Introduction
Le présent article se propose d’analyser une dynamique politique assez peu connue dans le contexte québécois : le nationalisme hindou en Inde. Je crois qu’il est possible de tracer certains parallèles entre le nationalisme hindou et le nationalisme québécois. Alors, il est donc particulièrement pertinent d’explorer ce phénomène, même s’il se déroule à une grande distance de nous.
L’Inde est désormais le pays le plus peuplé au monde et connaît un enrichissement fulgurant. Bien que les gouvernements indiens maintiennent de nombreuses mesures économiques protectionnistes, l’Inde s’impose de plus en plus comme un acteur incontournable sur la scène internationale. En 2025, la capitalisation boursière de l’Inde rivalise avec celle du Canada. Considérée comme un marché émergent, elle figure néanmoins parmi les plus grandes économies et démocraties mondiales. Comme bien des pays, l’Inde abrite des courants nationalistes, et c’est le nationalisme hindou que je souhaite vous présenter, étant donné que l’hindouisme est la religion dominante du pays et qu’un gouvernement nationaliste hindou est au pouvoir depuis 2014.
Ce courant idéologique, bien que spécifique au sous-continent indien, s’inscrit dans des logiques globales de redéfinition identitaire, de renforcement des appartenances culturelles et de politisation du religieux — des tendances particulièrement saillantes dans un monde post-pandémique où les États-nations réaffirment leurs frontières culturelles autant que géopolitiques.
En 2025, alors que l’Inde s’affirme comme une puissance majeure sur la scène internationale, la compréhension de ses dynamiques internes, notamment celles qui touchent à l’identité nationale, revêt une pertinence accrue. Le nationalisme hindou, loin de constituer un phénomène marginal, s’est imposé au cœur du débat public indien, porté notamment par la montée en puissance du Bharatiya Janata Party (BJP) au cours des dernières décennies.
L’analyse du nationalisme hindou exige une compréhension nuancée du contexte sociopolitique indien, caractérisé par une extrême diversité ethnique, linguistique et religieuse. Depuis son indépendance en 1947, l’Inde s’efforce de concilier cette pluralité au sein d’un système démocratique. Toutefois, cette complexité constitue également un terrain fertile pour des revendications identitaires, parfois exclusivistes, à l’image du nationalisme hindou.
Bien que le pays compte aujourd’hui plus de 1,4 milliard d’habitants, répartis entre plus d’une vingtaine de langues officielles et des centaines de dialectes, une majorité de la population se réclame de l’hindouisme — une tradition religieuse et philosophique plurimillénaire qui dépasse largement la conception occidentale de la religion pour s’ancrer profondément dans les modes de vie, les structures sociales et les imaginaires collectifs.
Dans ce cadre, le nationalisme hindou peut être appréhendé comme une forme particulière de nationalisme culturel, voire civilisationnel, cherchant à promouvoir une identité nationale fondée sur les valeurs perçues comme intrinsèquement hindoues. Cette orientation se distingue du nationalisme indien plus large, souvent incarné par le Congrès national indien, qui prônait une vision laïque et inclusive de l’État.
Le présent article se propose donc d’examiner les fondements idéologiques du nationalisme hindou, d’en retracer l’émergence historique, d’identifier les principales organisations qui en assurent la promotion, et d’évaluer les transformations qu’il a connues jusqu’à aujourd’hui. Cette analyse vise à éclairer les tensions, parfois profondes, entre les idéaux pluralistes de l’Inde post-indépendance et les aspirations identitaires portées par le nationalisme hindou contemporain.
Contexte politique : fondements historiques du nationalisme indien
Pour comprendre l’émergence du nationalisme hindou, il est indispensable de revenir aux origines du nationalisme indien dans son ensemble. Ce dernier prend forme dans le contexte de la domination coloniale britannique, alors que le territoire indien, auparavant fragmenté en une multitude de royaumes indépendants, est progressivement unifié sous l’égide de l’Empire britannique.
Face à cet oppresseur commun, un mouvement nationaliste se structure au fil du XIXe siècle, mobilisant les populations autour de l’idée d’une libération collective. Ce processus atteint son apogée avec la Seconde Guerre mondiale : la défaite des puissances fascistes et la remise en cause de la légitimité coloniale précipitent une vague de décolonisation globale, dont l’Inde bénéficie en obtenant son indépendance en 1947.
Cette accession à la souveraineté constitue, pour de nombreux Indiens, l’aboutissement d’un combat long et éprouvant. Cependant, la naissance de l’État indien coïncide avec des fractures profondes, notamment la partition avec le Pakistan — un État musulman — qui engendre des déplacements massifs de populations, des violences intercommunautaires et une guerre dès la première année de l’indépendance. Les tensions religieuses, particulièrement dans les provinces du nord et autour du Cachemire, deviennent dès lors un enjeu politique majeur.
