Jeudi, octobre 23, 2025

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Immigrants surqualifiés et sous-payés : le gâchis canadien

Une nouvelle étude de l’Institut Fraser jette un pavé dans la mare: le Canada attire des immigrants hautement qualifiés, mais les laisse gagner des salaires bien inférieurs à ceux des Canadiens de naissance. Une situation qui contraste radicalement avec les États-Unis.​

Le constat est brutal. En 2020, les immigrants issus de minorités visibles détenant un baccalauréat ou plus gagnaient un revenu médian de 57 200$, contre 68 300$ pour les Canadiens de naissance. Un écart de 11 100$. Pour les diplômes avancés, le fossé s’élargit: 65 500$ pour une maîtrise contre 84 400$ pour les natifs, et 84 000$ pour un doctorat contre 100 000$.​

Aux États-Unis, le portrait s’inverse complètement. Les immigrants hautement qualifiés y empochent un revenu médian des ménages de 122 000$ en 2022, dépassant leurs homologues américains de naissance qui gagnent 113 000$.​

Un immigrant sur quatre occupe un emploi sous ses qualifications

Au Canada, 26,7% des immigrants récents qui détiennent un diplôme universitaire travaillent dans des emplois qui n’exigent qu’un diplôme secondaire ou moins. C’est trois fois plus que chez les travailleurs canadiens de naissance.

Imaginez un ingénieur qui travaille comme caissier, ou un médecin qui fait du service à la clientèle. C’est la réalité de milliers d’immigrants qualifiés au pays.

Aux États-Unis, près d’un immigrant diplômé universitaire sur quatre connaît aussi une sous-utilisation de ses compétences, mais ce taux est d’environ 18% chez les natifs diplômés. Le problème existe, mais il est moins grave qu’au Canada.​

Statistique Canada confirme la tendance. Selon des données de décembre 2024, le salaire d’entrée médian des immigrants de la Catégorie de l’expérience canadienne a chuté à 52 400$ en 2022, une baisse de 4,2% par rapport à l’année précédente.

Ce programme permet aux travailleurs étrangers temporaires et aux diplômés d’établissements canadiens d’obtenir la résidence permanente après avoir acquis au moins un an d’expérience de travail qualifié au Canada. Pour ceux qui arrivent uniquement avec un permis d’études, le salaire médian plonge à 17 400$. Les immigrants sans expérience canadienne gagnent 27 900$.

Un manque à gagner de 50 milliards par année

Selon le Conference Board du Canada, cette sous-utilisation des talents représente un manque à gagner estimé à 50 milliards de dollars par année pour l’économie canadienne.

Quand des immigrants qualifiés occupent des emplois sous leur niveau de compétence, ils produisent moins de richesse, paient moins d’impôts et dépensent moins dans l’économie. Le pays ne profite pas de leur plein potentiel. C’est cette différence entre ce qu’ils pourraient contribuer et ce qu’ils contribuent réellement qui représente ce manque à gagner.

Les immigrants représentaient 23% de la population canadienne en 2021, contre 14,3% aux États-Unis en 2023. Le pays attire proportionnellement plus d’immigrants qualifiés que son voisin américain. En 2021, 55,3% des immigrants récents au Canada détenaient un baccalauréat ou plus, comparé à 45% aux États-Unis.​

Les immigrants sont particulièrement présents dans les métiers techniques. Ils comptent pour 35% des programmeurs informatiques au Canada, 43% des ingénieurs, 55% des concepteurs de logiciels et 57% des chimistes.​

Le taux d’emploi révèle l’ampleur du problème. Au Canada en 2021, 79,1% des immigrants récents hautement qualifiés avaient un emploi, contre 87,4% des Canadiens de naissance avec le même niveau d’éducation. Aux États-Unis, les taux d’emploi sont pratiquement identiques entre immigrants et natifs hautement qualifiés: environ 72% pour les immigrants contre 71% pour les natifs.​

Un écosystème technologique à deux vitesses

Les auteurs Jock Finlayson et Steven Globerman pointent du doigt l’environnement économique. Les sept plus grandes entreprises technologiques américaines investissent collectivement dix fois plus en recherche et développement que l’ensemble du secteur privé canadien.​

Les salaires dans la technologie aux États-Unis dépassent de 46% ceux du Canada après ajustement pour le coût de la vie. À Toronto, les ingénieurs gagnent 40% du salaire de leurs homologues de San Francisco. À Vancouver, les développeurs de logiciels empochent la moitié du salaire de ceux de Seattle.​

L’économiste et chercheur en immigration Mikal Skuterud explique dans l’étude que « les pays comme le Canada, avec un filet de sécurité sociale relativement généreux et moins d’inégalités de revenus, ont tendance à attirer les gens du bas de la distribution mondiale des compétences » (Countries like Canada, with a relatively rich social safety net and less income inequality, tend to attract people at the lower end of the global skill distribution).​

Les plus talentueux gravitent vers les États-Unis où les rendements financiers sur leurs compétences sont supérieurs. Les taux d’imposition personnels plus élevés au Canada qu’aux États-Unis aggravent la situation pour les travailleurs hautement qualifiés.​

Deux systèmes d’immigration opposés

Le processus d’immigration américain fonctionne en deux étapes. Les travailleurs qualifiés obtiennent d’abord un visa H-1B temporaire qui leur permet de travailler pour une entreprise américaine. S’ils performent bien, ils peuvent ensuite demander une carte verte pour la résidence permanente.​

Ce système permet aux employeurs et aux immigrants de « tester les eaux » avant de s’engager à long terme. Les meilleurs performeurs restent, les autres sont plus susceptibles de partir.

