Mercredi, mars 12, 2025

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Un article publié dans Nature met en lumière une première analyse systématique des taux de rétraction d’articles scientifiques au niveau institutionnel, à travers des données collectées sur la dernière décennie (2014-2024). Cette enquête révèle des tendances préoccupantes, notamment la concentration des rétractations dans certaines institutions et pays, et les facteurs sous-jacents qui alimentent ces retraits massifs.

Un fléau mondial : la fraude scientifique et les rétractations

Fin 2021, l’hôpital Jining First People’s en Chine annonçait avoir sanctionné 35 chercheurs impliqués dans des fraudes scientifiques. Ce phénomène, lié à des pressions académiques et à l’existence d’usines à articles (paper mills), n’est pas isolé. En Chine, mais aussi en Arabie Saoudite, en Inde, au Pakistan et en Éthiopie, de nombreuses institutions connaissent des taux de rétractation anormalement élevés.

Si certaines rétractations peuvent résulter d’erreurs honnêtes ou de problèmes administratifs, les données analysées par Nature suggèrent que la majorité de ces cas sont dus à des inconduites scientifiques, notamment des manipulations d’images, de données et des publications achetées.

Des taux de rétractation inédits

L’hôpital Jining First People’s Hospital arrive en tête avec plus de 5 % de ses publications rétractées, soit un taux 50 fois supérieur à la moyenne mondiale. D’autres institutions chinoises, souvent des hôpitaux ou des universités médicales, affichent également des taux alarmants. Toutefois, d’autres pays dépassent la Chine en proportion d’articles rétractés : l’Éthiopie, l’Arabie Saoudite, l’Irak et le Pakistan. À l’opposé, les États-Unis et le Royaume-Uni maintiennent des taux bien inférieurs à la moyenne mondiale de 0,1 %.

Un fait marquant est la forte croissance des rétractations dans des pays comme l’Arabie Saoudite et l’Inde au cours des cinq dernières années, en grande partie à cause de la fraude massive détectée dans les revues du groupe Hindawi (filiale de Wiley), qui ont publié un grand nombre de papiers frauduleux avant d’être contraints de les retirer.

Un problème institutionnel, pas seulement individuel

L’analyse montre que ces rétractations ne concernent pas seulement des chercheurs isolés, mais des institutions entières. Plutôt que d’être causé par quelques individus malhonnêtes, ce phénomène semble indiquer un problème systémique de culture académique dans certains établissements. Dorothy Bishop, chercheuse en neurosciences, affirme que ces données pourraient inciter les institutions concernées à réévaluer leurs pratiques et leurs critères d’évaluation.

Ivan Oransky, cofondateur de Retraction Watch, souligne que la forte variation des taux de rétractation entre institutions pourrait être liée aux incitatifs spécifiques à chaque université. En Chine, par exemple, les jeunes médecins doivent souvent publier pour obtenir un poste ou une promotion, ce qui favorise l’émergence de fraudes.

Les journaux les plus touchés

Les revues scientifiques elles-mêmes sont des acteurs clés dans ce phénomène. L’outil Argos, utilisé dans l’analyse, montre que plusieurs journaux de l’éditeur Hindawi ont rétracté plus de 20 % de leurs articles depuis 2014.

Cependant, le journal ayant connu le plus grand nombre de rétractations est le Journal of Environmental and Public Health. Ce fait met en évidence la vulnérabilité de certaines disciplines à la fraude scientifique.

Des solutions encore limitées

Face à ces dérives, certains pays comme la Chine ont tenté d’agir en modifiant leurs critères de promotion, en insistant sur le fait que les publications scientifiques ne devraient pas être une condition obligatoire pour l’avancement professionnel. Malgré cela, les rétractations continuent d’augmenter, ce qui suggère que le problème dépasse largement ces nouvelles règles.

D’autres solutions incluent l’amélioration des outils de détection des fraudes, la transparence accrue sur les rétractations et une meilleure sensibilisation des chercheurs aux pratiques éthiques. Toutefois, comme le souligne l’expert en intégrité scientifique Adam Day, les institutions figurant en tête du classement des rétractations ne sont pas nécessairement celles qui produisent le plus de mauvaise science, mais plutôt celles qui sont le plus exposées à la surveillance.

Conclusion : La prudence face à la science

Les résultats de cette étude rappellent que la production scientifique n’est pas exempte de biais et d’abus. Les rétractations sont souvent vues comme un signe de rigueur dans le processus de correction des erreurs, mais elles sont aussi un indicateur des pressions et des dérives du système académique mondial.

Comme le souligne Guillaume Cabanac, chercheur en informatique spécialisé dans la détection des articles frauduleux, certaines institutions pourraient afficher de faibles taux de rétractation non pas parce qu’elles produisent un travail impeccable, mais simplement parce qu’elles évitent de scruter leurs propres publications.

En fin de compte, bien que la science reste notre meilleur outil pour comprendre le monde, il est essentiel de ne pas l’aborder avec une confiance aveugle. La vigilance et la critique restent des composantes fondamentales du progrès scientifique.

Source : Nature, article de Richard Van Noorden, publié le 20 février 2025

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Serge Cloutier
Serge Cloutier
Serge Cloutier est membre des Trois Afueras et collaborateur du podcast Ian & Frank. Titulaire d'un PhD en microbiologie et immunologie obtenu à l'Université Laval, il est maintenant un spécialiste des techniques de chimie analytiques et travaille avec les secteurs universitaires, industriels, environnementaux et pharmaceutiques au Canada et aux État-Unis. Il s'intéresse à la politique, ayant été candidat pour le parti conservateur du Québec dans la circonscription de Repentigny en 2022. Mais il porte un intérêt particulier à la science et aux innovations technologiques, notamment celles offrant des solutions concrètes aux défis environnementaux, en misant sur le progrès plutôt que sur la décroissance.

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