Le 29 avril 2025 suivant le jour d’élections fédérales au Canada, les résultats sont tombés. Et ils sont clairs : le Bloc Québécois a perdu du terrain. Moins de députés, moins de voix, moins d’élan. Une fois de plus, le parti fondé en 1991 pour porter la voix souverainiste du Québec à Ottawa confirme qu’il n’a plus de moteur, plus de boussole claire, ni de traction électorale suffisante pour peser dans la balance politique du pays.
C’est peut-être l’occasion rêvée, ou la dernière chance, pour que ce parti amorce une transformation radicale : abandonner son programme souverainiste, délaisser l’écologisme anxiogène et moralisateur, et devenir un véritable parti fédéral, défenseur des intérêts provinciaux dans toutes les régions du Canada. Un parti qui cesserait de défendre uniquement le Québec — et qui commencerait à parler au pays entier.
Un parti pris au piège de sa mission fondatrice
Le Bloc a toujours été un parti paradoxal. Fédéral, mais souverainiste. Présent à Ottawa, mais pour y dénoncer Ottawa. Nationaliste, mais sans ambition de gouverner l’ensemble du Canada. Pendant trois décennies, cette posture lui a permis d’exister, de gagner des sièges, et parfois même d’exercer une influence disproportionnée en situation de gouvernement minoritaire. Mais ce modèle est à bout de souffle.
Aujourd’hui, les jeunes électeurs sont de moins en moins sensibles à la souveraineté. Les enjeux identitaires ne suffisent plus à mobiliser. Et le discours du Bloc se perd entre défense du Québec, écologisme radical et opposition rhétorique au pouvoir central. Une équation perdante.
L’opportunité ignorée : un parti des provinces
Et si le Bloc cessait de se définir par le passé, pour se projeter dans l’avenir?
Le Canada est une fédération bancale. Le gouvernement central empiète régulièrement sur les champs de compétence des provinces, notamment en santé avec son plus récent régime canadien de soins dentaires. Les promesses conditionnelles, les programmes fédéraux mur-à-mur, les subventions discrétionnaires deviennent des leviers de contrôle politique plutôt que des outils de coopération. Et Ottawa semble parfois se moquer ouvertement de l’autonomie provinciale.
Ce n’est pas qu’un problème québécois. En Alberta, en Saskatchewan, en Colombie-Britannique, dans les Maritimes même, plusieurs Canadiens ressentent ce déséquilibre. Ils ne se reconnaissent pas dans les priorités des grandes métropoles ni dans les slogans du multiculturalisme officiel ou des politiques climatiques uniformes.
Un parti fédéral centré sur la défense des provinces, sur le respect de la Constitution (n’allons quand même pas jusqu’à dire « sur la révision de la Constitution »), sur une décentralisation réelle, aurait une immense marge de manœuvre. Il pourrait capter une colère diffuse, mais réelle, un désir d’autonomie enraciné dans les régions. Ce parti, le Bloc aurait pu — pourrait encore — l’incarner. À condition de changer de peau.
Fin de la souveraineté, fin du fardeau
Le premier obstacle à cette métamorphose, c’est bien sûr l’ADN même du Bloc : l’indépendance du Québec. Mais soyons lucides. Cette cause n’est plus mobilisatrice. Elle n’est plus gagnante. Et elle n’est plus défendue avec conviction par le parti lui-même. Le flou stratégique des dernières campagnes en témoigne : on évoque la souveraineté sans jamais s’y engager, on s’adresse aux nationalistes sans leur promettre un projet clair.
En retirant officiellement l’indépendance du Québec de sa plateforme, le Bloc pourrait enfin se libérer d’un carcan historique. Cela ne signifierait pas de renier le nationalisme québécois, mais de le redéfinir dans une perspective canadienne : une nation québécoise forte dans une fédération respectueuse. Et surtout, cela permettrait de bâtir des alliances concrètes avec d’autres provinces, au lieu de s’enfermer dans une logique identitaire limitée. De plus, rien n’empêcherait ce nouveau Bloc d’appuyer ouvertement des partis politiques provinciaux indépendantistes tels que le Parti Québécois.
Assez de sauver la planète, défendons nos champs
Autre chantier : l’écologie. Le virage vert du Bloc l’a mené dans une impasse. Le parti s’est mis à parler comme les Verts, à faire campagne sur les peurs climatiques, à promettre des cibles de carbone irréalistes, tout en s’opposant aux projets énergétiques ailleurs au pays.
Résultat : il a aliéné des électeurs en région, chez les agriculteurs, les petits entrepreneurs, les familles, qui voient dans ces politiques un danger pour leur survie économique. Le Bloc a échoué à réconcilier environnement et développement, préférant la vertu à la réalité.
Un parti des provinces ne peut pas se permettre ce luxe. Il doit comprendre que l’environnement n’est pas une religion. Que les pipelines, les barrages, l’agriculture industrielle ne sont pas des ennemis à abattre, mais des leviers de richesse à encadrer intelligemment. Qu’on ne sauvera pas la planète à coups de taxes sur le pétrole. Et surtout, qu’un parti crédible ne fait pas campagne en culpabilisant son électorat.
La rupture avec la base militante : un risque à prendre
Changer de mission, de programme, de discours : cela signifie aussi perdre une partie de la base. Les militants souverainistes, écologistes, identitaires, verront ce virage comme une trahison. Ils partiront. Ils hurleront. Ils dénonceront.
Mais ce n’est pas grave. C’est même nécessaire.
Certes, cette base, aussi fidèle soit-elle, est un plancher électoral : elle garantit la survie du parti, mais pas sa croissance. Or, le plafond électoral du Bloc, lui, est désespérément bas. Trop bas pour espérer un jour reformer l’opposition officielle. Encore moins le gouvernement.
En brisant le lien de dépendance avec sa base historique, le Bloc pourrait enfin viser plus haut. Parler à plus de gens. Recruter dans les autres provinces. Piger dans le vote des autres partis fédéraux. Présenter des candidats ailleurs qu’au Québec. Construire une structure pancanadienne. Et peut-être, un jour, devenir le parti qui forcera Ottawa à respecter les provinces, toutes les provinces, incluant le Québec.
Devenir un parti du pouvoir
Jusqu’ici, le Bloc s’est contenté de commenter, de critiquer, de dénoncer. Il n’a jamais aspiré à gouverner. Or, un parti politique digne de ce nom ne peut pas se limiter à témoigner. Il doit viser le pouvoir. Non pas par goût du contrôle, mais pour transformer les choses.
Un Bloc transformé en Parti des Provinces, ou en Coalition Fédérale Régionaliste, ou même en Bloc Provincial, pourrait viser cet objectif. Et dans un Canada de plus en plus fragmenté politiquement, avec une polarisation grandissante et une crise de confiance envers les partis traditionnels, un tel projet pourrait séduire bien au-delà du Québec.
Conclusion : le courage de trahir
Le Bloc Québécois n’a plus d’avenir tel qu’il est. Ses gains sont éphémères, ses batailles symboliques, ses discours fatigués. S’il veut survivre, il devra se transformer. Et pour se transformer, il devra trahir ce qu’il a été.
Mais toute renaissance passe par une rupture. Le Bloc doit mourir comme parti souverainiste et écolo-moraliste. Il doit renaître comme parti des provinces, des régions, de l’autonomie et du réalisme.
C’est un pari risqué. Mais c’est le seul qui vaille encore la peine d’être tenté.