Pierre Poilievre a remporté haut la main l’élection partielle de Battle River—Crowfoot avec 40 548 votes (80,4%), mais ce triomphe prévisible du chef conservateur a été éclipsé par un phénomène électoral sans précédent : 214 candidats se sont présentés, transformant cette consultation démocratique en un défi administratif digne de l’absurde.
Le scrutin, qui s’est tenu récemment dans cette circonscription albertaine acquise aux conservateurs, a forcé Élections Canada à abandonner le bulletin de vote traditionnel au profit d’un « bulletin adapté » sur lequel les électeurs devaient inscrire le nom de leur candidat, accompagnés d’une liste séparée pour s’y retrouver.
Parti | Candidat | Votes | Pourcentage |
---|---|---|---|
Conservateur | Pierre Poilievre | 40 548 | 80,4 % |
Indépendant(e) | Bonnie Critchley | 5 013 | 9,9 % |
Libéral | Darcy Spady | 2 174 | 4,3 % |
NPD | Katherine Swampy | 1 050 | 2,1 % |
Parti Uni du Canada (UP) | Grant Abraham | 773 | 1,5 % |
Parti populaire – PPC | Jonathan Bridges | 137 | 0,3 % |
Parti Vert | Ashley MacDonald | 116 | 0,2 % |
Libertarien | Michael Harris | 102 | 0,2 % |
Parti de l’Héritage Chrétien | Jeff Willerton | 91 | 0,2 % |
Indépendant(e) | Sarah Spanier | 53 | 0,1 % |
Parti Marijuana | Kenneth Kirk | 41 | 0,1 % |
Centriste | Ahmed Hassan | 15 | 0,0 % |
Une prolifération de candidatures quasi fictives
L’analyse détaillée des résultats révèle l’ampleur du phénomène : 75 candidats indépendants n’ont récolté aucun vote, pas même le leur. Parmi eux, on retrouve des noms comme Marthalee Aykroyd, Line Bélanger, Bo Cai ou encore Belinda Christine Young, qui semblent avoir disparu dans la nature le jour du scrutin.
La situation devient encore plus surréaliste quand on examine les performances : 61 candidats ont obtenu exactement un vote (probablement le leur), 28 en ont récolté deux, 11 en ont eu trois votes, 7 en ont reçu quatre, 7 en ont récolté cinq, 4 en ont obtenu six, 3 en ont eu sept, 1 en a eu neuf, 1 en a eu dix et 4 autres ont atteint le sommet de onze votes chez les indépendants. Au total, 197 candidats sur 214 ont obtenu moins de 10 votes, soit 92% des candidatures. Parmi les candidats, 204 étaient des indépendants.
Cette avalanche de candidatures marginales relègue même les partis traditionnels au second plan. Le candidat libéral Darcy Spady, avec ses 2 174 votes (4,3%), arrive derrière l’indépendante Bonnie Critchley qui a récolté 5 013 votes (9,9%).
Un système électoral à bout de souffle
Élections Canada a dû adapter ses procédures face à cette situation exceptionnelle, expliquant que « le bulletin de vote de l’élection partielle dans Battle River–Crowfoot sera différent de celui auquel les électeurs et les candidats sont habitués, en raison du nombre de candidats plus élevé que d’ordinaire ainsi que des limites des grands bulletins de vote utilisés lors d’élections précédentes. »

L’organisme a précisé que « dans la mesure où votre intention est claire, votre vote sera compté même si vous avez fait une faute dans le nom du candidat. Cependant, si vous inscrivez uniquement le nom d’un parti politique, votre bulletin de vote sera rejeté. »

Cette gymnastique administrative a été mise en place dans 285 bureaux de scrutin pour accommoder les 85 736 électeurs inscrits, dont 58,82% ont participé au scrutin.
La tactique de l’obstruction par saturation
Derrière cette prolifération de candidatures se cache vraisemblablement une stratégie d’obstruction. En effet, quelles sont les chances que 75 personnes décident spontanément de se présenter sans même voter pour elles-mêmes ? Ou que 61 autres ne récoltent qu’un seul vote dans une circonscription de plus de 110 000 habitants ?
Cette tactique, qui consiste à multiplier les candidatures fantômes pour compliquer le processus électoral, soulève des questions fondamentales sur l’intégrité du système démocratique canadien. Si n’importe qui peut s’inscrire comme candidat pour quelques centaines de dollars et disparaître ensuite, le processus électoral devient-il otage des perturbateurs ?
Une victoire dans le chaos
Malgré cette situation électorale surréaliste, Pierre Poilievre a obtenu un résultat écrasant qui confirme l’emprise conservatrice sur cette circonscription rurale albertaine. Avec plus de 80% des suffrages, le chef du Parti conservateur du Canada a démontré sa popularité, même si sa victoire a été quelque peu éclipsée par l’absurdité du nombre de candidats.
Les autres partis traditionnels ont fait piètre figure : le NPD de Katherine Swampy n’a récolté que 1 050 votes (2,1%), tandis que les partis comme le Parti populaire (137 votes) ou le Parti Vert (116 votes) ont été littéralement noyés dans la masse des candidatures indépendantes.
Questions sur l’avenir démocratique
Cette élection soulève des interrogations troublantes sur la robustesse de nos processus démocratiques. Faut-il resserrer les critères de candidature, par exemple en exigeant que chaque électeur ne puisse appuyer qu’un seul candidat ? Ou songer à instaurer une pénalité financière pour ceux qui n’obtiennent aucun vote ou un score négligeable, histoire de dissuader les candidatures purement fantômes ? Ou faut-il accepter, bon gré mal gré, qu’un certain chaos électoral fasse partie du jeu démocratique ?
Encore plus saisissant : est-il légitime de permettre que des individus sans appui — n’obtenant aucun vote, pas même le leur — puissent quand même alourdir et complexifier la démarche électorale ? Certes, les bulletins spéciaux rendent le dépouillement moins coûteux matériellement, mais le flot de candidatures sans fondement embrouille l’organisation du scrutin et force à s’interroger sur la tolérance dont notre démocratie doit faire preuve devant ce type d’abus.
L’élection de Battle River—Crowfoot restera dans les annales comme un cas d’école de dysfonctionnement démocratique, où une victoire politique claire a été transformée en spectacle surréaliste par l’abus manifeste du système électoral canadien.