Dans ce contexte instable, le Congrès national indien, conduit par Jawaharlal Nehru, tente de poser les fondements d’un État démocratique et laïque. L’objectif affiché est de garantir l’unité du pays dans le respect de sa diversité religieuse et culturelle. Toutefois, la présence de plus de 43 millions de musulmans sur le territoire indien, après la partition, alimente une méfiance persistante chez certains segments de la population majoritairement hindoue.
C’est dans ce climat de tensions postcoloniales que se développe un courant politique visant à affirmer la suprématie de l’hindouisme comme socle de l’identité nationale. Bien que minoritaires dans un premier temps, les partis et mouvements prônant une « hindutva » (hindouité) militante gagnent en influence au fil des décennies, notamment en réaction aux politiques jugées trop conciliantes du Congrès vis-à-vis des minorités religieuses.
Ainsi, le nationalisme hindou, loin d’être un phénomène récent, trouve ses racines dans les ambiguïtés de la période post-indépendance et dans le désenchantement de certaines franges de la population face aux promesses non tenues d’un État laïque. La politisation de l’hindouisme émerge alors comme une réponse à la quête d’unité dans un pays en proie à de profondes divisions.
Les idéologies fondatrices du nationalisme hindou
L’émergence du nationalisme hindou ne peut être comprise sans un examen approfondi de ses fondements idéologiques, au premier rang desquels figure le concept d’Hindutva, ainsi que la vision associée d’un Hindu Rashtra (ou « nation hindoue »). Ces deux notions, bien que distinctes, sont étroitement imbriquées dans la construction d’un imaginaire national hindou qui continue d’influencer significativement le paysage politique indien contemporain.
Hindutva : vers une définition culturelle de l’indianité
L’Hindutva, souvent traduit par « hindouïté », désigne une idéologie politique visant à établir l’hindouisme non seulement comme religion majoritaire, mais aussi comme matrice culturelle et identitaire de la nation indienne. Popularisé par Vinayak Damodar Savarkar dans son pamphlet Hindutva : Who is a Hindu? (1923), ce concept repose sur une redéfinition de l’identité nationale fondée sur la confluence entre territoire, culture, langue et spiritualité d’origine indienne.
Savarkar, militant indépendantiste et penseur politique, élabore cette idéologie alors qu’il est emprisonné par les autorités coloniales britanniques en raison de ses liens avec des groupes révolutionnaires. Pour lui, l’Hindutva incarne une réponse à la fragmentation identitaire de l’Inde coloniale. Il rejette les divisions de caste — ce qui, à l’époque, est déjà une posture radicale — et propose une forme d’unité basée sur une conception ethnoculturelle de la nation. Selon sa vision, seuls peuvent être considérés comme de véritables Indiens ceux qui :
- sont nés sur le territoire indien ;
- professent une religion née sur le sol indien, à savoir l’hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme ou le sikhisme.
Cette définition exclut donc les adeptes de religions dites « étrangères », notamment l’islam et le christianisme, perçues comme des éléments exogènes à la culture nationale. L’Hindutva revendique ainsi une forme de continuité civilisationnelle et sacralise le lien entre la terre, le sang et la spiritualité indigène.
Ce projet idéologique repose sur la notion des « cinq entités » — la patrie, la race, la culture, la langue et la religion — qui doivent être intégrées pour faire partie pleinement de la nation. Quiconque ne s’aligne pas sur ces piliers fondateurs se voit symboliquement relégué en marge de la vie nationale. Toutefois, l’objectif initial de Savarkar n’était pas nécessairement de transformer l’Hindutva en une doctrine politique institutionnalisée, mais plutôt d’en faire une base culturelle et identitaire portée par la société civile à travers des mouvements sociaux, associatifs et spirituels.
Malgré son caractère exclusiviste, l’Hindutva prétend œuvrer pour une unification nationale dans un pays caractérisé par une diversité extrême. À une époque où l’Inde reconnaît officiellement plus de vingt langues, l’Hindutva entend instaurer une homogénéité culturelle censée transcender les divisions linguistiques, ethniques et régionales. En ce sens, cette idéologie se présente comme une tentative de bâtir une cohésion nationale sur la base d’un référent culturel commun.
