Un rapport de l’Institut Fraser révèle une érosion dramatique des libertés à l’échelle planétaire depuis la pandémie. Près de 90 % de l’humanité vit désormais dans des pays moins libres qu’en 2019.
Quatre ans après le début de la pandémie de COVID-19, le constat est brutal : la liberté humaine ne s’est toujours pas remise de ses blessures. L’Human Freedom Index 2025, publié conjointement par l’Institut Fraser de Vancouver et le Cato Institute de Washington, dresse un portrait inquiétant d’un monde où les libertés personnelles et économiques continuent de s’effriter.
Un effondrement sans précédent
Les chiffres sont sans appel. Entre 2019 et 2023, 89,6 % de la population mondiale a vu son niveau de liberté diminuer. Sur les 165 juridictions analysées, 121 ont enregistré une baisse, contre seulement 42 qui ont progressé. Le score moyen mondial de liberté humaine est passé de 6,97 en 2019 à 6,75 en 2020, puis à 6,72 en 2021, avant de remonter légèrement à 6,81 en 2022 et de stagner à ce niveau en 2023.
« Quatre ans après le début de la pandémie, la liberté mondiale restait à un niveau bien inférieur à celui de l’an 2000 », constatent les auteurs du rapport, Ian Vásquez, Matthew D. Mitchell, Ryan Murphy et Guillermina Sutter Schneider. Cette régression ramène l’humanité à un niveau de liberté inférieur à celui du début du millénaire, effaçant deux décennies de progrès.
Le rapport identifie les secteurs les plus touchés : la liberté d’expression, la liberté d’association et de réunion, la liberté de mouvement et la stabilité monétaire. Les mesures sanitaires d’urgence, initialement présentées comme temporaires, ont laissé des cicatrices durables sur le tissu démocratique mondial.
La Suisse en tête, la Syrie en queue de peloton
Sans surprise, la Suisse trône au sommet du classement avec un score quasi parfait de 9,15 sur 10. Elle devance le Danemark (9,03), la Nouvelle-Zélande (9,02), l’Irlande (8,92) et le Luxembourg (8,88). Ces petites démocraties européennes et océaniennes forment un club très fermé où la liberté individuelle et la prospérité économique se renforcent mutuellement.
À l’autre extrémité du spectre, la Syrie ferme la marche avec un score catastrophique de 3,27, précédée par l’Iran (3,78), le Yémen (3,98), le Soudan (3,98) et le Myanmar (4,03). Ces pays ravagés par la guerre, l’autoritarisme ou les deux à la fois illustrent le lien indissoluble entre liberté et dignité humaine.
La France se classe au 33e rang mondial avec un score de 8,18, devant la Corée du Sud (35e), mais ex aequo avec l’Uruguay (33e). L’Argentine, malgré son excellente performance en matière de libertés personnelles (8,65), chute au 81e rang global en raison d’une liberté économique catastrophique (score de 4,48 sur 10) mesurée avant l’arrivée au pouvoir du président Javier Milei en décembre 2023. Les effets de ses réformes économiques ne seront visibles que dans les prochaines éditions du rapport.
Le Canada : stabilité apparente, recul réel
Le Canada maintient son 12e rang pour la deuxième année consécutive, mais cette stabilité masque un recul. Avec un score de 8,74 en 2023, le pays demeure en dessous de son niveau pré-pandémie de 8,80 en 2019. La chute la plus brutale s’est produite en 2021, lorsque le pays a dégringolé au 14e rang avec un score de 8,45.
Le portrait canadien révèle un paradoxe frappant. Le pays excelle en libertés personnelles (9,33), dépassant même les États-Unis (9,15), avec des notes parfaites dans les relations interpersonnelles (10/10), l’expression (9,8/10) et la liberté de mouvement (9,6/10). Mais son talon d’Achille réside dans la liberté économique (7,92), notamment la taille du gouvernement, où il obtient un score catastrophique de 3,4/10.
Cette dualité illustre deux conceptions de la liberté. Les Canadiens jouissent de vastes libertés civiles, tandis que les Américains (15e rang, score 8,71) évoluent dans une économie moins régulée. Le résultat? Deux pays nord-américains séparés par seulement 0,03 point au classement, mais aux philosophies radicalement opposées.
Liberté et prospérité : une corrélation éclatante
Le rapport établit un lien statistique puissant entre liberté et richesse. Les juridictions du quartile le plus libre affichent un revenu moyen par habitant de 53 635 $, contre seulement 14 201 $ pour le quartile le moins libre. L’écart est colossal : les citoyens des pays libres jouissent d’un niveau de vie près de quatre fois supérieur à celui des habitants des nations opprimées.
