Le Canada accueille de nouveau les membres du Groupe des Sept dans la charmante région de Charlevoix, au Québec. Autrefois théâtre d’un sommet agité en 2018, le site sert désormais de cadre à la rencontre des ministres des Affaires étrangères, dans un contexte tout aussi mouvementé. Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada, officie comme hôte de cette réunion du 12 au 14 mars 2025. Elle espère sans doute une position commune sur les grands enjeux internationaux – Ukraine, Moyen-Orient, crises en Haïti ou au Venezuela, et sur la région indopacifique. Au lieu de cela, le sommet s’est rapidement transformé en illustration des divisions occidentales et du déclin de l’influence canadienne sur la scène mondiale.
Mélanie Joly sur le devant de la scène
Depuis le début de son mandat, Mélanie Joly s’efforce d’incarner la voix d’un Canada résolu à ne pas se laisser dicter sa conduite. Confrontée aux décisions unilatérales de Washington, elle adresse un message clair à ses homologues : « Si les États-Unis peuvent nous traiter ainsi alors qu’ils sont nos alliés les plus proches, personne n’est en sécurité. » Cette mise en garde, faisant référence aux récents agissements controversés de l’administration Trump, place le Canada dans une position délicate, révélatrice des mauvais traitements potentiels que d’autres alliés pourraient subir. Portée en figure de proue d’un pays secoué, Joly affiche sa volonté de riposter sur tous les fronts diplomatiques. Elle promet de soulever la question des tarifs à chaque rencontre pour rallier ses partenaires européens en vue d’exercer une pression maximale sur les États-Unis. En coulisses, la ministre dénonce régulièrement les mesures américaines, convaincue qu’elles touchent autant la souveraineté du Canada que la crédibilité du G7.
Guerre commerciale avec Washington
La situation s’est envenimée lorsqu’un véritable conflit commercial s’est déclenché. À peine revenu à la Maison-Blanche, Donald Trump a imposé un droit de douane de 25 % sur toutes les importations canadiennes d’acier et d’aluminium. Cette décision unilatérale a immédiatement suscité des représailles symétriques de la part du Canada, avec le soutien de l’Union européenne, révélant l’âpreté des tensions économiques. Trump est allé jusqu’à envisager d’appliquer ces tarifs à tous les produits canadiens, plaisantant sur une éventuelle annexion du Canada en tant que 51ᵉ État américain. Les relations entre les deux pays se sont ainsi profondément dégradées, empoisonnant l’atmosphère du sommet.
Le nouveau secrétaire d’État, Marco Rubio, a tenté d’apaiser la situation en déclarant, avec un flegme apparent, que « cette réunion ne vise pas à discuter d’une quelconque prise de contrôle du Canada ». Malgré tout, voir un haut diplomate américain contraint de préciser qu’il n’envisage pas d’invasion illustre clairement l’absurdité ambiante.
Tensions autour de l’Ukraine
La guerre en Ukraine, censée souder le G7 contre l’agression russe, est devenue une source de discorde. Les États-Unis cherchent désormais à mettre un terme rapide au conflit et négocient secrètement un cessez-le-feu de 30 jours entre Kiev et Moscou à Djeddah, en Arabie saoudite. Arrivé à Charlevoix, le secrétaire Rubio a présenté ces tractations comme une avancée vers la paix et a exprimé ses réserves dès qu’il a été question de durcir le ton envers le Kremlin. Les représentants américains ont exigé que le communiqué final du G7 évite toute formulation risquant de compromettre les négociations en cours. En clair, Washington demande aux alliés de tempérer leurs déclarations de soutien à Kiev pour ne pas froisser Moscou, ce qui suscite des réactions mitigées en Europe.
Les États-Unis ont même refusé de soutenir l’idée d’une déclaration séparée visant à endiguer la « flotte fantôme » russe, ce réseau clandestin de navires échappant aux sanctions, provoquant l’irritation de plusieurs partenaires. En parallèle, Canadiens, Britanniques et Européens, généralement plus enclins à soutenir l’Ukraine, tentent de sauver les apparences en reconnaissant prudemment la démarche diplomatique américaine. Officiellement, tout le G7 continue de promettre son soutien à l’Ukraine « aussi longtemps que nécessaire », mais l’évolution de la posture de Washington – devenue moins inconditionnelle depuis le retour de Trump – jette un froid sur cette unité proclamée.
Des doutes persistent : la Maison-Blanche semble vouloir transférer davantage de responsabilités aux Européens tout en cherchant à rétablir un canal de discussion avec la Russie, au risque d’un compromis hâtif. « Situation délicate… Peut-être faut-il attendre le G8 », a ironisé un diplomate européen, allusion à l’intention de Trump de réintégrer la Russie au sein du groupe. Sous ce sarcasme se devine une réelle inquiétude : la perspective de voir la Russie réadmise, après plus d’une décennie d’exclusion pour l’annexion de la Crimée, trouble les couloirs du sommet.
Alliés échaudés et discours instables
Le malaise dépasse ces questions précises. Concernant la Chine, par exemple, Washington plaide pour un discours musclé face aux menaces dans l’Indo-Pacifique, alors que certaines capitales européennes, peu enclines à heurter Pékin, préfèrent une approche plus nuancée. D’autres positions américaines évoluent de manière erratique sur divers fronts, du Moyen-Orient à la sécurité mondiale, au gré des déclarations impulsives de Trump. Plusieurs diplomates alliés qualifient ces revirements de « contradictoires » ou « incohérents ».
