C’est officiel : les Québécois passent plus de temps aux urgences que n’importe où ailleurs au Canada. Une nouvelle étude de l’Institut économique de Montréal (IEDM) révèle des écarts sidérants entre les provinces et une détérioration généralisée depuis 2020.
Il faut parfois avoir du temps devant soi pour se rendre aux urgences au Québec. Beaucoup de temps. Selon les dernières données compilées par l’IEDM, les patients québécois passent en moyenne 5 heures et 23 minutes dans les services d’urgence, soit presque le double du temps d’attente à Terre-Neuve-et-Labrador, où la médiane s’établit à seulement 2 heures et 45 minutes.
L’étude, publiée mardi par les économistes Emmanuelle B. Faubert, Krystle Wittevrongel et Samantha Dagres, dresse un portrait peu reluisant des urgences canadiennes. Et le Québec n’a vraiment pas de quoi pavoiser. Une tendance inquiétante qui ne date pas d’hier. Depuis 2020, toutes les provinces – y compris le Québec – ont vu leurs délais s’allonger, tant pour la durée totale de séjour que pour le temps avant de voir un médecin. Et rien n’indique un renversement prochain.
Des écarts qui donnent le vertige
Les variations entre établissements sont tout simplement hallucinantes. Pendant qu’un patient de la clinique médicale Bay d’Espoir à Terre-Neuve-et-Labrador ressort au bout de 29 minutes, son homologue du Pavillon Albert-Prévost au Québec devra patienter plus de 13 heures et 5 minutes. Un écart de plus de 12 heures pour recevoir des soins d’urgence dans le même pays et censé être standardisé d’un bout à l’autre du pays.
« Il s’agit là d’un écart considérable », notent sobrement les auteurs de l’étude, dans ce qui constitue probablement l’euphémisme de l’année en matière de santé publique.
Une dégradation généralisée depuis la pandémie
Mauvaise nouvelle : la situation se détériore partout au pays depuis 2020. Toutes les provinces analysées ont vu leurs temps d’attente augmenter, tant pour la durée totale de séjour que pour le délai avant d’être pris en charge par un médecin.
L’Île-du-Prince-Édouard remporte la palme de la dégradation avec une hausse spectaculaire : les patients attendent maintenant 1 heure et 35 minutes de plus qu’il y a cinq ans pour voir un médecin (une augmentation de 114,5%) et passent 51,8% plus de temps aux urgences.
Au Québec, même si les chiffres absolus restent les plus élevés du pays, la progression de la détérioration suit la tendance nationale. Une bien maigre consolation.
Le « chaînon manquant » des soins d’urgence
Les auteurs pointent du doigt un problème fondamental : le manque d’alternatives pour les urgences mineures. « Ce genre de situation pourrait être considéré comme le « chaînon manquant » des soins d’urgence », expliquent-ils.
Quand on se fracture un os ou qu’on a besoin de points de suture, on se retrouve coincé entre un médecin de famille qui ne peut pas nous traiter et des urgences qui nous feront poireauter des heures parce que notre cas n’est pas prioritaire. Ce flou entre les soins primaires et les urgences crée un angle mort du réseau, où personne ne prend vraiment le relais.
La solution française
L’IEDM propose de s’inspirer du modèle français des centres médicaux de soins immédiats. Ces cliniques privées spécialisées dans les urgences mineures permettent de désengorger les hôpitaux tout en offrant des soins rapides pour les cas non vitaux. Le concept, déjà bien implanté en France, propose une réponse ciblée, rapide et moins coûteuse pour les cas mineurs, tout en dégageant les hôpitaux pour les situations critiques.
« Les patients souffrant d’urgences relativement mineures peuvent recevoir plus rapidement les soins requis, alors que le système hospitalier traditionnel doit prioriser les cas selon leur urgence et de leur gravité », soulignent les auteurs.
Ces établissements disposent des équipements nécessaires pour effectuer analyses sanguines et examens d’imagerie sur place, rendant le processus « plus rapide et plus efficace ».
Des données qui parlent
L’étude s’appuie sur les données de huit provinces pour l’exercice financier 2024-2025. Deux indicateurs ont été retenus : la durée totale de séjour aux urgences et le délai avant la prise en charge par un médecin.
Pour ce second indicateur, l’Ontario et l’Alberta s’en sortent le mieux avec une médiane de 1 heure et 30 minutes, tandis que l’Île-du-Prince-Édouard traîne de la patte avec 2 heures et 58 minutes.
Même dans les provinces les mieux classées, comme l’Alberta et l’Ontario, les délais augmentent depuis 5 ans. Le mal est donc national, pas régional.
Une tendance lourde à inverser
« Les Canadiens attendent de plus en plus longtemps avant de recevoir des soins dans un service d’urgence », constatent les auteurs. Une détérioration que l’IEDM attribue à un double blocage : un accès insuffisant aux soins primaires, et un manque criant d’alternatives pour les urgences non vitales.
L’IEDM conclut qu’adapter le modèle français aux systèmes provinciaux « pourrait contribuer à combler le « chaînon manquant » en matière de soins d’urgence » et « réduire le nombre de visites aux urgences et, souhaitons-le, inverser la tendance actuelle ».
En attendant, les Québécois peuvent toujours apporter un bon livre aux urgences. Ils auront largement le temps de le finir.