Les 55 000 travailleurs de Postes Canada ont déclenché une grève générale le 25 septembre, au lendemain d’une annonce gouvernementale qui sonne le glas du service postal tel qu’on le connaît. Cette fois, ce n’est plus seulement une guerre de salaires : c’est un plan de sauvetage radical qui expose crûment le coût de décennies d’inaction pour les contribuables canadiens.
La facture salée pour les contribuables
Les chiffres font mal. Postes Canada traîne des déficits chroniques depuis sept années consécutives, accumulant plus de 5 milliards $ de pertes sur la dernière décennie, une somme dont les contribuables canadiens sont ultimement responsables. La société d’État engloutit actuellement 10 millions $ par jour en pertes , avec un déficit prévu de 1,5 milliard $ en 2025.
Cette hémorragie était pourtant prévisible. Un rapport d’Ernst and Young de 2016 anticipait déjà des déficits significatifs de 700 millions $ vers le milieu des années 2020. Pourtant, aucune mesure n’a été prise pour corriger la trajectoire du monopole public, particulièrement ses coûts de main-d’œuvre excessivement élevés qui représentent 65% des dépenses totales et nuisent à sa compétitivité.
Le gouvernement a déjà injecté 1 milliard $ cette année pour maintenir les opérations à flot. Sans changements radicaux, des renflouements annuels d’un milliard de dollars pourraient devenir la nouvelle norme , transformant Postes Canada en gouffre financier permanent aux frais des contribuables.
Trois camps, trois visions inconciliables
Le gouvernement face au mur
Face à cette catastrophe financière, le ministre Joël Lightbound n’a d’autre choix que de décréter trois mesures drastiques :
Fin de la livraison à domicile : Le moratoire sur les boîtes postales communautaires est levé pour 4 millions d’adresses, visant 400 millions $ d’économies annuelles.
Ralentissement des délais : Le courrier passera de 2-4 jours à 3-7 jours, épargnant 20 millions $ par année. Fermetures rurales : Le moratoire protégeant 4000 bureaux ruraux depuis 1994 tombe, menaçant 958 bureaux au Québec.
Selon Lightbound, Postes Canada constitue une institution qui nécessite un sauvetage urgent , l’entreprise vivant actuellement son trimestre le plus difficile de son histoire.
Les travailleurs dans le déni
Le STTP persiste dans ses revendications déconnectées de la réalité financière : augmentations salariales de 19% sur quatre ans, amélioration des conditions de travail, maintien des régimes de retraite à prestations déterminées. Postes Canada juge ces demandes syndicales inabordables et insoutenables , estimant qu’elles ajouteraient des milliards de dollars en coûts fixes à long terme.
De leur côté, les dirigeants syndicaux recommandent unanimement à leurs membres de refuser catégoriquement les offres patronales du 28 mai. Le syndicat dénonce ce qu’il considère comme une attaque directe contre le service postal , sans reconnaître sa part de responsabilité dans la débâcle financière. Cette intransigeance condamne les contribuables à financer indéfiniment un monopole défaillant.
Postes Canada prise en étau
La direction se retrouve coincée entre les exigences syndicales impossibles à satisfaire et les directives gouvernementales de redressement. Doug Ettinger, PDG, doit composer avec un syndicat qui adopte une position de plus en plus rigide dans les négociations tout en tentant de sauver une entreprise en perdition.
Le prix de l’inaction pour les citoyens
Cette paralysie complète les services postaux essentiels : aucun courrier ni colis traité, fermeture de bureaux de poste, suspension des garanties de service. Les PME, qui dépendent à 75% de Postes Canada , encaissent un nouveau choc après avoir déjà perdu plus d’un milliard de dollars lors de la grève de 2024.
Des alternatives privées existent, mais les citoyens se retrouvent contraints de les utiliser en urgence pendant les grèves. Cette situation expose brutalement l’absurdité du monopole postal : les citoyens paient deux fois – d’abord via leurs impôts pour subventionner un service défaillant à hauteur de 10 millions $ par jour, puis ils doivent se débrouiller ailleurs quand ce service cesse brutalement de fonctionner.
