Le transport en commun de Montréal est paralysé depuis le 31 octobre par une double grève qui perturbe les déplacements de centaines de milliers d’usagers. Face à cette crise, le Parti conservateur du Québec propose une solution législative visant à garantir 80% des services en tout temps, même en période de conflit de travail.
Une double grève qui paralyse Montréal
Depuis le 31 octobre, le réseau de la Société de transport de Montréal (STM) fait face à deux conflits de travail simultanés qui affectent considérablement les usagers.
Le premier conflit implique 2 400 employés d’entretien du Syndicat du transport de Montréal (CSN), qui ont déclenché une grève devant durer jusqu’au 28 novembre. Cette action, la troisième de l’année après celles de juin et septembre, limite les services de métro et d’autobus aux heures de pointe uniquement.
Le second conflit concerne 4 500 chauffeurs d’autobus, opérateurs de métro et agents de station représentés par le SCFP 1983. Après une première journée de grève le 1er novembre qui a complètement paralysé le réseau, le syndicat a déposé un avis pour deux nouvelles journées de grève les 15 et 16 novembre.
Le Tribunal administratif du travail (TAT) a tenu une audience le 10 novembre pour déterminer les services essentiels à maintenir lors de ces deux journées. La STM réclame un maintien du service aux heures de pointe, qualifiant d’inacceptable l’absence totale de service comme ce fut le cas le 1er novembre.
Des impacts sur les plus vulnérables
La grève frappe particulièrement les citoyens qui dépendent du transport en commun pour leurs déplacements quotidiens. Parmi les groupes les plus touchés, on retrouve les étudiants sans voiture, les employés devant se rendre au travail hors des heures de pointe, et les personnes malades.
Les impacts sur l’accès aux soins sont considérables. Éric Duhaime affirme qu’environ 11 000 rendez-vous médicaux nécessiteraient le transport en commun quotidiennement. Les hôpitaux montréalais confirment des dizaines d’annulations et de reports de rendez-vous depuis le début du conflit. La STM a d’ailleurs admis devant le tribunal avoir mal évalué les conséquences de la grève totale du 2 novembre, reconnaissant notamment les impacts sur les personnes devant se rendre dans les banques alimentaires.
Les impacts économiques sont également considérables. Plusieurs organisations patronales, dont l’Association des restaurateurs du Québec, l’Association hôtelière du Grand Montréal et la Fédération des chambres de commerce du Québec, ont demandé au ministre du Travail d’intervenir rapidement. Les bouchons de circulation se sont allongés jusqu’à deux fois leur durée normale.
La proposition du PCQ : ressusciter le projet de loi 192
Face à cette situation, Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec, a présenté le 5 novembre une solution législative inspirée d’un projet de loi déposé en 2007 par l’Action démocratique du Québec.
Le projet de loi 192, présenté à l’époque par le député de Terrebonne Jean-François Therrien, proposait de modifier le Code du travail pour obliger les sociétés de transport en commun à maintenir 80% des services en tout temps, même pendant les grèves.
Selon Duhaime, qui affirme avoir corédigé ce projet de loi lorsqu’il était conseiller au cabinet de Mario Dumont, cette approche permettrait aux travailleurs de conserver 20% de capacité de grève pour exprimer leur mécontentement, tout en protégeant les usagers contre les perturbations majeures.
Le texte original du projet de loi 192 prévoyait l’ajout d’un article au Code du travail stipulant : « Lors d’une grève des salariés d’une société de transport en commun instituée par la Loi sur les sociétés de transport en commun, un minimum de 80% des services doivent être maintenus en tout temps ».
Une différence majeure avec la loi 89
Le chef du PCQ a souligné que sa proposition diffère substantiellement de la loi 89 du ministre Jean Boulet, adoptée en mai 2025 et devant entrer en vigueur le 30 novembre.
La loi 89 crée une nouvelle catégorie de « services assurant le bien-être de la population » et donne au ministre du Travail le pouvoir discrétionnaire d’intervenir dans les conflits de travail, de nommer un médiateur et d’ordonner un retour au travail lorsque l’arrêt de travail peut affecter de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population.
