Petit billet sur le libéralisme municipal à l’abri de la chapelle des cités
Les partis politiques municipaux sont des accessoires décoratifs d’une démocratie locale qui devrait fonctionner au tournevis et au bon sens, pas au logo et à la ligne de parti. On nous vend ces bannières comme des instruments de clarté et d’efficacité; en pratique, c’est une machine à slogans, à clientélisme et à paralysie. À Sherbrooke, on a nos chapelles; à Montréal, Québec, Gatineau, Laval, Lévis ou Saguenay, on a les leurs. Les couleurs changent, la logique reste: on plaque une idéologie sur des enjeux de trottoirs, d’égouts et d’urbanisme, puis on s’étonne que la ville patine. A-t-on vraiment besoin d’un manifeste pour ramasser les ordures et réparer un pont? Si l’on est réaliste, qu’on prenne au sérieux la liberté de jugement, la responsabilité individuelle et la subsidiarité: ce qui marche à l’échelle d’un quartier se règle entre adultes, au plus près du citoyen, sans chef de meute qui dicte la liturgie du mardi soir.
Le parti municipal promet de « structurer le débat ». Traduction: rigidifier les positions, confesser le catéchisme du moment et punir la nuance. Dans la vraie vie, la politique locale, c’est un plombier qui ne vient pas, un contrat mal ficelé, un carrefour mal dessiné, un règlement qui étouffe les commerces, un permis qui n’arrive jamais. Face à ça, l’étiquette devient un handicap. Le conseiller qui porte l’uniforme doit approuver ce que le caucus a décidé, même si le terrain crie l’inverse. Et si, par miracle, il résiste, on l’excommunie par des procéduriers qui transforment le conseil en tribunal. Regardez n’importe quel conseil dominé par une écurie: on vote en bloc, on lit des fiches, on fait semblant de délibérer. Ce n’est pas de la gestion, c’est du théâtre d’ombres.
On me dira: « mais les partis donnent une vision! ». Oui, une vision en carton-plume, imprimée à l’avance, qui survivra exactement jusqu’au premier nid-de-poule. À Sherbrooke comme à Montréal, le programme prétend résoudre simultanément le logement, la mobilité, la fiscalité, l’urbanisme, l’environnement, la vitalité commerciale, la culture et la neige en moins de quatre ans, le tout sans augmenter les taxes ni contrarier les lobbys. On saupoudre des adjectifs vert, inclusif, ambitieux, résilient et l’on croit avoir fait le travail. Puis vient la réalité: l’appareil administratif, les appels d’offres, la réglementation provinciale, les finances serrées, les voisins pas contents. La « vision » se disloque en promesses étirées; la ligne de parti, elle, reste. On garde la bannière, on perd le service.
Et parlons du clientélisme, ce secret de Polichinelle. Un parti local, c’est une petite entreprise électorale: il faut lever des fonds, recruter, coller des pancartes, réserver des salles, récompenser les loyaux. Qui paye, qui aide, qui promet ses réseaux? Les mêmes qui, par un hasard galopant, auront besoin d’un coup de pouce le moment venu. Le clientélisme municipal, ce n’est pas la valise de billets; c’est la faveur douce: un poste dans un comité, un contrat de communication, un projet « priorisé », un délai évaporé. On y glisse « au nom de la communauté » un paquet de délicatesses auxquelles il manque une seule chose: la transparence. Les indépendants n’en sont pas immunisés, mais le parti fabrique la logique de cour, démultiplie les loyautés et dilue la responsabilité. À la fin, tout le monde sert un drapeau, personne ne répond clairement.
Ajoutons le carriérisme, maladie jumelle. Les partis municipaux attirent, c’est mécanique, ceux qui rêvent d’un tremplin. La ville devient une rampe de lancement vers le provincial, le fédéral, des conseils d’administration, des officines à la mode, peu importe. On vote alors moins avec nos rues en tête qu’avec notre « futur moi » en bandoulière. On prend les positions qui plaisent à la clientèle politique, au milieu militant ou à la presse du moment, pas celles qui régleraient le problème de l’heure. Et puisque l’étiquette offre une armure, l’élu s’y réfugie: c’est « la position du parti », pas la sienne; la faute devient distribuée, et la responsabilité, vaporisée.
La paralysie bureaucratique suit comme la nuit le jour. Avec un parti, chaque décision doit faire son petit voyage rituel: comité politique, caucus, validations internes, alignements de communication. La salle du conseil devient le dernier arrêt d’un train qui a déjà choisi sa destination. On y lit des notes, on y récite des éléments de langage. Cela donne des soirées complètes pour reporter de trois mois la peinture d’une piste cyclable. Dans une ville, l’ennemi n’est pas l’adversaire politique, c’est le temps perdu. Quand Québec demande dix parapheurs pour déplacer une traverse piétonne, quand Gatineau polit trois communiqués avant de boucher un trou, quand Laval révise quatre fois le même règlement de zonage pour plaire au caucus, le citoyen décroche. Le parti n’a pas ajouté de l’efficacité; il a ajouté une hiérarchie.
Et la proximité? Elle se dissout dans la discipline de parti. Le citoyen veut parler à « son » élu; il se retrouve face à une matriochka: attaché politique, cellule de com, bureau du chef, comité thématique. L’obsession de l’alignement étouffe la conversation franche. L’élu indépendant, lui, n’a pas de ligne à avaler: il écoute, il tranche, il s’explique. La démocratie locale n’a pas besoin d’orateurs en uniforme; elle a besoin de voisins compétents. On prétend que l’étiquette « aide à comprendre ». En réalité, elle abrutit le débat: on classe le candidat dans une boîte et l’on arrête de lire le CV. Résultat prévisible: le talent s’enfuit, la docilité prospère.
