Le Parti libéral du Québec traverse actuellement une crise profonde qui secoue ses fondations, à moins d’un an des élections provinciales prévues en octobre 2026. La tourmente touche à la fois le leadership, l’intégrité du processus démocratique interne et la cohésion de son caucus parlementaire.
Allégations de paiements lors de la course à la chefferie
Au cœur de la crise se trouvent des révélations troublantes publiées le 18 novembre 2025 par le Bureau d’enquête de Québecor. Des échanges de textos obtenus par Élections Québec laissent entendre que des membres du PLQ ayant appuyé Pablo Rodriguez durant sa course à la chefferie au printemps 2025 auraient reçu de l’argent en échange de leur soutien.
Les messages évoquent notamment l’expression «il faut encore payer pour que le monde vote Pablo» et font référence à des «brownies» comme récompenses pour des militants. Ces textos proviendraient de deux personnes qui auraient travaillé activement à l’élection de Pablo Rodriguez lors de la course au leadership qui s’est conclue le 14 juin 2025.
Le président du PLQ, Rafael Primeau-Ferraro, a admis que le parti avait eu vent d’allégations «vagues» en ce sens dès le mois d’avril 2025, en pleine campagne à la chefferie, mais qu’aucune enquête n’avait été lancée à l’époque. Rodriguez lui-même affirme avoir été tenu dans l’ignorance et a ordonné une enquête externe indépendante le 18 novembre pour «faire toute la lumière» sur ces allégations graves.
Demande d’intervention de l’UPAC
Le chef du Parti conservateur du Québec (PCQ), Éric Duhaime, a réclamé mercredi matin l’intervention de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) dans ce dossier. Lors d’une conférence de presse, Duhaime a comparé les allégations aux «moments sombres» de la Commission Charbonneau, affirmant que «ces textos auraient pu être lus à l’époque par Sonia Lebel quand elle était procureure à la Commission Charbonneau».
Le chef conservateur souligne «qu’on n’est plus juste dans la loi électorale, on est dans des allégations qui pourraient potentiellement être criminelles». Il a recensé qu’il y aurait potentiellement déjà trois enquêtes ouvertes: celle du Directeur général des élections du Québec (DGEQ), celle de la commissaire à l’éthique concernant l’utilisation présumée de fonds parlementaires à des fins partisanes, et l’enquête externe mandatée par le PLQ. Duhaime souhaite qu’une quatrième enquête soit lancée par l’UPAC.
«D’où vient cet argent, ces bruns […] Est-ce qu’il y a encore des firmes qui sont derrière ça? Est-ce que c’est les mêmes qui ont été au cœur du scandale de la Commission Charbonneau?» s’est questionné le chef conservateur. Malgré la gravité de ses accusations, Duhaime a maintenu une certaine prudence: «Pour l’instant, il faut être prudent. Ce sont des allégations, ce sont des possibilités […] mais ce sont des allégations qui sont tellement sérieuses que les enquêteurs doivent se mettre au travail».
Suspension de la cheffe parlementaire Marwah Rizqy
La crise s’est amorcée le 17 novembre 2025 lorsque Marwah Rizqy, qui était cheffe parlementaire du PLQ (cheffe de l’opposition officielle), a congédié sans préavis Geneviève Hinse, sa directrice de cabinet et proche collaboratrice de Pablo Rodriguez. Rizqy aurait agi unilatéralement, sans en avertir le chef, les officiers du parti ni les membres du caucus.
Selon une source libérale, Rizqy soupçonnait Hinse d’avoir utilisé des fonds publics de l’Assemblée nationale pour financer des activités partisanes du chef lors de tournées en régions. Dans sa lettre de congédiement, Rizqy reprochait à Hinse une «faute grave», sans plus de précision.
Le lendemain, le 18 novembre, Pablo Rodriguez a suspendu Rizqy du caucus libéral pour «bris de confiance», la privant de ses fonctions de cheffe parlementaire. Rodriguez a déclaré ne pas connaître les motifs du congédiement de sa collaboratrice de longue date, affirmant que la situation a été «une surprise totale» pour lui et les membres du caucus.
Le député de Pontiac, André Fortin, a été nommé nouveau chef parlementaire de l’opposition officielle, tandis que Marc Tanguay, ancien chef intérimaire et député de LaFontaine, devient whip de l’aile parlementaire.
Questions sur la légitimité du leadership
Les révélations des éventuels pots de vin lors de la chefferie libérale soulèvent des questions sur la légitimité du leadership de Pablo Rodriguez. Éric Duhaime a soulevé des interrogations troublantes: «Est-ce que c’est ça qui a fait qu’aujourd’hui il a été chef? […] Rappelez-vous que les résultats étaient quand même assez serrés à la surprise générale».
Il a rappelé que Charles Milliard avait «chauffé pas mal» Rodriguez au deuxième tour de la course: «Est-ce qu’avec un brun, acheter un vote à gauche, pas à droite, est-ce que c’est ça qui a pu faire la différence?». Rodriguez avait remporté la course à la chefferie le 14 juin 2025 au deuxième tour avec 52,3% des voix contre Milliard, ancien président de la Fédération des chambres de commerce du Québec.
Interrogé sur la responsabilité personnelle de Rodriguez, Duhaime a déclaré: «Pour l’instant, il n’y a rien qui indique que M. Rodriguez était au courant […] Cela étant dit, pour l’instant, il n’est coupable de rien, mais ça prend des enquêtes».
Impact politique et réactions
Cette crise survient au pire moment pour le PLQ. Après des années dans le désert politique avec moins de 10% d’appui chez les francophones, le parti avait réussi à remonter dans les sondages récents. Selon un sondage Léger de novembre 2025, le PLQ se situe à 27% des intentions de vote, à seulement cinq points du Parti québécois qui mène à 32%. La suspension de Marwah Rizqy fragilise l’aile parlementaire du PLQ.
Duhaime a déploré que cette crise occulte les travaux parlementaires importants: «Au cours des prochaines semaines, voire même des prochains mois, l’opposition officielle risque d’être engluée par un autre scandale au niveau éthique […] ça augmente le cynisme de la population et ça paralyse malheureusement les travaux sur bien des enjeux».
Le chef conservateur a élargi sa critique au-delà de Rodriguez: «C’est délicat pour l’ensemble du Parti libéral du Québec, parce que je ne pense pas que même bien avant l’arrivée de M. Rodriguez, on a entendu ce genre d’histoire-là, malheureusement, pendant plusieurs années». Il a ajouté: «On pensait que le Parti libéral avait fait un certain ménage […] Aujourd’hui, malheureusement, ces allégations-là laissent un rappel, un mauvais souvenir».
Cette nouvelle crise plonge donc le PLQ dans l’incertitude alors que les élections générales de 2026 approchent et que le parti tentait de reconquérir l’électorat francophone qui l’a massivement délaissé depuis les élections désastreuses de 2018 et 2022.


