Lettre ouverte à Patrick Lagacé
Bonjour Patrick,
Il y a des entrevues qui marquent parce qu’elles éclairent sur un sujet. Et il y a celles qui marquent parce qu’elles éclairent sur une personne.
L’échange que tu as eu avec Guillaume Lemay-Thivierge appartient clairement, et dirais-je, malheureusement, à la seconde catégorie.
Non pas pour ce qui s’y est dit de nouveau, mais pour ce qui s’y est révélé malgré toi. Ce moment de radio, que tu semblais vouloir gérer comme un simple segment de programmation, s’est transformé en un miroir. Et le reflet qui s’en est dégagé, n’a pas été tendre.
Tu t’es présenté calme. Posé. Maître de la situation. Fidèle à ton habitude quoi… Tu as parlé de ton rôle, de ton cadre, de tes responsabilités professionnelles. Tu as invoqué l’intérêt public comme on brandit un diplôme. Mais plus la discussion avançait, plus une impression persistante s’installait : tu n’étais pas la pour dialoguer avec Guillaume Lemay-Thivierge, tu plaidais pour toi-même.
Guillaume n’est pourtant pas venu régler des comptes. Il n’est pas venu te coincer. Il n’est pas venu t’humilier. Il est venu te parler d’une conférence prévue le 21 décembre et d’une nouvelle plateforme. Mais aussi, étant donné les circonstances connues, de ce que ton travail a déclenché dans sa vie.
De sa chute. De sa dépression majeure. De ses pertes professionnelles. Des dommages collatéraux. De sa famille. De ses enfants. Il est venu te dire qu’un article, signé de ton nom et d’un autre, avait été l’étincelle d’un effondrement personnel. Et que, malgré tout, ça ne l’empêcherait pas de venir te serrer la main pour te dire qu’il te pardonnait.
Ta réponse : « Je n’ai pas besoin de ton pardon »
Et ce qui frappe, Patrick, ce n’est pas ton désaccord. C’est ton incapacité à t’arrêter une seconde pour réellement accueillir ce que tu entendais.
À chaque tentative de Guillaume de ramener la conversation sur l’impact humain, tu as ramené le débat sur le terrain procédural. Une pizzéria. Une version rapportée. Une justification administrative….. Comme si réduire un drame humain à une séquence de faits techniques permettait d’en neutraliser la portée. Comme si, en disséquant le contexte, on pouvait anesthésier les conséquences humaines.
Ce réflexe n’est pas anodin, Patrick. En fait, il est éloquent. Il est révélateur. Il en dit beaucoup sur ta manière d’exercer le rôle de chroniqueur et, plus largement, sur ton rapport au pouvoir que tu détiens. Quand la réalité devient trop inconfortable, tu te réfugies dans un cadre. Quand l’émotion dérange, tu invoques la méthode. Et quand la souffrance surgit, tu parles de règles.
Tu as insisté, à répétition, lors de cette entrevue, sur l’idée que tu n’étais pas responsable. Que tu n’avais fait que ton travail. Que les conséquences faisaient partie du jeu. Tu as même laissé entendre que Guillaume s’était essentiellement auto-éjecté de la scène publique. Comme si tout cela n’était qu’une suite logique, presque naturelle et inévitable.
Cette posture, Patrick, est confortable. N’est-ce pas ? Très confortable. Car elle te place toujours du bon côté. Elle te protège de toute remise en question réelle. Et elle te permet surtout d’observer les dégâts sans jamais te sentir concerné.
Et pourtant, tu savais.
Tu savais que le contexte pandémique ne permettait aucune nuance. Tu savais que sortir du discours dominant équivalait à une condamnation sociale immédiate. Tu savais que ton micro, ta plume, à ce moment précis de l’histoire, pesaient plus lourd que jamais. Tu savais que ton nom, associé à La Presse, n’était pas neutre. Tu savais que publier cet article allait provoquer une onde de choc.
Tu sais aussi, aujourd’hui, avec le recul, que tu étais parfois dans le tort à l’époque… J’espère, du moins, que tu en es pleinement conscient.
Mais prétendre lors de ton entretien, aujourd’hui, que tu avais conscience de l’impact, et l’a fait quand même, relève au mieux d’une mauvaise foi polie.
Ce qui m’a profondément dérangé dans cette entrevue, ce n’est pas que tu refuses de t’excuser. C’est que tu refuses même d’envisager la possibilité d’une erreur morale. Tu sembles incapable de concevoir qu’on puisse être convaincu d’agir dans l’intérêt public tout en ayant agi de façon déshumanisante.
