Le 27 mars 2025, la ministre de la Famille, Suzanne Roy, a déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi 95, intitulé « Loi favorisant l’équité dans l’accès aux services de garde éducatifs à l’enfance subventionnés dispensés par les titulaires de permis ». Cette initiative législative vise à uniformiser les politiques d’admission dans les services de garde subventionnés du Québec et à promouvoir la mixité sociale.
Les grandes lignes du projet de loi
Le projet de loi 95 propose une refonte majeure du système d’admission dans les garderies subventionnées. Il modifie la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance pour préciser que celle-ci a notamment pour objet de favoriser une offre de services qui contribue à la mixité sociale.
Parmi les changements notables, le projet prévoit que les prestataires de services de garde éducatifs subventionnés doivent s’assurer que leur matériel éducatif n’a pas pour objectif l’apprentissage d’une croyance, d’un dogme ou de la pratique d’une religion spécifique.
Le texte retire également les dispositions permettant à chaque titulaire de permis d’établir sa propre politique d’admission. En remplacement, il établit six priorités d’admission qu’un titulaire peut choisir d’appliquer, notamment pour :
- Les enfants présentant des besoins particuliers
- Les enfants vivant dans un contexte de précarité socio-économique
- Les enfants dont un parent est inscrit dans un établissement d’enseignement
- Les enfants dont un parent est à l’emploi d’un employeur spécifique
- Les enfants dont un parent réside sur le territoire d’une municipalité locale
- Les enfants autochtones
Le projet limite toutefois le nombre d’enfants pouvant être nouvellement admis en vertu de ces priorités à 50% du total des admissions.
Une initiative gouvernementale pour l’équité
La ministre Roy a présenté ce projet comme une mesure visant à améliorer l’accessibilité aux services de garde. « Ce projet de loi propose un processus d’attribution des places encore plus transparent, plus équitable et uniforme pour l’ensemble des familles du Québec. En passant de près de 2 000 politiques d’admission à une politique unique pour tous, nous éliminons les barrières qui limitent l’accès à une place subventionnée dans les services de garde éducatifs à l’enfance », a-t-elle déclaré.
Le gouvernement affirme que cette initiative s’inscrit dans la continuité du Grand chantier pour les familles et prépare le terrain pour le nouveau Portail d’inscription aux services de garde prévu pour l’automne 2025.
Réactions mitigées
La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ) ont salué les efforts du gouvernement pour favoriser une plus grande mixité, mais ont exprimé des préoccupations quant à l’intégration des enfants vivant dans un contexte de précarité socioéconomique.
« Les services éducatifs à l’enfance sont de formidables vecteurs de transformation sociale et ça a toujours été au cœur de leur mission. Qu’on veuille y favoriser la mixité des enfants, évidemment que c’est un objectif qu’on partage avec la ministre. Cependant, n’oublions pas que les services éducatifs permettent de réduire les inégalités », a commenté Luc Beauregard, secrétaire-trésorier de la CSQ.
Un contexte législatif chargé
Ce projet de loi s’inscrit dans une série d’initiatives législatives controversées adoptées par le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) ces dernières années. On peut notamment penser au projet de loi 21 sur la laïcité de l’État, qui interdit le port de signes religieux pour les personnes en position d’autorité, et au projet de loi 96 sur la protection de la langue française.
Ces deux lois ont fait l’objet de critiques pour leur utilisation de la clause dérogatoire, qui permet de soustraire certaines dispositions à l’application de la Charte canadienne des droits et libertés.
Implications pour la liberté de choix
Bien que le projet de loi 95 ne fasse pas explicitement appel à la clause dérogatoire, certains observateurs s’inquiètent de ses implications pour la liberté de choix des parents et l’autonomie des garderies.
Le projet de loi semble s’inscrire dans une tendance à la centralisation des décisions en matière d’éducation de la petite enfance, rappelant d’autres initiatives comme le projet de loi 95 de 2005 (sans lien avec l’actuel), qui avait modifié diverses dispositions législatives de nature confessionnelle dans le domaine de l’éducation.
Ce précédent projet de loi avait notamment amendé la Charte des droits et libertés de la personne concernant le droit des parents à donner à leurs enfants une éducation religieuse et morale, soulevant des questions sur les limites de l’intervention de l’État dans les choix éducatifs des familles.
Un système de garde unique au Canada
Il est important de rappeler que le système de garde québécois, avec ses tarifs subventionnés, est unique au Canada depuis sa mise en place en 1997.
Ce système a été conçu pour soutenir l’emploi et permettre aux parents de jouer un rôle actif dans la population active, mais aussi pour appuyer les parents dans leur rôle parental et offrir un environnement stimulant où les enfants peuvent apprendre, se développer et grandir.
La Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance stipule que « tout enfant a le droit de recevoir des services de garde éducatifs personnalisés de qualité de la naissance jusqu’à son admission à l’éducation préscolaire », une vision proche de celle des pays scandinaves.
Conclusion
Le projet de loi 95 représente une réforme significative du système d’admission dans les garderies subventionnées du Québec. S’il vise à promouvoir l’équité et la mixité sociale, il soulève également des questions sur l’équilibre entre l’intervention de l’État et l’autonomie des familles et des établissements.
Alors que le débat se poursuit à l’Assemblée nationale, il reste à voir comment cette initiative s’intégrera dans le paysage plus large des politiques familiales et éducatives du Québec, et quelles en seront les conséquences concrètes pour les enfants, les familles et les prestataires de services de garde.