Le terme woke, qui signifie « éveillé » en anglais, est apparu dans la communauté afro-américaine dès les années 1930 pour désigner la vigilance face aux injustices raciales. Son sens actuel, plus large et militant, s’est surtout répandu à partir des années 2000, notamment avec l’émergence des nouveaux mouvements sociaux. L’Académie française le définit ainsi : « Courant de pensée, idéologie, nés aux États-Unis dans les années 2000, qui prônent l’éveil des consciences aux inégalités structurant les sociétés occidentales, et privilégient la lutte contre les discriminations notamment de nature raciste, sexiste et homophobe. »
À l’époque, être woke signifiait simplement être attentif aux discriminations et aux inégalités. C’était, en théorie, une forme de vigilance citoyenne bien intentionnée.
Cependant, entre cette intention originale et son usage actuel, le concept s’est complètement dévoyé. Ce qui devait être une vigilance face aux inégalités s’est transformé en un système de contrôle moral fondé sur l’exclusion et l’affichage constant de sa vertu. C’est cette transformation que les gens désignent aujourd’hui par le terme wokisme.
Du mouvement à l’idéologie
Roxanne Labanane, créatrice de contenu, propose une définition claire : le wokisme, c’est vouloir contrôler les autres en utilisant faussement la vertu. Cette formulation est directe, mais elle capture un phénomène bien réel.
Elle précise un point important : une personne de gauche n’est pas automatiquement woke. La distinction mérite d’être soulignée, car le wokisme est souvent associé à la gauche politique, créant une confusion entre convictions sincères et mise en scène morale.
Selon Labanane, celui qui s’engage sincèrement pour des causes sociales tout en restant capable d’écouter des points de vue différents, de discuter dans le respect, sans ressentir le besoin de contrôler ni d’afficher constamment sa vertu, n’est tout simplement pas woke. Le wokisme, lui, se caractérise par des tentatives de contrôle fondées sur une malhonnêteté de fond, qu’elles viennent de gouvernements, de médias, ou d’individus ordinaires.
Une logique de destruction
Samuel Rasmussen, commentateur politique, pousse l’analyse plus loin. Pour lui, le wokisme fonctionne comme une grande religion du déni : une croyance moderne qui confond posture morale et réalité. Dans ce système, l’émotion devient le seul critère de vérité, chaque nuance se transforme en faute grave, et la vertu se mesure à la quantité d’indignation affichée.
Ce qui distingue particulièrement son analyse, c’est l’accent sur la logique de destruction. Rasmussen observe que le wokisme préfère démolir ce qui fonctionne plutôt que d’assumer la responsabilité de bâtir quoi que ce soit. Au lieu de créer, on accuse. Au lieu d’améliorer, on fait la morale. Toute l’énergie est tournée vers la démolition des fondations communes, comme si l’histoire devait être effacée pour compenser une incapacité à produire quelque chose de valable.
Inclusivité proclamée, exclusion pratiquée
La plus grande contradiction du wokisme moderne réside dans ce fossé entre son discours d’inclusivité et ses pratiques d’exclusion. Le mouvement prétend accueillir tout le monde, créer des espaces sûrs pour les marginalisés, mais en pratique il exclut activement certains groupes. Les exemples sont nombreux, y compris ici au Québec et au Canada.
Dans les milieux universitaires, des espaces dits « en non-mixité » excluent délibérément certaines personnes selon leur sexe ou leur origine. À l’UQAM, par exemple, l’atelier de vélo réserve le mardi aux « femmes cis et trans, hommes trans, personnes non-binaires, intersexes et autres expressions de genre qu’homme cis ». En d’autres mots : tout le monde sauf les hommes. Le département de philosophie de l’UQAM va jusqu’à affirmer que critiquer ou s’opposer à de telles réunions non-mixtes « est une position qui émane du privilège ». Une façon commode de faire taire toute critique.
Dans le domaine de la recherche, le professeur Patanjali Kambhampati de l’Université McGill, un des plus grands spécialistes du laser au monde, s’est vu refuser du financement fédéral non pas pour la qualité de ses travaux, mais parce que son équipe n’était pas jugée « assez diversifiée » selon les critères d’équité, diversité et inclusion (EDI). Ses 15 doctorants provenant de milieux variés n’ont pas suffi. Pour lui, « ce que le gouvernement fédéral demande aux chercheurs se situe à l’extrême opposé des valeurs défendues par Martin Luther King ».