Lorsque Guillaume évoque la poursuite contre La Presse, ton malaise devient palpable. Tu fais semblant de ne pas savoir. Tu esquives. Tu corriges. Pourtant, les faits relatés sont qu’un juge aurait conclu à un manquement journalistique. C’est un constat judiciaire, semblerait-il. Pourquoi l’avoir évité ?
Le fait que tu continues à contourner cet élément, à le minimiser, à le rendre flou, devant tes propres auditeurs, en dit long sur ton rapport à l’erreur. Chez toi, l’erreur est toujours ailleurs. Dans la perception du public. Dans la réaction de la personne visée. Dans le contexte. Rarement dans ton geste.
Cette attitude, Patrick, n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans une posture que plusieurs reconnaissent désormais très bien chez toi : celle du chroniqueur convaincu que sa position morale le place au-dessus de l’examen qu’il impose aux autres. Ou peut-être aux édentés à qui il croit s’adresser. Tu questionnes. Tu analyses. Tu exposes. Mais dès que la lumière se tourne vers toi, tu ajustes l’angle. Il ne faudrait surtout pas y voir les ondes d’ombre.
Tu parles souvent de nuance. Mais cette nuance semble s’appliquer surtout aux débats que tu choisis. Tu encourages l’introspection chez les autres, mais tu la traites comme optionnelle lorsqu’elle te concerne. Tu invites au dialogue, mais dans un cadre que tu contrôles entièrement.
Ce qui rend cette entrevue particulièrement révélatrice, c’est le contraste entre les deux hommes. D’un côté, un artiste visiblement ébranlé, imparfait, vulnérable, qui parle de ses failles, de ses erreurs, de sa responsabilité personnelle sur un ton de compréhension et d’écoute. De l’autre, un animateur sûr de lui, méthodique, protégé par son rôle, qui refuse de reconnaître la moindre faille dans son propre comportement moral.
Guillaume a reconnu ses torts. Il a parlé d’impulsivité. De spontanéité mal calibrée. De naïveté peut-être. Toi, tu n’as reconnu qu’une chose : que tu avais raison.
Tu as parlé de conséquences normales. Mais ce que tu refuses obstinément de voir, c’est que ces conséquences ont été amplifiées par un climat médiatique que vous avez, collectivement, contribué à créer. Un climat où la dissidence était assimilée à une faute morale. Où poser une question devenait suspect. Et où la discussion était remplacée par la disqualification.
Et tu as été l’un des visages les plus visibles de ce climat.
Ce n’est pas une accusation. C’est un constat, tout simplement. Je ne te demanderai pas, non plus, de l’avouer, je sais que tu ne le feras jamais. Mais, le public n’est pas dupe Patrick. Il se souvient. Il a vu qui posait les bonnes questions et qui fermait la porte au débat. Il a vu qui acceptait la complexité et qui préférait la ligne dictée.
Le micro est une arme. Sur ce point, Guillaume avait raison. Et ce qui inquiète, Patrick, ce n’est pas que tu le tiennes. C’est que tu sembles croire que tant que tu respectes les règles formelles, tu peux l’utiliser sans jamais en subir l’examen moral.
Peut-être est-ce aussi là une des clés pour comprendre l’érosion de l’audience du 98,5. Ce n’est pas qu’une question de concurrence ou de plateformes numériques. C’est une question de posture. Les auditeurs sentent quand un discours devient rigide. Quand l’assurance glisse vers l’arrogance. Mais surtout : quand l’écoute se transforme en monologue sophistiqué.
Les gens ne cherchent pas des chroniqueurs parfaits. Ils cherchent des personnes honnêtes. Honnêtes aussi avec elles-mêmes.
Tu n’as pas besoin de t’autoflageller. Tu n’as pas besoin de renier ton métier. Mais tu as une responsabilité qui dépasse le simple commentariat des faits. Celle de reconnaître que le pouvoir médiatique façonne des vies. Celle de reconnaître que l’impact humain compte autant que l’intérêt public. Mais surtout, celle de reconnaître que la rigueur n’exclut pas l’humilité ni l’humanité.
Cette entrevue aurait pu être un moment extraordinaire. Un moment de vérité. Elle est devenue, malgré toi, une démonstration éloquente de ce qui dérange de plus en plus dans une certaine élite médiatique québécoise. Une élite qui parle beaucoup. Qui analyse tout. Sauf elle-même.
Tu peux continuer à croire que tu n’as rien à te reprocher. C’est ton droit. Je ne te traiterai pas de tata pour autant. Mais sache une chose : de plus en plus de gens voient clair. Ils entendent tes mots. Ils perçoivent tes silences. Et ils comprennent ce que ton ton révèle.
Souvent, Patrick, ce n’est pas ce qu’on dit qui nous trahit.
C’est ce qu’on refuse obstinément de reconnaître. Aux autres et à nous-mêmes.
Samuel Chabot
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