Le gouvernement fédéral a déposé le 6 juin 2025 le projet de loi C-5, baptisé « Loi sur l’unité de l’économie canadienne », qui vise à éliminer les barrières commerciales entre les provinces et à accélérer l’approbation des grands projets d’infrastructure. Cette réforme ambitieuse pourrait transformer le paysage économique canadien.
Deux réformes majeures en une seule loi
Le projet de loi s’articule autour de deux axes principaux : libéraliser le commerce entre les provinces et créer une voie rapide pour les projets jugés d’intérêt national.
Partie 1 : Fini les doublons administratifs
La première partie élimine les obstacles fédéraux au commerce interprovincial. Le principe est simple : si un produit respecte les normes de sa province d’origine, il sera automatiquement considéré comme conforme aux exigences fédérales équivalentes.
Concrètement, un fromage approuvé au Québec n’aura plus besoin d’une certification fédérale supplémentaire pour être vendu en Alberta, pourvu que les standards soient comparables. Cette reconnaissance mutuelle s’applique aussi aux services et aux travailleurs qualifiés.
Pour les professionnels, la mobilité devient automatique. Un ingénieur certifié en Ontario pourra obtenir rapidement l’autorisation fédérale équivalente pour travailler dans tout le Canada, sans repasser d’examens ou refaire de démarches complexes.
Partie 2 : L’autoroute des grands projets
La seconde partie crée un mécanisme d’approbation accélérée pour les « projets d’intérêt national ». Une fois qu’un projet est inscrit sur la liste spéciale par le gouvernement fédéral, toutes les autorisations requises sont automatiquement considérées comme accordées.
Le ministre responsable émet alors un document unique qui remplace tous les permis habituellement nécessaires. Au lieu de naviguer dans une dizaine d’organismes différents pendant des années, le promoteur obtient toutes ses autorisations d’un coup.
Des mécanismes de protection maintenus
Le projet de loi n’est pas un chèque en blanc. Pour les secteurs sensibles comme le nucléaire ou l’énergie, des consultations obligatoires sont maintenues avec les organismes spécialisés. La Commission canadienne de sûreté nucléaire et la Régie canadienne de l’énergie conservent même un droit de veto si un projet compromet la sécurité.
Les consultations avec les peuples autochtones demeurent également obligatoires lorsque leurs droits constitutionnels pourraient être affectés.
Les enjeux économiques
Gains d’efficacité attendus
Cette réforme pourrait considérablement réduire les coûts pour les entreprises qui opèrent dans plusieurs provinces. Actuellement, une compagnie doit souvent obtenir des certifications différentes dans chaque province pour le même produit, multipliant les frais et les délais.
Pour les travailleurs qualifiés, l’élimination des barrières à la mobilité répond à une demande de longue date des associations professionnelles et pourrait aider à combler les pénuries de main-d’œuvre spécialisée dans certaines régions.
Attraction des investissements
Le mécanisme d’approbation accélérée vise à attirer des investissements dans les grands projets d’infrastructure. La certitude réglementaire et la réduction des délais constituent des facteurs cruciaux pour les décisions d’investissement dans des projets coûteux qui s’étalent sur plusieurs années.
Les risques identifiés
Nivellement vers le bas
La reconnaissance automatique pourrait créer une course vers les standards les moins exigeants. Si une province a des règles plus permissives, ses normes pourraient devenir la référence de facto pour tout le Canada, potentiellement au détriment de la sécurité ou de l’environnement.
Concentration des pouvoirs
Le gouvernement fédéral s’octroie un pouvoir considérable pour déterminer ce qui constitue l’« intérêt national ». Cette centralisation des décisions pourrait créer des tensions avec les provinces, particulièrement celles qui ont historiquement défendu leurs prérogatives en matière de développement économique.
Contournement des processus démocratiques
Le mécanisme d’approbation accélérée permet effectivement de court-circuiter les processus consultatifs traditionnels et les évaluations environnementales complètes. Cette concentration du pouvoir décisionnel au niveau de l’exécutif fédéral soulève des questions sur la participation citoyenne.
Un pari sur l’efficacité économique
Le projet de loi mise sur l’efficacité économique comme moteur de croissance. En éliminant la fragmentation réglementaire et en accélérant les grands projets, Ottawa espère stimuler la productivité et la compétitivité du Canada.
Cette approche privilégie clairement la fluidité des marchés et la rapidité d’exécution des projets stratégiques. Elle s’inscrit dans une logique de déréglementation et de simplification administrative qui vise à réduire les frictions économiques.
Évaluation et ajustements
Le projet prévoit une révision complète après cinq ans, reconnaissant implicitement son caractère expérimental. Cette clause d’évaluation permettra d’ajuster le cadre selon les résultats observés et les problèmes qui pourraient survenir.
L’immunité de responsabilité civile prévue pour les décisions prises « de bonne foi » suggère que le gouvernement anticipe des contestations judiciaires de la part de groupes qui pourraient être lésés par cette nouvelle approche.
Une transformation structurelle
Au-delà de ses aspects techniques, le projet de loi C-5 représente un changement de philosophie dans la gouvernance économique canadienne. Il privilégie l’intégration économique nationale sur l’autonomie provinciale et mise sur l’accélération réglementaire plutôt que sur la consultation approfondie.
Cette réforme pourrait effectivement créer un véritable marché commun canadien, mais au prix d’une centralisation accrue des pouvoirs économiques au niveau fédéral. Son adoption marquera un tournant dans l’évolution du fédéralisme canadien et de l’équilibre entre efficacité économique et processus démocratiques.