En politique québécoise, Québec solidaire a voté en congrès en novembre 2023 pour interdire aux hommes de se présenter comme candidats lors des élections partielles, réservant ces candidatures aux femmes et aux personnes non binaires. Olivier Bolduc, ex-candidat du parti dans Jean-Talon, a déchiré sa carte de membre en réaction, déclarant : « Pour moi, c’est évident que ça va trop loin. »
Même au sein de la communauté LGBTQ+, l’exclusion sévit. En 2019, les membres de Pride Toronto ont voté pour interdire aux policiers gais de défiler en uniforme dans le défilé de la Fierté. Des policiers homosexuels, membres de la communauté qu’ils souhaitent célébrer, exclus de leur propre événement à cause de leur profession.
Cette contradiction révèle la véritable nature du wokisme : ce n’est pas la recherche d’une société réellement inclusive, mais plutôt la création d’une nouvelle hiérarchie morale où certains groupes sont jugés plus dignes que d’autres. L’inclusivité affichée n’est qu’une façade. En réalité, le wokisme fonctionne sur un système d’exclusion : tu es bienvenu seulement si tu penses exactement comme nous, seulement si tu acceptes notre hiérarchie morale, seulement si tu renonces à toute perspective différente.
Un faux progrès qui fait reculer
Contrairement à ce que ses défenseurs prétendent, le wokisme n’est pas un mouvement de progrès social. C’est souvent l’inverse. L’exemple le plus frappant est le retour du racisme sous des étiquettes trompeuses comme « racisme positif » ou « discrimination positive ». Or, le racisme n’est jamais positif. Juger quelqu’un selon sa couleur de peau reste du racisme, peu importe le vocabulaire qu’on utilise pour le déguiser.
Ajouter un mot agréable devant une injustice ne la rend pas acceptable. Si on interdit l’accès à un restaurant aux personnes blanches au nom de « l’équité », on crée simplement une nouvelle forme de discrimination. On peut changer les noms, on peut changer les cibles, mais on ne peut pas changer la nature de l’acte. C’est toujours du racisme.
C’est là que le wokisme révèle sa nature profonde : sous couvert de justice, il ramène des pratiques qu’on croyait dépassées. La ségrégation revient sous forme d’« espaces sécuritaires » réservés à certains groupes. Les jugements basés sur l’origine ethnique ou le genre redeviennent acceptables, tant qu’ils visent les « bonnes » cibles. C’est un recul social déguisé en avancée.
Les mécanismes internes
Les deux perspectives se rejoignent sur un point éclairant : la structure interne du wokisme. Rasmussen y voit un regroupement de petites identités en quête de reconnaissance, fonctionnant exactement comme une secte. Ce groupe crée sa propre échelle morale, ses propres règles, ses propres gardiens de la pureté, mais sans jamais produire d’œuvre, d’organisation ou de responsabilité qui dure dans le temps.
Labanane, de son côté, souligne que les gens sincèrement bienveillants n’ont pas besoin d’insulter, de contrôler, de culpabiliser ou d’imposer quoi que ce soit. C’est peut-être la distinction la plus simple et la plus utile : la vraie bonté n’a pas besoin de se crier sur les toits, tandis que le wokisme se nourrit de cet affichage constant.
Pourquoi cette distinction est importante
Ce qui rend ces définitions utiles, c’est qu’elles permettent de nommer quelque chose que beaucoup de gens ressentent intuitivement sans pouvoir l’exprimer clairement. Des personnes de gauche comme de droite reconnaissent ce phénomène et le rejettent, parce qu’il représente une perversion de principes qu’elles pourraient autrement partager.
Le wokisme n’est donc pas un engagement social sincère. C’est une façon malhonnête de l’imiter. Une façon où l’apparence compte plus que l’action, où le contrôle remplace le dialogue, où l’affichage constant de vertu devient plus important que les résultats concrets. C’est un système qui prétend combattre les injustices tout en en créant de nouvelles. Et surtout, c’est une façon qui fait reculer la société tout en prétendant la faire avancer.

