Depuis les dernières semaines, on assiste à un spectacle devenu tristement familier et pitoyable : les grandes centrales syndicales du Québec, FTQ en tête de file, dégainent la rhétorique apocalyptique pour dénoncer le projet de loi 3 du ministre du Travail Jean Boulet. Magalie Picard, la présidente de la FTQ, multiplie les appels au combat, à la guerre, à la paralysie du Québec, comme si l’État venait de déclarer la mort prochaine du mouvement ouvrier.
Mais il suffit d’écouter derrière les discours de peur pour saisir une réalité bien plus simple : ce n’est pas une guerre contre les travailleurs que craignent les centrales syndicales.
C’est une remise en question du modèle syndical actuel, verrouillé depuis 80 ans par la formule Rand et ses effets secondaires de plus en plus négatifs, à la fois pour le mouvement syndical et pour les travailleurs eux-mêmes.
Dès qu’on suggère — même timidement — qu’il pourrait exister une autre façon de faire, plus libre, plus moderne, plus responsable, plus réellement représentative… l’appareil s’enflamme, et ses gardiens du temple, défenseurs du statu quo, montent aux barricades.
Pourtant, ailleurs dans le monde, un autre modèle fait ses preuves : le système de Gand (Ghent system), utilisé notamment dans les pays nordiques (Finlande, Suède, Danemark). Un modèle fondé non pas sur l’obligation, mais sur la valeur.
Non pas sur la contrainte, mais sur la confiance.
Et si c’était ça, justement, la modernité ?
Quand la formule Rand étouffe la liberté
La formule Rand, pour ceux qui l’ignorent encore, impose à tous les travailleurs syndiqués au Canada — même ceux qui ne veulent pas être membres — depuis 1946 de payer des cotisations. Un système conçu pour éviter les « passagers clandestins » (free riders), mais qui a un effet pervers : il retire aux travailleurs la possibilité de choisir réellement s’ils souhaitent être représentés ou non face à l’employeur.
On syndique d’abord, on discute ensuite.
On facture automatiquement, on consulte éventuellement… parfois jamais.
On parle « au nom des membres », mais on ne leur parle plus vraiment.
Il ne faut pas se surprendre que tant de Québécois syndiqués de force se sentent aujourd’hui représentés par des structures de plus en plus éloignées de leurs préoccupations quotidiennes.
La légitimité ne se décrète pas en prélevant une cotisation obligatoire :
elle se gagne.
Le modèle de Gand : quand la liberté crée la force
Le système de Gand prend exactement l’autre direction.
Dans ce modèle, ce sont les syndicats qui gèrent une partie de la sécurité du revenu, notamment l’assurance-chômage. Résultat : les travailleurs adhèrent massivement parce que le syndicat leur offre quelque chose d’utile, de concret et de direct.
Voici l’effet magique — mais très logique — de ce système :
L’adhésion est volontaire, mais les taux de syndicalisation sont deux fois plus élevés qu’au Québec (Finlande 55 %, Danemark 68 %, Suède 69 %).
Et pourquoi ? Parce que la liberté est un puissant moteur d’engagement.
Un syndicat géré selon le modèle de Gand doit convaincre plutôt que contraindre.
Servir plutôt qu’imposer.
Représenter plutôt que militer pour sa propre structure.
Autrement dit, c’est un syndicalisme adulte et libre.
Un syndicalisme responsable.
Un syndicalisme connecté aux gens qu’il prétend aider — et qui représente réellement la volonté et les revendications de ses membres. Surtout quand ceux-ci peuvent arrêter de cotiser et quitter leur syndicat si le leadership s’aventurait dans une direction contraire à leurs convictions. #MagalieDubaï
Le Québec souffre d’une crise de confiance — et ce n’est pas le gouvernement le coupable
On peut accuser Jean Boulet de tout ce qu’on veut, mais il y a une évidence que les centrales syndicales évitent soigneusement :
Ce n’est pas la loi 3 qui crée une crise de confiance…
C’est le modèle syndical lui-même.
Quand l’adhésion est imposée financièrement, la participation perd son sens.
Quand le syndicat est assuré d’être financé quoi qu’il fasse, la reddition de comptes devient facultative.
Quand les leaders deviennent plus des militants que des représentants, et tiennent des discours complètement à l’opposé de l’échiquier politique de ce que pensent les travailleurs qu’ils représentent, ceux-ci décrochent.
Un modèle comme Gand, basé sur le volontariat, force l’institution à rester en contact avec le terrain et à rester enracinée.
Il oblige les dirigeants syndicaux à écouter avant de parler. À consulter avant de proposer.
Il reconstruit un lien de confiance que les slogans de peur et la propagande en faveur du statu quo ne suffisent plus à maintenir. Pour des gens qui se disent « progressistes », il faut le faire.
L’économie aussi y gagne
On entend souvent dire que les systèmes nordiques sont « trop différents » du Québec, malgré leurs social-démocraties.
Pourtant, ce qu’ils réussissent le mieux, c’est exactement ce qui nous manque :
Des négociations plus rapides, des relations de travail plus stables, moins de conflits stériles, une population qui n’est plus prise en otage par des grèves à répétition et souvent sans fin.
Quand le syndicat dépend de la satisfaction de ses membres, il privilégie la résolution plutôt que l’affrontement.
L’efficacité plutôt que le théâtre et l’enflure verbale.
Le service plutôt que l’idéologie.
Un syndicat plus responsable, c’est aussi une économie plus compétitive.
Et une économie plus compétitive, c’est un Québec plus fort, pour tout le monde. Progressistes comme conservateurs.
Il n’y a rien de « néolibéral » là-dedans — seulement du gros bon sens. Et les Scandinaves l’ont compris.
La vraie modernisation du syndicalisme passe par la liberté
Les centrales syndicales aiment répéter que tout changement mènerait à la catastrophe.
Que le Québec sombrerait dans le chaos patronal!
Que les droits acquis disparaîtraient! Que ce serait le grand retour de la révolution industrielle 2.0, avec nos enfants qui travailleraient 16 heures par jour 6 jours par semaine, dans des usines sans pause pipi.
Pourtant, la réalité internationale est limpide :
La liberté n’a jamais détruit un syndicat capable d’offrir un vrai service.
La formule Rand protège les structures, la bureaucratie et les emplois de hijackers idéologiques de la bien-pensance qui se prennent pour des leaders syndicaux.
Le système de Gand protège la légitimité et la réelle représentativité des membres.
Et si le Québec veut entrer dans une nouvelle ère — plus transparente, plus responsable, plus respectueuse de la volonté et des idées des travailleurs — il devra tôt ou tard poser la question qui fâche :
Pourquoi le syndicalisme québécois a-t-il encore besoin de la coercition pour survivre ?
Peut-être que la réponse, finalement, n’a rien à voir avec le gouvernement.
Peut-être qu’elle se trouve du côté des centrales syndicales… et dans la peur de devoir gagner leurs membres autrement qu’avec des campagnes de peur, et de devoir — enfin — représenter réellement les idées de ces gens-là pour de vrai.


