La diversion constitutionnelle d’un gouvernement en perte de confiance
La Coalition Avenir Québec a visiblement trouvé sa recette miracle pour faire oublier ses déboires : prendre une pincée d’identité, une dose de symboles et une cuillerée de pouvoir arbitraire, mélanger le tout dans un grand chaudron législatif et servir bien chaud sous le nom pompeux de « Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec ». Ce projet de loi no 1, présenté par Simon Jolin-Barrette, prétend rien de moins qu’édicter la Constitution du Québec. Ironie du sort : il arrive alors que le gouvernement Legault s’enlise dans une crise de crédibilité sans précédent, frappé de plein fouet par la lassitude citoyenne et le dégoût d’un État devenu usine à fiascos.
Quand les hôpitaux débordent, que les écoles s’effritent et que les projets industriels virent au cauchemar bureaucratique, la CAQ trouve refuge dans le symbolique. On détourne le regard des urgences engorgées et de la SAAQ numérique qui s’effondre sous son propre poids pour parler d’« autonomie constitutionnelle » et de « nation québécoise indivisible ». Bref, plutôt que de réparer les égouts, on repeint la façade du palais.
Des mots creux érigés en principes sacrés
La lecture du texte laisse songeur. L’État s’y autoproclame « loi des lois » et érige sa Constitution au-dessus de tout le reste. C’est le dogme au service de l’autosatisfaction : l’État qui s’adore lui-même. Le texte pullule de formules solennelles aussi vagues que tonitruantes. Les « caractéristiques fondamentales du Québec » deviennent le nouveau saint triptyque : la laïcité, le modèle d’intégration nationale et la tradition civiliste. Traduction : la bureaucratie se découvre une âme et la grave dans le granit.
Le « modèle d’intégration à la nation québécoise », présenté comme distinct du multiculturalisme canadien, trahit une obsession : figer la culture dans une essence unique, comme si la nation n’était pas un organisme vivant, mais un musée à conserver sous cloche. Ce nationalisme d’apparat s’arroge le monopole du bon goût et du bon citoyen. On célèbre la diversité, mais seulement si elle s’intègre « à la nation », concept aussi extensible qu’un élastique de pantalon.
Quant à la « souveraineté parlementaire », on y lit moins une défense de la démocratie qu’un avertissement à peine voilé : ne contredisez pas le pouvoir, il sait mieux que vous. Le Parlement se proclame souverain dans ses domaines, et les tribunaux sont invités à interpréter le droit « dans le respect de la souveraineté parlementaire ». On croirait entendre un monarque constitutionnel en quête de révérence. La primauté du droit? Oui, mais seulement si elle ne dérange pas l’exécutif.
Les libertés individuelles écrasées sous le poids du collectif…
Sous couvert de protéger les droits et libertés, le texte consacre surtout leur relativisation. Il inscrit la Charte québécoise dans la Constitution, tout en précisant que les libertés individuelles doivent s’équilibrer avec les « droits collectifs de la nation québécoise ». En clair, l’individu s’incline devant le collectif, mais un collectif défini par le gouvernement lui-même.
Et lorsque l’État tranche d’avance quel droit prime sur l’autre par exemple en décrétant que l’égalité des sexes l’emporte systématiquement sur la liberté de religion il retire au juge toute capacité d’arbitrage. Il n’y a plus de dialogue entre les droits, mais une hiérarchie imposée par décret. C’est la justice par communiqué de presse.
Cette logique d’exception s’étend à tout ce qui touche l’identité nationale. Une loi linguistique ou religieuse contestée? Intouchable, car sanctifiée par le sceau de la « protection de la nation ». Une politique discriminatoire ou disproportionnée? Défendable, puisqu’elle participe à l’« autonomie constitutionnelle du Québec ». Le vernis juridique cache mal la volonté politique : ériger les valeurs caquistes en dogme d’État, quitte à transformer la loi en catéchisme.
