Jeudi, juillet 3, 2025

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L’Alberta défie Ottawa avec sa propre police provinciale

L’Alberta vient de franchir un pas historique vers une plus grande autonomie en matière de sécurité publique. Hier, la première ministre Danielle Smith a officialisé la création du Service de police des shérifs de l’Alberta (Alberta Sheriff’s Police Service), une force policière provinciale indépendante qui aura son siège social à Calgary.

Une réponse aux défaillances fédérales

Cette annonce survient dans un contexte où la GRC peine à remplir ses obligations contractuelles. Selon le ministre de la Sécurité publique Mike Ellis, la province paie actuellement « environ 16 millions de dollars pour des postes non pourvus en Alberta, et ce, pour des services que nous ne recevons pas ».

Les chiffres sont éloquents : « Le pourcentage de postes vacants atteint près de 20 % dans toute la province, un chiffre similaire à l’échelle du pays », a précisé Ellis.

Un signal d’Ottawa qui ne trompe pas

L’Alberta ne fait pas que réagir aux problèmes actuels – elle anticipe. Plus tôt cette année, le gouvernement fédéral a publié un livre blanc proposant que la GRC se retire graduellement du policing contractuel. Le document, intitulé « A Police Vision for Canada: Modernizing the RCMP« , indique clairement que « le gouvernement fédéral devrait s’engager à travailler en étroite collaboration avec les provinces afin de soutenir l’abandon graduel des services de police contractuels ».

Cette vision fédérale prévoit transformer la GRC en une organisation de police fédérale concentrée sur les crimes les plus graves. L’expiration des accords de services policiers en 2032 représente la première occasion d’implémenter cette nouvelle phase du policing au Canada.

Entre souveraineté et pragmatisme

L’annonce de cette force policière provinciale prend une dimension particulière dans le contexte politique actuel. Lors de la même conférence de presse, Smith a été questionnée sur le référendum proposé par Thomas Lukaszuk concernant la souveraineté de l’Alberta. Sa réponse mesurée – « Je vais laisser les différents processus suivre leur cours » – révèle une stratégie prudente mais significative.

Le fait que l’Alberta se dote de ses propres institutions de sécurité publique peut être interprété comme une préparation à une éventuelle autonomie accrue, voire à l’indépendance. Comme l’a souligné une journaliste : « Avoir une force policière provinciale, est-ce un pas de plus vers des conditions plus favorables à l’indépendance de l’Alberta? »

Smith a habilement esquivé la question en se concentrant sur les aspects pratiques, mais les observateurs politiques y voient une stratégie de construction institutionnelle qui pourrait servir dans différents scénarios d’avenir.

Un chef d’expérience pour une mission délicate

Satpal Singh Parhar, nommé premier chef du nouveau service, apporte plus de 25 ans d’expérience au sein du Service de police de Calgary, où il a gravi les échelons jusqu’au poste de chef adjoint. « Je suis un peu nerveux. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai presque 30 ans de service dans la police, et je suis nerveux », a-t-il confié avec une candeur rafraîchissante lors de son discours d’investiture.

Son approche se veut collaborative : « Je ne veux pas dépouiller un service pour en faire avancer un autre. Il faut vraiment bâtir une bonne culture, une bonne structure en ressources humaines qui nous permette de recruter les bonnes personnes — des gens qui vont réellement traiter tous les Albertains de manière équitable. » Il ne veut pas nuire aux autres services de polices et à la GRC.

Des municipalités qui réclament du changement

L’exemple de Coaldale illustre parfaitement les iniquités du système actuel. Le maire Jack Van Rijn a souligné que sa ville est « la seule municipalité de tout le Canada comptant moins de 15 000 habitants à devoir assumer l’entièreté des coûts de la police de la GRC » – une situation unique et injuste qui perdure depuis des années.

Plus de 30 municipalités ont déjà exprimé leur intérêt pour ce nouveau modèle, démontrant un appétit réel pour des alternatives au système actuel.

Une force déjà en place

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’Alberta ne part pas de zéro. La province compte déjà « plus de 2 000 shérifs actuellement classés comme agents de la paix », selon Smith. De ce nombre, environ 650 sont déjà formés à un niveau leur permettant d’obtenir la nouvelle catégorisation de police.