Le Département d’État paraît lui-même déboussolé : le président américain a davantage recours à des émissaires non officiels et à son entourage proche qu’à son secrétaire d’État, plaçant Rubio dans une position ambivalente. Des diplomates européens comptent tirer parti de ce G7 pour mesurer l’influence réelle de Rubio sur la politique étrangère américaine. En surface, l’ambiance demeure feutrée, mais les coulisses sont électriques. Chaque acteur surveille les autres pour déchiffrer les rapports de force dans ce G7 transformé en terra incognita, où l’allié traditionnel prend parfois des allures de perturbateur.
Les lacunes flagrantes du Canada
Au cœur de ce tumulte, le Canada a bien du mal à dissimuler ses faiblesses. Un regard objectif sur la scène internationale révèle combien sa stature diplomatique s’est érodée. Autrefois chantre du multilatéralisme et du « leadership moral », Ottawa découvre que de grands principes ne suffisent plus à mobiliser la communauté internationale. Le slogan un brin égocentrique « le monde a besoin de plus de Canada » impressionnait peut-être lors de réceptions, mais la réalité y a mis un coup d’arrêt brutal.
Comme l’a fait remarquer un ancien diplomate, la « diplomatie de la vertu » séduit un électorat national, mais retombe à plat à l’étranger. Le Canada semble avoir surestimé ses capacités réelles et oublié ses moyens limités pour transformer ses ambitions louables en actions concrètes. Pire encore, à force de moraliser le reste du monde, Ottawa finit par agacer même ses plus fidèles alliés. Désormais, lorsque le pays est directement touché par une crise, il se retrouve isolé et vulnérable, dépendant de partenaires parfois négligés auparavant.
Sur le plan économique, les chiffres parlent d’eux-mêmes : comparé à un voisin américain dix fois plus peuplé, le Canada ne pèse pas lourd. Washington impose, Ottawa subit. Les contre-mesures annoncées par Joly, en coordination avec l’Union européenne, demeurent avant tout symboliques face à l’ampleur des tarifs américains.
Quant au domaine militaire et stratégique, le Canada affiche un retard chronique : ses alliés lui reprochent son sous-investissement dans la défense. Ottawa ne consacre qu’environ 1,37 % de son PIB à ses forces armées, loin de l’objectif de 2 % fixé par l’OTAN. Conséquence, l’armée canadienne n’est pas en mesure d’intervenir rapidement lorsque des urgences se présentent, y compris dans sa propre sphère d’influence.
L’exemple d’Haïti est particulièrement révélateur. En 2022-2023, alors que les gangs semaient la terreur à Port-au-Prince, les Nations unies et Washington envisageaient le Canada comme chef de file pour une force d’intervention internationale. Ottawa a refusé, avançant qu’il n’avait pas les ressources nécessaires. Le chef d’état-major a lui-même reconnu que l’engagement du Canada en Ukraine et en Europe de l’Est mobilisait déjà trop de troupes. Malgré les pressions de la Maison-Blanche – qui notait l’intérêt manifesté par Ottawa pour un rôle de premier plan – le gouvernement Trudeau s’est abstenu de tout engagement concret. Finalement, c’est le Kenya, un acteur bien moins influent sur la scène mondiale, qui a dû prendre la tête de l’opération de stabilisation.
Une influence en déclin et un avenir incertain
Ce sommet de Charlevoix met crûment en évidence la perte d’influence diplomatique du Canada. Jadis sollicité pour son rôle de médiateur ou sa « bienveillance » internationale, il se retrouve aujourd’hui simple spectateur, inquiet face aux confrontations entre grandes puissances. Malgré ses postures fermes et ses déclarations, Mélanie Joly peine à cacher la réalité : le Canada pèse peu dans la compétition géopolitique en cours. Accueillir le G7 n’y change rien ; au contraire, l’événement a surtout mis en lumière la vulnérabilité canadienne vis-à-vis de Washington et son besoin de la solidarité européenne pour se faire entendre.
Sur le plan intérieur, ce diagnostic agit comme un signal d’alarme. Justin Trudeau, qui clamait jadis que « le Canada est de retour », voit son héritage diplomatique se fissurer. Son successeur hérite d’un pays plongé dans une crise existentielle à l’égard d’un voisin écrasant, tant sur le plan économique que géostratégique. Au niveau international, le Canada risque de tomber dans l’oubli s’il ne réoriente pas ses priorités.
Le constat est brutal : dans un monde dominé par des rapports de force, les discours vertueux et les vœux pieux ne suffisent pas. Si aucune démarche stratégique sérieuse n’est entreprise, le Canada poursuivra sa chute diplomatique et se condamnera à rester un spectateur impuissant, alors que les grandes puissances façonnent l’ordre mondial.
Charlevoix 2025 a douloureusement exposé les fragilités canadiennes. Face à une Amérique imprévisible, au soutien mesuré des alliés et à des crises régionales qu’il ne peut plus ignorer, le Canada constate l’effritement progressif de son rôle passé. Malgré l’énergie et la détermination d’une actrice de théâtre de Mélanie Joly, l’inertie est forte. Le pays doit impérativement se doter de moyens à la hauteur de ses ambitions, sans quoi il demeurera le petit poucet du G7, témoin inutile d’un ordre mondial qui se redessine sans lui.