Hindu Rashtra : la nation hindoue comme horizon civilisationnel
Indissociable de l’Hindutva, le concept de Hindu Rashtra — littéralement « nation hindoue » — constitue l’expression politique et territoriale de cette idéologie. Selon ses défenseurs, il ne s’agit pas de revendiquer un État théocratique au sens occidental du terme, mais bien de reconnaître l’existence d’une nation définie par la culture hindoue, au sein même d’un État qui pourrait rester formellement laïque.
Le RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh), pilier central du mouvement nationaliste hindou, affirme que le Hindu Rashtra est une réalité historique et civilisationnelle qu’il s’agirait simplement de réaffirmer dans le cadre moderne. À leurs yeux, l’Inde n’a jamais cessé d’être une nation hindoue — même sous domination étrangère — et la reconnaissance de cette continuité est perçue comme une forme de restauration plutôt que de transformation.
Dans la perspective de Savarkar et de ses successeurs, le territoire indien est non seulement le berceau, mais aussi le sanctuaire sacré des traditions religieuses autochtones. Par conséquent, seul un individu né en Inde et pratiquant une religion indigène peut être considéré comme un patriote authentique. Cette conception repose sur une territorialisation du sacré : l’Inde est vue comme une punyabhumi (terre sacrée), inaccessible spirituellement aux traditions importées.
Officiellement, les partisans du Hindu Rashtra affirment que les non-hindous seraient pleinement citoyens, bénéficiant des mêmes droits civiques, à condition qu’ils respectent la primauté de la culture hindoue comme fondement de la société. Toutefois, les critiques redoutent que cette posture engendre, dans les faits, des politiques d’exclusion ou de marginalisation à l’égard des minorités religieuses, notamment musulmanes et chrétiennes. Les débats contemporains autour de la citoyenneté, de la liberté religieuse et des programmes éducatifs illustrent bien les tensions persistantes autour de ce projet national.
En 2025, alors que l’Inde poursuit sa trajectoire vers la modernisation économique et technologique, le débat autour du Hindu Rashtra demeure l’un des plus clivants du paysage politique. Il soulève des interrogations fondamentales sur la nature de l’État indien : doit-il rester fidèle à l’idéal pluraliste et laïc des pères fondateurs, ou évoluer vers une forme d’identité nationale enracinée dans une culture majoritaire?
Les associations nationalistes hindoues dans l’Inde contemporaine : dynamiques, influences et idéologies
Le Sangh Parivar : constellation idéologique de l’Hindutva
Le nationalisme hindou, tel qu’il s’est structuré au XXe siècle, repose sur un maillage complexe d’organisations œuvrant à la diffusion de l’idéologie de l’Hindutva. Ces structures forment ce que l’on nomme le Sangh Parivar, littéralement « famille du Sangh », une coalition d’organisations disparates partageant une vision commune de l’Inde comme civilisation hindoue unifiée.
Bien que la plupart de ces entités soient issues du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), leur évolution respective s’est faite de manière autonome, voire parallèle. Parmi les acteurs les plus notables de ce conglomérat figurent le RSS lui-même, le Bharatiya Jana Sangh (BJS), le Vishva Hindu Parishad (VHP) et son héritier politique le Bharatiya Janata Party (BJP). D’autres structures militantes, sociales ou religieuses gravitent également autour de ce noyau, mais cette analyse se concentrera sur les composantes majeures de ce réseau idéologique.
Le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) : matrice de l’Hindutva politique
Fondé en 1925, le RSS se présente comme un mouvement nationaliste culturel dont la mission est de préserver la spiritualité, la moralité et la culture indigène de l’Inde. Dans sa conception, l’hindouisme dépasse le cadre religieux traditionnel pour devenir un mode de vie — une essence civilisationnelle appelée à régir l’ensemble des institutions et comportements sociaux.
L’organisation aspire à une société homogène, cohésive, où les institutions et les individus agiraient en synergie, à l’instar des organes d’un même corps. Notamment, le RSS a pris position contre le système des castes, le considérant comme une cause majeure de l’aliénation de certaines populations vis-à-vis de l’hindouisme. Cette posture, bien que progressiste en apparence, vise à renforcer l’unité hindoue sous une bannière culturelle commune.
Cependant, le RSS demeure hautement controversé. Son influence politique est manifeste à travers ses liens étroits avec divers partis nationalistes, et il est régulièrement critiqué pour son discours discriminatoire envers certaines minorités, notamment musulmanes. Des propos extrémistes tenus par certains membres ont conduit à des accusations de dérives extrémistes. Malgré cela, le RSS reste un acteur incontournable de la vie sociopolitique indienne, toujours actif dans l’ombre du pouvoir.