Contre-pouvoirs neutralisés, justice domestiquée
Ce projet constitutionnel trahit une obsession du contrôle. Le gouvernement y interdit carrément aux organismes publics d’utiliser des fonds pour contester des lois proclamées « protectrices de la nation ». Ainsi, une université, une municipalité ou une commission des droits ne pourrait plus financer un recours contre une loi liberticide sans contrevenir à cette nouvelle orthodoxie. Le message est clair : vous êtes libres d’être d’accord.
Les tribunaux, quant à eux, sont rappelés à l’ordre. Un juge ne pourra plus soulever de sa propre initiative la question de la constitutionnalité d’une loi. Le projet prévoit que le tribunal « ne peut se saisir de sa propre initiative » de telles questions. C’est la version québécoise de « circulez, il n’y a rien à voir ». On prétend défendre la primauté du droit tout en bâillonnant ceux qui en sont les gardiens.
Et pour compléter le dispositif, on invente un « Conseil constitutionnel » québécois, nommé par l’Assemblée nationale, chargé d’émettre des avis sur la Constitution. Une sorte de clergé d’État, composé de fidèles cooptés, chargé d’interpréter la nouvelle bible caquiste. Plus besoin d’un arbitre indépendant : l’interprétation de la Constitution sera désormais maison, cuisinée à la sauce gouvernementale.
Le culte de l’État au détriment du citoyen
Tout, dans ce projet, transpire la centralisation, la verticalité et la prétention à l’absolu. On y parle d’« indivisibilité du territoire », de « souveraineté culturelle », de « modèle unique d’intégration ». On remplace le lieutenant-gouverneur par un « officier du Québec », comme si rebaptiser les institutions suffisait à se libérer du carcan fédéral. Symbolisme creux, mais fort utile pour détourner l’attention d’une administration qui ne livre plus la marchandise.
Ce culte du symbolique masque mal un désamour profond envers la liberté. Le citoyen n’est plus un acteur, mais un élément d’une masse nationale que l’État modèle à sa convenance. L’individu devient instrument d’un récit collectif écrit d’avance, un figurant dans le grand théâtre de l’unité identitaire.
Sous prétexte de défendre la nation, on prépare une société disciplinée, cadrée, hiérarchisée, où la contestation devient inconvenante. Et pendant que le citoyen s’épuise à attendre un médecin de famille ou un autobus à l’heure, on lui explique que la vraie priorité, c’est de protéger la Constitution des bureaucrates.
Le Québec mérite une République, pas un catéchisme
Cette « Constitution du Québec » n’a de constitution que le nom. C’est une proclamation idéologique déguisée en texte fondateur. Une tentative de canoniser les obsessions politiques du moment sous couvert de solennité. Loin de réaffirmer les libertés, elle les encadre. Loin de protéger le droit, elle l’instrumentalise.
Ce projet n’est pas un élan de liberté, mais un réflexe de contrôle. Il ne vise pas à renforcer la démocratie, mais à s’en prémunir. Il fait de la nation un paravent pour l’autorité. Le libéralisme, le vrai, celui qui protège l’individu contre l’État, en sort excommunié.
Le Québec n’a pas besoin d’un texte qui le glorifie, mais d’un État qui le serve. D’une Constitution qui libère, pas d’un catéchisme qui soumet.
Sacraliser l’absurde, c’est toujours un bon moyen de gouverner sans répondre. Mais gouverner sans répondre, c’est précisément ce qui a conduit la CAQ à perdre la confiance qu’elle tente aujourd’hui de reconquérir à coups de parchemins symboliques.
Et à la fin, quand les slogans se tairont et que les institutions craqueront sous leur propre poids, il ne restera qu’une évidence : une nation libre ne se décrète pas, elle se mérite.
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Samuel Rasmussen, alias Le Blond Modéré, est membre des Trois Afueras et collaborateur du podcast Ian & Frank. Titulaire d'une formation en relations internationales à l'Université de Sherbrooke, il s'intéresse particulièrement à la géopolitique, aux zones d'influence et aux différentes formes de pouvoir.