Cette corrélation ne s’arrête pas au portefeuille. Le rapport révèle aussi que la liberté humaine est fortement associée à l’espérance de vie, à la mortalité infantile réduite, à la tolérance sociale, à la performance environnementale et à l’absence de corruption. Les auteurs citent d’ailleurs l’économiste F.A. Hayek, qui avait observé : « Un monopole total de l’emploi… conférerait un pouvoir de coercition illimité. Comme l’a constaté Léon Trotsky : dans un pays où l’État est le seul employeur, l’opposition signifie mourir de faim. Le vieux principe “qui ne travaille pas ne mange pas” a été remplacé par un nouveau : “qui n’obéit pas ne mange pas” ».
87 indicateurs pour mesurer l’impossible
L’Human Freedom Index ne se contente pas de chiffres arbitraires. Il s’appuie sur 87 indicateurs distincts répartis en 12 grandes catégories : état de droit, sécurité et sûreté, liberté de mouvement, liberté de religion, liberté d’association et de réunion, liberté d’expression et d’information, relations interpersonnelles, taille du gouvernement, système juridique et droits de propriété, monnaie saine, liberté de commerce international et réglementation.
Cette méthodologie rigoureuse, élaborée par le Fraser Institute au fil de décennies de recherche sur la liberté économique, permet de comparer 165 juridictions représentant 98 % de la population mondiale. Chaque indicateur est noté sur une échelle de 0 à 10, où 10 représente le maximum de liberté.
Le rapport accorde une importance égale aux libertés personnelles et économiques, reconnaissant que l’une ne va pas sans l’autre. « La liberté économique n’est pas seulement précieuse en soi ; elle permet également aux individus d’exercer d’autres libertés », soulignent les auteurs. Sans liberté économique, les individus demeurent à la merci de l’État ou de puissantes cliques qui peuvent restreindre toutes les autres formes de liberté.
Les femmes, grandes oubliées des libertés mondiales
Le rapport accorde une attention particulière aux libertés spécifiques aux femmes, mesurées par cinq indicateurs : liberté de mouvement, relations entre femmes, divorce, droits successoraux et mutilations génitales féminines. Les résultats sont sans équivoque : l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale et l’Europe de l’Est affichent les niveaux les plus élevés de libertés féminines, tandis que le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud traînent lamentablement à la queue.
Dans ces régions défavorisées, les femmes subissent des discriminations légales et sociales qui les privent de droits fondamentaux : impossibilité de voyager librement, inégalité dans l’héritage, obstacles au divorce, et dans certains cas, pratiques barbares comme les mutilations génitales.
Une inégalité mondiale criante
Le rapport révèle une concentration alarmante de la liberté. Seulement 13,8 % de la population mondiale vit dans le quartile supérieur des juridictions les plus libres, tandis que 39,4 % vivent dans le quartile inférieur. La Chine, avec sa population massive et son régime autoritaire (149e rang), contribue largement à expliquer cette concentration de la population dans les pays les moins libres.
Pire encore, l’écart se creuse. Les pays du quartile le plus libre continuent d’accroître leurs libertés depuis 2020, tandis que le quartile le moins libre s’enfonce dans un déclin continu. Cette divergence préoccupante laisse présager un monde à deux vitesses : d’un côté, des démocraties prospères et ouvertes ; de l’autre, des régimes répressifs où la dignité humaine reste un luxe inaccessible.
Hong Kong : une chute vertigineuse
Parmi les dégringolades les plus spectaculaires, celle de Hong Kong frappe les esprits. Entre 2007 et 2023, le territoire est passé d’un score de 9,00 à 7,68, perdant 1,32 point. Sous la pression croissante du Parti communiste chinois, l’ancienne perle de l’Asie voit ses libertés civiles s’évaporer. Les auteurs du rapport s’attendent à ce que la répression croissante du Parti communiste chinois continue de faire chuter le classement de Hong Kong dans les prochaines éditions.
Le Nicaragua, la Turquie, l’Égypte et la Hongrie figurent également parmi les grands perdants de la dernière décennie. Ces pays illustrent comment des dirigeants autoritaires peuvent démanteler méthodiquement les institutions démocratiques et les libertés fondamentales.
Un signal d’alarme pour les démocraties
Ce rapport de l’Institut Fraser n’est pas qu’un exercice académique. C’est un signal d’alarme pour les démocraties occidentales qui, après avoir étendu les pouvoirs de l’État pendant la pandémie, peinent à revenir à la normale. Les mesures d’urgence ont souvent la fâcheuse tendance à devenir permanentes.
Le Canada, malgré sa 12e place respectable, n’échappe pas à ce constat. Son score de liberté personnelle (9,33) contraste avec une performance plus modeste en liberté économique (7,92). Cette asymétrie soulève des questions sur la taille de l’État, la réglementation excessive et les entraves à l’entrepreneuriat.
Les auteurs du rapport espèrent que leur index servira d’outil de surveillance impartial, permettant aux citoyens et aux chercheurs de suivre l’évolution des libertés à travers le temps et de tenir les gouvernements responsables. Car comme le rappelle la citation de John Locke qui traverse tout le rapport : la liberté implique qu’un individu « ne soit pas soumis à la volonté arbitraire d’un autre, mais qu’il suive librement la sienne ».