Le Bharatiya Jana Sangh (BJS) : entre échec politique et héritage idéologique
Une doctrine ancrée dans le brahmanisme
Créé en 1951, le BJS fut le premier parti politique d’envergure à revendiquer une plateforme explicitement nationaliste hindoue. Inspiré du brahmanisme, il fondait sa légitimité sur la tradition védique et sur la population hindiophone. En instrumentalisant les textes sacrés — les Védas — pour créer une mythologie nationaliste, le BJS a tenté de forger une conscience collective hindoue perçue comme menacée par la sécularisation et les influences extérieures.
Contrairement aux traditionalistes, les nationalistes du BJS considéraient que l’hindouisme devait guider l’action politique. Ils s’affirmaient comme les gardiens de la culture indienne, prêts à s’opposer frontalement à ce qu’ils percevaient comme l’hégémonie musulmane et le laïcisme de l’État indien postcolonial.
Une marginalisation structurelle
Le BJS est rapidement apparu comme un parti élitiste, majoritairement soutenu par des intellectuels brahmanes du nord de l’Inde. Cette base sociale étroite et son attachement à l’hindi comme langue nationale ont contribué à son isolement dans un pays marqué par une pluralité linguistique et religieuse. La rhétorique hostile envers le Pakistan et les musulmans a renforcé cette perception, plaçant le BJS à l’extrême droite de l’échiquier politique indien.
Faible pénétration électorale
Malgré une progression timide dans les années 1950 et 1960, le BJS n’a jamais su s’imposer comme une force dominante. Son succès aux élections de 1967 fut éphémère, et dans les années 1970, il perdit une grande partie de sa crédibilité, contraint de se fondre dans des coalitions disparates pour résister à la centralisation autoritaire du régime d’Indira Gandhi. Après l’état d’urgence (1975–1977), le parti fut dissous, préparant la voie à sa réinvention sous la forme du BJP.
Les causes d’un échec
Selon l’historien Bruce Graham, l’échec du BJS réside dans son incapacité à dépasser son identité initiale, trop étroitement liée à la population hindiophone et à une interprétation restrictive de l’hindouisme. L’absence de propositions économiques solides et l’allégeance persistante au RSS ont également freiné son développement. Comme le souligne le politologue français spécialiste du sous-continent indien Christophe Jaffrelot, l’incapacité du BJS à susciter un nationalisme hindou populaire à grande échelle, ainsi que le manque de flexibilité idéologique pour s’adapter aux réalités socio-économiques du pays, l’a mené à sa perte.
Le Vishva Hindu Parishad (VHP) : religiosité militante et activisme identitaire
Créé au début des années 1960, dans un contexte de remise en question du Congrès et de montée des critiques contre la laïcité, le VHP s’est imposé comme le bras religieux du Sangh Parivar. Le RSS incarne la dimension culturelle, le BJS (et aujourd’hui le BJP) la dimension politique, et le VHP la dimension religieuse de l’Hindutva.
Le VHP s’est d’abord concentré sur la mobilisation religieuse, la construction de temples, la promotion d’institutions éducatives hindoues et l’assistance aux démunis. Toutefois, son virage radical à la fin des années 1980 — notamment son rôle présumé dans la destruction de la mosquée Babri en 1992 — a terni son image. De plus, son implication dans des violences intercommunautaires a renforcé sa réputation d’organisation extrémiste. Aujourd’hui encore, le VHP reste actif et controversé, souvent accusé d’encourager des tensions religieuses, en particulier envers les chrétiens et les musulmans.
Le Bharatiya Janata Party (BJP) : de l’héritage idéologique à l’hégémonie politique
Genèse et repositionnement
Fondé en 1980 comme héritier du BJS, le BJP s’est voulu dès le départ plus inclusif et stratégiquement souple. Sous la direction d’Atal Bihari Vajpayee, il a tenté de s’émanciper de l’image rigide du BJS tout en conservant une proximité idéologique avec le RSS. La loyauté envers ce dernier, bien qu’atténuée, reste néanmoins perceptible dans les orientations du parti.
Entre idéologie et pragmatisme
Officiellement, la constitution du BJP proclame son attachement à l’unité nationale, à la démocratie, au respect de toutes les religions et au développement social. Cependant, l’influence persistante de l’Hindutva transparaît régulièrement dans ses prises de position, comme l’illustre la demande formulée en 1991 par Vajpayee de « restituer » le site de la mosquée Babri aux hindous.
L’ascension du BJP et ses paradoxes
Depuis les années 1990, le BJP est devenu un acteur central de la vie politique indienne. Mais cette ascension s’est accompagnée de tensions internes : la volonté de maintenir une base électorale hindoue fidèle tout en tentant d’attirer les minorités — notamment musulmanes — a donné lieu à des stratégies ambivalentes. L’alliance avec des organisations plus radicales comme le VHP, le Bajrang Dal ou le Shiv Sena témoigne de ce double jeu.
