Le ministre Jean-François Roberge a annoncé l’interdiction de l’écriture non binaire dans les communications gouvernementales québécoises. Cette mesure, effective depuis le 24 septembre 2025, s’appuie sur des préoccupations de lisibilité et d’accessibilité documentées par la recherche, plaçant le Québec en phase avec les principales institutions francophones.
Une décision motivée par des cas concrets
L’intervention ministérielle fait suite à la découverte d’usages problématiques dans l’administration. Des courriels du ministère de l’Éducation mentionnant « Bon été à toustes » ou des procès-verbaux scolaires indiquant que « Iels se sont rencontré.e.s trois fois déjà » illustrent les défis grammaticaux posés par ces formes.
Le ministre Roberge soulève une difficulté technique réelle : « Si je dis “iel sont contents”, est-ce que j’écris “contents” ou “contentes”? Et si je veux mettre les deux à la fois, il va falloir que je mette un point au milieu du mot ». Cette observation met en lumière les complications syntaxiques créées par l’écriture non binaire.
Le règlement s’applique aux ministères, sociétés d’État, organismes publics et municipalités. L’objectif déclaré est de « mettre fin à la confusion linguistique qu’on retrouve en ce moment ».
Des données qui révèlent les obstacles malgré les tentatives de minimisation
Même les travaux les plus favorables à l’écriture inclusive n’effacent pas ses effets de charge cognitive. L’étude de l’UQAM en oculométrie montre que sur les mots rédigés en doublet abrégé, le temps de lecture/fixation augmente d’environ 60 millisecondes, soit ≈ 20 % de plus que la forme de référence. Ce surcoût est local mais répété : dans un formulaire ou une directive où ces graphies reviennent souvent, il se cumule et ralentit la fluidité de lecture, un enjeu clé en contexte administratif ou scolaire.
Plus révélateur encore, la synthèse de Sophie Vela (≈ 140 participantes et participants) admet que les difficultés tiennent « au manque d’habitude ». Autrement dit, pour atteindre une lisibilité équivalente, il faut d’abord former le public à ces graphies — un coût pédagogique et cognitif peu compatible avec des communications publiques qui doivent être immédiatement compréhensibles. Pourquoi imposer un apprentissage supplémentaire alors que le français dispose déjà de mécanismes inclusifs naturels (rédaction épicène, doublets complets)?
Un sondage auprès de 148 enseignants québécois révèle que 58 % n’utilisent pas le langage inclusif, invoquant des préoccupations pédagogiques concrètes. Les commentaires soulignent que cette forme d’écriture « alourdit la langue, qui est déjà complexe » et peut être « mélangeante pour les élèves ».
Une convergence avec les institutions francophones
La décision québécoise s’inscrit dans une tendance observée dans plusieurs pays francophones. La France a interdit l’écriture inclusive dans l’enseignement en 2021, le ministre Jean-Michel Blanquer expliquant que sa « complexité » et son « instabilité » constituent des « obstacles à l’acquisition de la langue comme de la lecture ».
L’Académie française, en 2017, avait qualifié ces pratiques d’obstacles à la lisibilité, soulignant que « la multiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité ».
La Suisse a adopté une position similaire en 2023, interdisant les « pratiques linguistiques expérimentales » dans les communications gouvernementales, les jugeant « incompatibles avec l’obligation légale des autorités fédérales d’utiliser un langage adéquat, clair et compréhensible ».
Une approche pragmatique proposée par le ministère
Pour répondre aux situations concrètes, comme celle d’une enseignante non binaire préférant éviter les formules « Mme » ou « M. », Roberge propose une solution pragmatique : « On n’est pas obligé de mettre un pronom. Je peux dire, tout simplement : “Bonjour Martine.” Je ne suis pas obligé d’insérer un marqueur de genre ».
Cette approche s’appuie sur les recommandations de l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui privilégie la rédaction épicène avec des doublets complets ou des termes neutres plutôt que les formes abrégées.
Un débat qui dépasse la technique linguistique
La controverse révèle une tension entre deux conceptions de la langue : un outil de communication devant privilégier la clarté et l’accessibilité, versus un moyen d’expression identitaire et de reconnaissance sociale.
Les linguistes professionnels restent divisés. Certains, comme Yana Grinshpun, critiquent « l’absence de normes, la méconnaissance de procédés linguistiques et l’allongement des mots de manière artificielle ». D’autres défendent ces innovations comme une évolution naturelle de la langue.
Implications pour l’avenir du français au Québec
En interdisant l’écriture inclusive dans l’administration québécoise, Jean-François Roberge fait preuve d’un pragmatisme salutaire. Cette décision met fin aux aberrations grammaticales qui s’étaient infiltrées dans les communications officielles et répond aux préoccupations légitimes des enseignants, dont 58 % refusaient déjà d’utiliser ces formes.
Le gouvernement québécois rejoint ainsi le consensus international des institutions francophones. De l’Académie française à la Chancellerie suisse, toutes ont tiré la même conclusion : l’écriture inclusive complique l’apprentissage sans apporter de bénéfice réel.
Les données scientifiques, même celles produites par ses défenseurs, révèlent un ralentissement systématique de la lecture et admettent que les difficultés sont « liées au manque d’habitude ». Pourquoi imposer un apprentissage supplémentaire quand la langue française dispose déjà de mécanismes inclusifs naturels?
Cette mesure courageuse privilégie la transmission efficace du français sur les expérimentations militantes. Elle confirme que l’État québécois place la clarté administrative et l’accessibilité linguistique au-dessus des revendications idéologiques. Un choix qui sert mieux l’avenir du français au Québec que tous les néologismes impossibles à conjuguer.