Le plus ironique, c’est que l’argument massue des partis « la cohérence » se retourne contre eux. Quelle cohérence y a-t-il à promettre partout la même recette, des ruelles de Sherbrooke aux boulevards de Montréal, des quartiers de Québec aux secteurs de Saguenay? Les villes diffèrent par leur tissu social, leur parc immobilier, leur topographie, leur budget, leurs contraintes externes. La subsidiarité, principe cardinal pour un libéral sérieux, exige l’adaptation locale et la responsabilité au plus bas niveau. Les partis municipaux imposent l’homogénéité: ils parlent le même dialecte d’arrondissement en arrondissement et s’étonnent que la sauce ne prenne pas. On gouverne alors à distance, distance idéologique, des problèmes réels.
Je sais l’objection: « sans partis, c’est le chaos, la foire d’empoigne, l’incohérence permanente ». Comme si l’ordre venait du logo. L’ordre vient des institutions: règles claires de convocation, de vote, de publication, de reddition de comptes; plans financiers réalistes; contrats lisibles; évaluations publiques des projets; mandats limités, renouvelables devant l’électeur, pas devant le chef. L’ordre vient de procédures simples et d’une culture de la responsabilité, pas d’une discipline de parti qui transforme la ville en couvent de militants.
Qu’on me comprenne: l’idéologie n’est pas un gros mot, elle devient toxique quand elle sert de substitut à la compétence. Une ville n’est ni un think tank ni un parlement miniature: c’est une entreprise de services publics. Elle doit livrer — eau, voirie, sécurité, collecte, permis, aménagement, avec parcimonie budgétaire et exigence de résultats. Au besoin, elle doit renoncer à certaines lubies réglementaires, ouvrir la porte à la concurrence privée, contractualiser intelligemment, réduire les délais et cibler l’investissement. Voilà un terrain où le libéralisme n’est pas un slogan, mais une méthode: coût-bénéfice, incitations, transparence, liberté d’initiative. Aucune de ces vertus ne nécessite un parti municipal. Toutes réclament des élus libres.
Alors, que fait-on? On renverse la logique. D’abord, on institutionnalise l’indépendance: bulletins sans étiquette, ou étiquette « indépendant » par défaut, et fin des lignes de parti au conseil. Un élu peut évidemment s’associer, travailler en groupe, partager un programme ; mais l’association ne doit conférer aucun privilège procédural, aucun strapontin de plus, aucune priorité de parole. À Montréal, comme à Sherbrooke ou à Québec, l’assemblée doit être un marché d’idées, pas un concours de slogans.
Ensuite, on arme le citoyen: transparence intégrale et proactive. Ordres du jour publiés en amont, documents bruts accessibles, budgets compréhensibles, contrats lisibles. Vote enregistré et traçable: chaque conseiller explique, noir sur blanc, pourquoi il a voté pour ou contre. Indicateurs de performance publics: délais de permis, coûts unitaires de travaux, satisfaction des usagers, entretien des actifs. Le tout comparable entre arrondissements et entre villes. La concurrence, même symbolique, a des vertus colossales: qu’un citoyen de Sherbrooke puisse voir, en une page, comment se comporte son quartier face à Lévis ou à Laval, et vous verrez des miracles de frugalité.
Troisièmement, on réhabilite le mandat local comme un contrat personnel. Un élu se présente sur un plan de quatre ou cinq priorités concrètes et mesure, trimestre après trimestre, ce qu’il a livré. S’il dévie, il l’explique. S’il réussit, il est récompensé par l’électeur; s’il échoue, il cède la place. Pas besoin de mot d’ordre, de caucus, de whip. La responsabilité, c’est la liberté avec facture: on vous laisse agir, mais on vous demande des comptes. La politique municipale devrait ressembler à une relation de service, pas à une croisade tribale.
Quatrièmement, on dégraisse l’appareil politique pour préserver l’appareil administratif. Moins de cabinets, moins de communicants partisans, plus de professionnels tenus à la neutralité et à la performance. Qu’on paie correctement des directeurs généraux compétents, qu’on publie leurs objectifs, qu’on les évalue. Et qu’on cesse de confondre « politique » et « direction ». Les élus fixent des priorités claires; l’administration exécute; le public contrôle; point final.
Enfin, on cesse de se raconter des histoires. Le parti municipal n’est pas un pont entre le citoyen et l’État; c’est un voile. Il a peut-être une utilité électorale pour ceux qui tiennent au confort de la bannière. Pour la ville, il est surtout une distraction coûteuse. La vraie modernité municipale n’a rien d’exotique: elle tient dans trois mots que tout libéral reconnaît — liberté, responsabilité, proximité. Liberté de jugement pour l’élu et l’entrepreneur local; responsabilité budgétaire et politique, personnelle, traçable; proximité réelle avec les besoins, sans intercesseurs à plumes.
Nous n’avons pas besoin d’une « grande vision » municipale en sept couleurs, encore moins d’un bréviaire à répéter en caucus. Nous avons besoin de rues qui tiennent, d’eau qui coule, d’impôts qui n’explosent pas, d’entreprises qu’on n’entrave pas, de quartiers qu’on écoute. Tout cela exige de l’indépendance d’esprit, de la sobriété réglementaire et une obsession du résultat. Rien de tout cela n’exige un parti. Au contraire: c’est souvent malgré les partis que les villes réussissent. À Sherbrooke comme ailleurs, l’heure n’est pas à choisir un logo, mais à choisir des gens; des personnes qui signent de leur nom des engagements concrets et qui acceptent d’en payer le prix, en toute lumière. C’est ainsi que renaît la politique locale: quand elle cesse d’être un sport d’équipe pour redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, un service rendu aux voisins.