Mark Carney a dévoilé dimanche son plan pour résoudre la crise du logement: créer un nouvel organisme fédéral, Maisons Canada, doté de 13 milliards de dollars pour construire 4000 unités préfabriquées. Une équation qui révèle autant les ambitions que les contradictions de cette approche étatiste face à un marché paralysé par la réglementation.
Un diagnostic lucide, une solution discutable
Le premier ministre a posé un diagnostic sans équivoque sur les maux du secteur: «Les prêts sont coûteux, les promoteurs sont confrontés à des retards d’un an dans l’obtention des permis, et les charges et taxes foncières et d’aménagement peuvent représenter la moitié des coûts du projet.». Il a même admis qu’«il n’y a pas eu de croissance de la productivité dans la construction au cours des 40 dernières années» et que «depuis la pandémie, la productivité du secteur de la construction a en réalité chuté».
Ces constats pointent directement vers les véritables coupables: une réglementation étouffante et des processus d’approbation kafkaïens. Pourtant, la solution proposée consiste à créer une nouvelle couche bureaucratique plutôt qu’à s’attaquer aux racines du problème.
L’État-constructeur en action
Maisons Canada adoptera une approche de «construction directe», où l’État «supervise et dirige des projets de construction axés sur les communautés à revenu mixte abordables». Ana Bailão, ex-mairesse adjointe de Toronto, dirigera cette nouvelle entité qui deviendra indépendante l’an prochain.
L’organisme disposera d’un éventail d’outils financiers: «contributions aux prêts, garanties de prêts, investissements en actions et investissements dans l’immobilier et le logement». L’objectif affiché est d’«attirer d’énormes capitaux privés dans la construction de logements abordables», transformant le secteur privé en simple exécutant des projets gouvernementaux.
Le protectionnisme déguisé en solution
L’approche «Achetez canadien» de Maisons Canada illustre parfaitement les travers interventionnistes. Carney justifie ainsi cette orientation: «À l’heure actuelle, la situation est la suivante : le Canada exporte des matières premières comme le bois, l’acier et l’aluminium, en grande partie vers les États-Unis. Ensuite, nous importons des produits finis comme des fenêtres, des panneaux et des unités préfabriquées à un coût beaucoup plus élevé».
Cette logique protectionniste ignore que ces importations reflètent souvent des avantages comparatifs et des spécialisations naturelles. Forcer l’achat canadien risque d’augmenter les coûts plutôt que de les réduire, pénalisant ultimement les futurs locataires.
Des premiers projets révélateurs
Les six sites initiaux – Dartmouth, Longueuil, Ottawa, Toronto, Winnipeg et Edmonton – totalisant 463 hectares, permettront de construire 4000 logements préfabriqués avec une «capacité supplémentaire sur ces sites jusqu’à 45 000 unités». Ces terrains fédéraux, décrits comme ayant «la taille du centre-ville d’Ottawa», illustrent l’ampleur du patrimoine foncier gouvernemental inexploité.
Trois volets complètent cette approche: le Fonds de protection locative de 1,5 milliard pour «acquérir des immeubles d’appartements locatifs à risque», un milliard pour les logements de transition, et un partenariat avec le Nunavut pour «plus de 700 logements publics, abordables et avec services de soutien».
La vraie solution négligée
Carney reconnaît pourtant la voie à suivre en évoquant la rationalisation: «Ainsi, au lieu que les développeurs aient besoin de soumettre des dizaines de demandes séparément, de grands portefeuilles de projets seront approuvés en une seule fois.». Cette approche qui consiste à «donner le feu vert à des projets en masse» montre que la simplification administrative peut accélérer la construction.
Pourquoi ne pas appliquer cette logique à l’ensemble du secteur? Plutôt que de créer une agence spécialisée pour quelques milliers d’unités, une réforme réglementaire générale pourrait libérer le potentiel de tout le marché immobilier.
Le coût de l’interventionnisme
L’investissement de 13 milliards représente plus de 3 millions par logement promis, un montant qui semble démesuré même en tenant compte des infrastructures associées. Carney assume d’ailleurs un déficit «substantiel» – plus grand que l’année dernière – pour financer cette approche.
«La quasi-totalité de ce montant sera inscrite au registre des investissements du gouvernement», précise-t-il, utilisant une comptabilisation qui masque l’impact réel sur les finances publiques. Cette approche comptable créative permet de présenter des dépenses massives comme des «investissements» productifs.
L’ironie de la situation
Le plus ironique dans cette annonce reste que Carney identifie correctement les obstacles: réglementations contraignantes, processus d’approbation interminables, coûts cachés des charges de développement. Mais au lieu de les éliminer, il préfère créer un système parallèle qui contourne ces obstacles pour quelques projets sélectionnés.
Cette approche revient à diagnostiquer une jambe cassée et à prescrire une prothèse plutôt qu’une guérison tout en laissant l’infection qui a causé la fracture se propager à tout le système. Selon les données du premier ministre, le Canada construit actuellement 240 000 à 250 000 logements par année, mais devrait en construire 450 000 selon la SCHL pour rendre le logement abordable. Les 4 000 logements promis représentent une goutte d’eau face aux 200 000 unités supplémentaires nécessaires chaque année.
Une occasion manquée
Avec son expérience du secteur financier, Carney aurait pu adopter une approche constitutionnellement réaliste : utiliser la puissance financière fédérale pour inciter les provinces à simplifier leurs règlementations, accélérer les processus d’approbation municipaux et réduire les charges de développement. Cependant, ces réformes relèvent principalement des provinces, qui en délèguent plusieurs aux municipalités.
Le gouvernement fédéral ne peut imposer directement ces changements, mais dispose d’un levier puissant via sa capacité de dépenser. Au lieu de négocier ces réformes avec les provinces et municipalités, Carney préfère créer un système parallèle coûteux qui contourne les obstacles réglementaires pour ses propres projets, laissant intacte la bureaucratie qui paralyse le reste du marché immobilier.
Alors, nous assistons à la création d’une nouvelle bureaucratie de 13 milliards qui, au mieux, construira quelques milliers de logements tout en maintenant les obstacles systémiques qui paralysent le reste du marché. Au coût actuel de 3,25 millions par maison préfabriqué.
Par ailleurs, l’organisme Maisons Canada réévaluera ses «premiers succès» l’an prochain pour déterminer s’il nécessite un «financement supplémentaire à long terme». Les contribuables canadiens peuvent déjà prévoir la suite de cette coûteuse expérience technocratique.