La rhétorique officielle du BJP s’est progressivement rapprochée d’un conservatisme modéré, mais ses fondements idéologiques restent marqués par une vision identitaire de la nation. L’Inde de 2025, toujours confrontée à des défis de cohésion sociale et de pluralisme démocratique, continue d’être profondément influencée par les tensions internes au sein du BJP entre sa base orthodoxe et son ambition hégémonique.
Le nationalisme hindou depuis 2014 : d’idéologie militante à cadre politique dominant
Depuis que le BJP est au pouvoir, l’idéologie de l’Hindutva s’est peu à peu transformée en cadre structurant pour les politiques publiques. Voici quelques exemples :
- Réforme de la citoyenneté (2019) : la loi sur la citoyenneté facilite l’obtention de la nationalité indienne pour les réfugiés non musulmans venant du Pakistan, du Bangladesh et de l’Afghanistan. Elle a été vivement critiquée comme discriminatoire envers les musulmans.
- Révocation de l’article 370 (2019) : qui garantissait un statut spécial au Jammu-et-Cachemire. Cette mesure a été présentée comme une intégration du territoire au reste de l’Inde, mais aussi comme une victoire symbolique du nationalisme hindou sur une région à majorité musulmane.
- Uniformisation culturelle : promotion de l’hindi au détriment d’autres langues régionales, mise en avant de festivals hindous, pressions sur les minorités pour adopter certaines normes culturelles majoritaires.
Montée de l’intolérance et du vigilantisme
Sous le mandat du BJP, on assiste à une augmentation des violences intercommunautaires, en particulier :
- Des lynchages publics de musulmans accusés de transporter ou de consommer du bœuf ;
- Des attaques contre des chrétiens soupçonnés de faire du prosélytisme ;
- Des groupes comme le Bajrang Dal ou le VHP se sont sentis légitimés à agir, bénéficiant d’une forme d’impunité.
Bien que ces actions ne soient pas nécessairement officiellement encouragées par le BJP, le silence ou les réactions tardives des autorités donnent souvent l’impression d’une tolérance implicite, voire d’un encouragement tacite.
Contrôle des institutions
Le nationalisme hindou s’est aussi diffusé à travers un contrôle croissant des institutions :
- Nomination de sympathisants du RSS dans les universités, les médias publics, les conseils culturels ;
- Pressions sur les journalistes et les universitaires critiques du régime ;
- Censure indirecte des voix dissidentes via des accusations de « sédition » ou d’atteinte à l’ordre public.
Conclusion :
La politique indienne contemporaine, comme à travers son histoire, demeure caractérisée par une complexité extrême, fruit d’une diversité linguistique, religieuse, régionale et sociale sans équivalent. Toute tentative de mobiliser la population autour d’un projet unificateur se heurte inévitablement à cette hétérogénéité constitutive. Dans ce contexte, divers mouvements idéologiques cherchent à imposer leur propre conception de l’unité nationale, souvent en instrumentalisant des récits historiques, religieux ou culturels.
Le nationalisme hindou, dans sa forme doctrinale — celle de l’Hindutva — s’inscrit précisément dans cette logique. Cependant, force est de constater que, jusqu’à une période récente, cette idéologie est restée relativement marginale dans le paysage politique indien. Cela tient notamment au fait que pour une large part de la population, l’hindouisme, en tant que fondement culturel et spirituel, imprègne déjà le quotidien, rendant superflu — voire artificiel — son inscription directe dans la sphère politique.
C’est pourtant au nom de la défense de cette tradition que les promoteurs de l’Hindutva ont progressivement construit un discours de menace. Le cadre laïc de l’État indien, garant de la neutralité religieuse depuis l’indépendance, est perçu par certains comme un péril pour la pérennité de la culture hindoue. À partir de ce constat, divers groupes affiliés au Sangh Parivar ont entrepris des campagnes de lobbying, d’influence médiatique et d’activisme social pour imposer leur lecture du passé et leur vision de l’avenir.
L’Inde de 2025 fait ainsi face à une tension fondamentale : on peut légitimement se demander si elle peut rester une démocratie pluraliste tout en normalisant une idéologie fondée sur une identité religieuse majoritaire. Dans certains cas, cette mobilisation idéologique prend des formes quasi dogmatiques. Ou bien l’Hindutva risque-t-elle de devenir une version indienne du populisme identitaire autoritaire observé ailleurs dans le monde ?