Duhaime critique le caractère arbitraire de cette loi, affirmant qu’elle laisse les décisions au « bon vouloir du ministre » plutôt que de garantir un niveau de service prévisible. Selon lui, la proposition du PCQ offrirait une « police d’assurance » automatique, éliminant l’incertitude pour les usagers.
Les arguments en faveur du service essentiel
Fiabilité et promotion du transport collectif
Le chef conservateur établit un lien direct entre la désignation comme service essentiel et la promotion du transport en commun. Il critique les partis « qui se disent de gauche » et en faveur du transport collectif, mais qui ne soutiennent pas cette législation.
Selon Duhaime, « la première chose, le premier devoir qu’on a, c’est de s’assurer de la fiabilité du service ». Soustraire les usagers des conflits de travail serait un prérequis pour encourager l’abandon de l’automobile au profit du transport en commun à moyen et long terme.
Protection des droits des travailleurs
La proposition du PCQ n’éliminerait pas complètement le droit de grève. Avec un maintien de 80% des services, les travailleurs conserveraient une marge de 20% pour exercer une pression lors des négociations. Cette approche vise à établir un équilibre entre les besoins des usagers et les droits des travailleurs.
Prévisibilité pour la population
Contrairement à la loi 89 qui laisse au ministre le pouvoir discrétionnaire d’intervenir, le projet de loi 192 offrirait une garantie automatique de service. Les usagers pourraient planifier leurs déplacements en sachant qu’un minimum de service sera toujours disponible, quelle que soit la situation de conflit de travail.
Application à l’ensemble du Québec
Interrogé sur la portée géographique de sa proposition, Duhaime a confirmé qu’elle s’appliquerait à l’ensemble du transport collectif au Québec, incluant notamment le RTC de Québec qui a également connu de nombreuses grèves.
Il est à noter que le RTC a récemment été débouté par le TAT dans sa demande d’être assujetti aux services essentiels, le tribunal jugeant qu’une grève du transport en commun ne mettait pas en danger la santé ou la sécurité publique au sens strict du Code du travail.
Un appel aux députés d’origine adéquiste
Duhaime a lancé un appel particulier aux députés et ministres issus de la mouvance adéquiste au sein de la Coalition Avenir Québec, leur demandant de « retourner à leurs racines » en adoptant cette mesure.
Il a rappelé que le premier ministre François Legault avait récemment parlé de faire un « virage conservateur » et que cet enjeu serait l’occasion de le démontrer concrètement. Le chef du PCQ a exprimé sa frustration face à l’inaction des quatre partis représentés à l’Assemblée nationale, affirmant qu’aucun ne se lève pour défendre les usagers du transport en commun.
Mesures à court terme
À court terme, Duhaime appuie les demandes d’organisations patronales pour que le ministre Boulet devance l’entrée en vigueur de la loi 89, initialement prévue pour la fin novembre. Le ministre a d’ailleurs démontré une ouverture à cette idée.
Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, s’est également dit prêt à collaborer avec la CAQ pour forcer un retour au travail, dénonçant une « prise d’otage de la population ».
Un débat qui refait surface
Le projet de loi 192 avait été débattu en commission parlementaire en avril 2008, mais n’avait jamais été adopté. À l’époque, le ministre du Travail de l’époque, Sam Hamad, avait critiqué cette approche et préféré mener des consultations avec les sociétés de transport et les syndicats.
Près de 18 ans plus tard, la question du statut du transport en commun comme service essentiel revient au centre du débat public, alors que la population subit les conséquences d’une nouvelle paralysie du réseau montréalais.
La décision du TAT concernant les services essentiels pour les 15 et 16 novembre sera déterminante pour l’ampleur des perturbations de cette fin de semaine, mais aussi pour l’évolution future du cadre législatif encadrant le droit de grève dans le transport collectif au Québec.