En 2025, le système canadien Global Talent Stream traite les demandes en 2 à 4 semaines, contre 6 mois ou plus pour le H-1B. C’est plus rapide, mais le H-1B fonctionne par loterie avec seulement 12,8% de chances de sélection.

Le Canada a développé son propre modèle en deux étapes en puisant dans les rangs des travailleurs étrangers temporaires et étudiants internationaux. Plus d’un demi-million de détenteurs de visas temporaires ont obtenu la résidence permanente entre 2021 et 2023.​

Mais ce système semble « moins orienté vers l’attraction des performeurs vedettes » (less geared toward attracting star performers), notent les auteurs. Il permet plutôt à un plus grand nombre d’individus moins qualifiés possédant une expérience canadienne d’obtenir la résidence permanente.​

Les universités américaines ont l’avantage

La qualité de la formation pèse lourd. Aux États-Unis, 68% des immigrants dans les domaines STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) ont obtenu leur diplôme avancé dans une université américaine. Au Canada, 78% ont étudié localement.​

Les universités américaines de premier rang attirent proportionnellement plus d’étudiants étrangers exceptionnels dans les domaines scientifiques. Dans le classement Times Higher Education 2023, les États-Unis abritent près de la moitié des 50 meilleures universités mondiales et plus du tiers du top 100. Seulement quatre universités canadiennes figurent dans ce top 100.​

Les exigences de permis d’exercice constituent aussi une barrière. Le Canada exige des licences pour presque tous les rôles d’ingénierie qui touchent la sécurité publique. Aux États-Unis, plusieurs postes d’ingénierie ne nécessitent aucune licence professionnelle. Pour un immigrant formé à l’étranger, ces exigences compliquent l’accès aux emplois qualifiés.​

Les recommandations de l’Institut Fraser

L’étude propose deux catégories de réformes pour améliorer la situation.

D’abord, moderniser le système d’immigration. Les auteurs recommandent d’accélérer le traitement des dossiers via Entrée Express, de créer un équivalent canadien du visa H-1B américain, de solliciter davantage les employeurs dans la sélection des candidats, et d’attirer plus d’étudiants étrangers talentueux dans les programmes en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques.​

Les auteurs suggèrent aussi de profiter de la politique anti-immigration de l’administration Trump pour recruter « les meilleurs et les plus brillants citoyens du monde » (best and brightest global citizens).​

Ensuite, améliorer l’environnement d’affaires. Les recommandations incluent d’augmenter l’investissement en capital et la croissance de la productivité, de réduire le fardeau fiscal sur les travailleurs les plus productifs, de réformer le système fiscal des entreprises et de développer davantage d’entreprises canadiennes de grande taille dans les secteurs employant des travailleurs STIM.​

« Le Canada a eu beaucoup de succès pour attirer des immigrants hautement éduqués, incluant ceux formés en STIM, comparé aux États-Unis, relativement à la taille des populations et des forces de travail des deux pays » (Canada has been quite successful in attracting highly educated including STEM-trained immigrants compared to the US, relative to the sizes of the two countries populations and workforces), concluent Finlayson et Globerman.​

Mais attirer les talents ne suffit pas. « La performance sur le marché du travail de ces immigrants a été inférieure comparée à celle d’immigrants de première génération similaires aux États-Unis » (The labour market performance of such immigrants has been inferior compared to that of similar first-generation immigrants in the United States).​

Entre 2016 et 2024, le gouvernement Trudeau a haussé les cibles d’immigration permanente et assoupli les règles pour les migrants temporaires, créant une vague migratoire sans précédent. Mais attirer massivement des immigrants qualifiés sans améliorer l’environnement économique qui leur permettrait de s’épanouir revient à gaspiller un potentiel de 50 milliards de dollars par année, selon le Conference Board du Canada. Pour que le Canada cesse de sous-utiliser ses immigrants diplômés, il devra non seulement réformer son système d’immigration, mais surtout créer les conditions économiques qui leur permettront de rivaliser avec ce que les États-Unis offrent déjà.

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Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier est journaliste pour PiluleRouge.ca. Passionné de politique depuis plus de dix ans, il s'est impliqué à plusieurs reprises sur la scène provinciale. Entrepreneur en informatique, il allie rigueur journalistique et regard critique sur l’actualité. Son approche analytique et son sens de l’humour apportent une perspective unique aux sujets qu’il couvre.

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