération révèle une certaine résilience : « Bien que les tarifs américains perturbent le commerce, l’économie canadienne fait preuve jusqu’à présent d’une certaine résilience ». Enfin, la banque centrale observe des pressions inflationnistes sous-jacentes, avec l’inflation près de la cible de 2% mais montrant des signes d’augmentation.
L’économie canadienne dans les montagnes russes
Les données économiques récentes dessinent un portrait saisissant. « Au Canada, nous avons connu une forte croissance au premier trimestre de 2025, principalement parce que les entreprises se précipitaient pour devancer les tarifs », a noté le gouverneur. Mais la réalité du deuxième trimestre frappe durement : « Au deuxième trimestre, l’économie semble s’être contractée, les exportations vers les États-Unis ayant chuté brusquement ».
Cette volatilité s’explique par une course contre la montre des entreprises canadiennes. Au premier trimestre, la croissance a atteint 2,2% grâce à cette ruée vers les exportations anticipées. Le revers de la médaille? Une contraction sévère au deuxième trimestre.
Le marché du travail résiste… pour l’instant
Malgré les turbulences, l’emploi montre une certaine résistance. « Sur le marché du travail, nous observons des pertes d’emplois dans les secteurs qui dépendent du commerce avec les États-Unis, mais l’emploi continue de croître dans d’autres parties de l’économie ». Le taux de chômage a néanmoins grimpé modestement à 6,9%.
Cette dichotomie révèle une économie à deux vitesses : les secteurs liés au commerce américain souffrent tandis que le reste de l’économie maintient une croissance de l’emploi.
Inflation : la bête à dompter
L’inflation demeure le nerf de la guerre pour la Banque du Canada. Si l’inflation globale frôle les 2% grâce à l’élimination de la taxe carbone, l’inflation sous-jacente raconte une autre histoire. « Un ensemble d’indicateurs suggère que l’inflation sous-jacente est passée d’environ 2 % au second semestre de l’an dernier à environ 2,5 % récemment ».
Les mesures préférées de la banque centrale, la moyenne tronquée et la médiane tronquée, tournent autour de 3%, soulevant des préoccupations légitimes. Cette hausse reflète principalement une augmentation des prix des biens non énergétiques.
Trois scénarios pour naviguer l’incertitude
Face à l’imprévisibilité de la politique commerciale américaine, la Banque du Canada abandonne les prévisions traditionnelles au profit de trois scénarios distincts : maintien des tarifs actuels, escalade ou désescalade.
Dans le scénario de base, la croissance reprend après la contraction du deuxième trimestre, atteignant environ 1% en seconde moitié d’année. Pour 2026 et 2027, la croissance se rapprocherait de 2%, mais sur une trajectoire définitivement plus basse à cause des tarifs.
Les tarifs : une cicatrice permanente
Macklem n’a pas mâché ses mots concernant l’impact à long terme : « malheureusement, la triste réalité, c’est que les tarifs font en sorte que l’économie fonctionnera moins efficacement. Cela signifie qu’il y aura moins de revenus ». Cette réalité implique une économie sur une trajectoire définitivement plus basse, même si la croissance reprend.
Les secteurs directement touchés, comme l’acier et l’aluminium avec leurs tarifs de 50%, subissent des impacts « sévères et directs ». Le gouverneur a souligné que « les tarifs américains ont un impact profond sur les secteurs auxquels ils ont été directement appliqués ».
Tensions entre Doug Ford et la Banque du Canada
Le premier ministre ontarien Doug Ford a exprimé sa stupéfaction face à cette décision, réclamant une baisse immédiate des taux. La réponse de Macklem fut sans équivoque : « Nous prenons nos décisions de façon indépendante du processus politique. Nous les prenons selon notre meilleur jugement ».
Cette friction illustre la pression politique croissante sur la banque centrale, mais aussi sa détermination à maintenir son indépendance face aux pressions externes.
Vers une baisse conditionnelle?
Malgré le maintien du taux, la Banque du Canada laisse la porte ouverte à un assouplissement futur. « Si un affaiblissement de l’économie exerce davantage de pressions à la baisse sur l’inflation et que les pressions à la hausse sur les prix liées aux perturbations commerciales sont contenues, il pourrait être nécessaire de réduire le taux directeur ».
Cette déclaration suggère que les prochaines décisions dépendront de quatre facteurs clés : l’impact des tarifs sur les exportations canadiennes, les répercussions sur l’investissement et l’emploi, la transmission des coûts tarifaires aux consommateurs, et l’évolution des attentes inflationnistes.
L’art de naviguer en eaux troubles
La Banque du Canada se trouve dans une position délicate, jonglant entre soutien économique et contrôle de l’inflation. « Nous continuerons de soutenir la croissance économique tout en veillant à ce que l’inflation demeure bien maîtrisée », a réitéré Macklem.
Cette approche prudente reflète une institution consciente des défis inédits posés par le protectionnisme américain. Comme l’a souligné le gouverneur : « Nous sommes prêts à réagir à de nouvelles informations ».
La stratégie de la Banque du Canada révèle une institution qui refuse de céder à la panique tout en restant vigilante face aux risques. Dans un monde où l’imprévisibilité est devenue la norme, cette approche mesurée pourrait bien être la meilleure défense du Canada contre les tempêtes économiques à venir.