Les oubliés des régions : victimes d’un système dysfonctionnel
Les personnes âgées et les communautés rurales paient le prix fort de décennies de mauvaise gestion. La FADOQ craint la perte du contact quotidien avec les facteurs , tandis que des députés comme Marilène Gill et Claude DeBellefeuille dénoncent une réforme imposée sans consultation adéquate.
Ces populations se retrouvent maintenant prises en otage par une crise qu’elles n’ont pas créée : elles perdent leurs services essentiels pour colmater les fuites financières d’une société d’État mal gérée depuis des années.
La solution allemande : quand la privatisation profite aux citoyens
L’expérience allemande démonte les arguments du statu quo et démontre les bénéfices concrets de la privatisation pour les contribuables et les consommateurs. Entre 1989 et 2008, l’Allemagne a libéralisé progressivement son marché postal et privatisé Deutsche Post.
Des résultats spectaculaires pour les consommateurs
Les gains sont indéniables : les prix des timbres ont chuté de 10% en termes réels depuis 1989, contrastant avec le Canada où ils ont augmenté de 50% sur la même période. Cette baisse s’accompagne d’une amélioration de la qualité de service : l’Allemagne surpasse généralement les autres pays européens pour les délais de livraison internationale selon l’International Post Corporation.
Le dynamisme entrepreneurial explose : au lieu d’un monopole sclérosé, les consommateurs allemands bénéficient des services d’environ 400 entreprises offrant des services universels et de 11 000 compagnies proposant d’autres services postaux, dépassant largement tous les autres pays européens.
Un modèle à adapter pour le Canada
Les économistes Geloso et Giguère proposent un plan de privatisation accéléré pour éviter les écueils allemands. Leur recommandation : distribuer 40% des actions aux employés dès la première année pour aligner leurs intérêts avec la performance de l’entreprise, puis ouvrir complètement le marché à la concurrence la deuxième année.
Cette approche éviterait le dépouillement d’actifs tout en créant des pressions concurrentielles salutaires. Les employés de l’entreprise, en tant qu’actionnaires, auraient de forts incitatifs à résister aux tentatives de dépouillement d’actifs.
Réponse aux préoccupations rurales
Concernant les services ruraux, l’étude propose une solution pragmatique : une compensation directe aux personnes concernées serait plus efficace et moins coûteuse que de subventionner le service avec des prix réglementés. L’amélioration de la déduction fiscale pour les résidents du Nord pourrait compenser les tarifs postaux plus élevés.
L’évidence des chiffres
La réforme allemande a forcé Deutsche Post à réduire ses effectifs de près de 50% entre 1990 et 2004 tout en améliorant son efficacité. Cette rationalisation, impossible dans un monopole public soumis aux pressions politiques, devient naturelle dans un environnement concurrentiel.
Les économistes sont formels : la privatisation tend à être plus réussie pour réduire les coûts d’exploitation lorsqu’elle s’accompagne de libéralisation permettant la concurrence.
L’urgence de changer de paradigme
Le problème de Postes Canada est simple : quand on n’a pas de concurrence, on n’a pas besoin de bien performer. Sa part de marché des colis est passée de 62% en 2019 à seulement 24% en 2024, mais cela n’a rien changé pour sa direction ou ses employés, illustrant cette incapacité structurelle à s’adapter.
Pendant que les syndicats maintiennent leurs revendications irréalistes et que le gouvernement injecte des milliards pour maintenir artificiellement un monopole défaillant, ce sont les contribuables canadiens qui paient la note.
La question demeure : le Canada est-il prêt à abandonner définitivement l’idéal du service postal universel pour embrasser la logique de marché ? Cette grève pourrait bien être le dernier soubresaut d’un modèle à bout de souffle, ou le signal d’alarme nécessaire pour repenser entièrement notre rapport au service public. Dans un cas comme dans l’autre, l’heure des demi-mesures semble révolue.