Ces shérifs opèrent déjà des équipes spécialisées qui ont fait leurs preuves : équipes de surveillance, d’appréhension de fugitifs, de sécurité frontalière et les fameuses équipes SCAN qui ferment les maisons de drogue dont « probablement deux ou trois fermetures chaque semaine », selon la première ministre.

L’expérience de Grand Prairie comme modèle

Grand Prairie, qui a récemment établi son propre service de police municipal, offre un aperçu prometteur. Lorsque la ville a lancé un appel de candidatures, elle a reçu 200 demandes pour les postes disponibles. Cette réponse enthousiaste s’explique en partie par la stabilité qu’offre un emploi local, sans risque de redéploiement ailleurs au pays.

Des enjeux politiques en toile de fond

L’annonce survient le même jour où d’anciens députés UCP, Emily Scott Sinclair et Peter Guthrie, ont annoncé leur intention de relancer le Parti conservateur progressiste de l’Alberta. Smith a rappelé que « la loi électorale est claire : les nouveaux partis ne peuvent pas utiliser le nom des anciens partis fondateurs du Parti conservateur uni (UCP), afin d’éviter toute confusion chez les électeurs » pour éviter la confusion chez les électeurs.

Un investissement considérable malgré les lacunes

L’Alberta continue d’investir massivement dans la GRC malgré les problèmes. Pour 2025-26, la province fournira 380,5 millions de dollars pour l’accord de services policiers provinciaux, une augmentation de 3,8 millions par rapport à l’année précédente. Un investissement supplémentaire de 20,9 millions a été consenti en 2024 pour augmenter la capacité de la GRC.

Mais comme le souligne Ellis : « Il ne s’agit pas ici d’un manque de financement accordé à la GRC. Il s’agit tout simplement de ne pas signer un chèque en blanc à la GRC. »

Une vision d’avenir aux multiples facettes

Cette initiative s’inscrit dans une stratégie plus large de l’Alberta pour se préparer à l’avenir. Smith l’a clairement exprimé : « L’Alberta doit être proactive, et c’est exactement ce que nous faisons aujourd’hui. Nous continuons d’investir de manière substantielle dans la GRC… mais nous savons aussi que la demande pour ces services augmente. »

Le nouveau service ne vise pas à remplacer la GRC, mais à « travailler en collaboration avec les services de police existants pour combler les lacunes et s’assurer que les ressources sont utilisées efficacement », selon la première ministre.

Cependant, dans un contexte où Thomas Lukaszuk tente de recueillir 293 000 signatures pour son référendum sur la souveraineté albertaine, cette création d’une force policière provinciale prend une résonance particulière. Elle démontre la capacité de l’Alberta à développer ses propres institutions de sécurité, un élément crucial pour toute province aspirant à une plus grande autonomie.

Des défis à relever

Malgré l’optimisme affiché, des défis subsistent. Certaines municipalités rurales demeurent « catégoriquement opposées » à ce changement, selon les propos rapportés lors de la conférence. La coordination entre les différents services de police soulève également des questions, particulièrement dans les régions où plusieurs juridictions se côtoient.

Conclusion

L’Alberta envoie un message clair à Ottawa : la province ne restera pas les bras croisés face aux lacunes du système fédéral. Avec cette nouvelle force policière, elle se donne les moyens de ses ambitions autonomistes tout en répondant aux besoins concrets de ses citoyens.

Que ce soit pour améliorer les services policiers ou pour se préparer à d’éventuels changements constitutionnels, l’Alberta démontre qu’elle a la volonté et la capacité de prendre son destin en main. Comme l’a résumé Smith : « Nous voulons éviter toute interruption, et nous nous assurons qu’il n’y en aura pas. » Une approche proactive qui pourrait bien inspirer d’autres provinces confrontées aux mêmes défis  – ou aux mêmes aspirations.

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Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier est journaliste pour PiluleRouge.ca. Passionné de politique depuis plus de dix ans, il s'est impliqué à plusieurs reprises sur la scène provinciale. Entrepreneur en informatique, il allie rigueur journalistique et regard critique sur l’actualité. Son approche analytique et son sens de l’humour apportent une perspective unique aux sujets qu’il couvre.

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