En pleine campagne électorale pour le scrutin du 28 avril 2025, le premier ministre et chef du Parti libéral Mark Carney fait face à des questions persistantes concernant ses actifs financiers et ses liens avec Brookfield Asset Management, une entreprise où il a occupé des postes de direction avant son entrée en politique.
La mise en fiducie sans éclaircissement
Mark Carney affirme avoir placé ses actifs dans une fiducie sans droit de regard, mais les détails précis de ce qu’il y a mis demeurent flous. Selon sa campagne, il a « cédé tous ses actifs autres que ses biens immobiliers personnels dans une fiducie sans droit de regard » et ce, quatre mois avant que la loi ne l’exige.
Cependant, le Bureau du premier ministre refuse de préciser si Carney a exercé ses options d’achat d’actions de Brookfield avant de les placer dans la fiducie, s’il a vendu des actions ou si la fiducie détient maintenant ces options d’achat, qui n’expirent pas avant 2033 et 2034.
Selon un rapport déposé auprès de la Securities and Exchange Commission, Carney détenait des options d’achat d’actions non exercées d’une valeur de 6,8 millions de dollars américains au 31 décembre.
Une transparence limitée en période électorale
Le timing soulève des questions. Carney ne sera légalement tenu de divulguer ses informations financières au commissaire à l’éthique que lorsqu’il sera assermenté comme premier ministre, ce qui lui donne une fenêtre de 60 jours après les élections. Dans les 120 jours suivant son entrée en fonction, un ministre du Cabinet ou un secrétaire parlementaire doit se départir des actifs contrôlés en les vendant sans lien de dépendance ou en les plaçant dans une fiducie sans droit de regard.
Cette situation signifie que les électeurs canadiens pourraient se rendre aux urnes le 28 avril sans connaître l’étendue complète des intérêts financiers de Carney, ce qui soulève des préoccupations quant à sa transparence en période électorale.
Des questions fiscales qui font sourciller
Les pratiques fiscales de Brookfield sous la direction de Carney font également l’objet d’un examen minutieux. Selon des calculs effectués par le NPD, Brookfield Asset Management aurait évité de payer 5,3 milliards de dollars en impôts canadiens depuis 2021, période pendant laquelle Carney était associé à l’entreprise.
« Entre 2021 et 2024, les rapports annuels de Brookfield montrent qu’elle a réalisé un revenu de 23,3 milliards de dollars américains. Avec un taux d’imposition des entreprises de 26,4 % au Canada, elle aurait dû payer 6,1 milliards de dollars en impôts. », indique le NPD dans un communiqué. « Mais Brookfield n’a payé que 2 milliards, ce qui laisse un écart fiscal de 4,1 milliards de dollars américains, soit 5,3 milliards de dollars canadiens »
CTV a rapporté que la plupart des opérations principales de Brookfield – associées à 50 milliards de dollars de leurs activités – étaient enregistrées dans un immeuble des Bermudes abritant une boutique de vélos. CBC a également signalé que deux fonds personnellement présidés par Mark Carney étaient enregistrés aux Bermudes, et Carney a reconnu que ces fonds y étaient enregistrés pour des raisons fiscales.
Lorsqu’on l’a interrogé sur la question de l’évitement fiscal, Carney a déclaré que lui et l’entreprise pour laquelle il travaillait avaient respecté toutes les règles, mais il n’a pas répondu à la question de savoir si ses actions et celles de son ancienne entreprise étaient éthiques.
Des écrans éthiques en question
Pour tenter de répondre aux préoccupations concernant les conflits d’intérêts potentiels, Carney affirme avoir mis en place des « écrans » pour éviter les conflits liés à son ancien travail dans le secteur privé, notamment chez Brookfield et chez Stripe, où il était également membre du conseil d’administration.
Andrew Stark, professeur de gestion stratégique et de sciences politiques à l’Université de Toronto, a déclaré que les relations passées de Carney avec la Chine, y compris le prêt de Brookfield, sont « un problème » et que la manière appropriée de traiter cette question est de l’isoler de toute décision qui pourrait avoir un impact direct sur Brookfield.
« Vous mettez en place une série de moyens pour le détourner des problèmes », a déclaré Stark, qui a été conseiller politique au Bureau du premier ministre du Canada. « Ce n’est pas idéal, car il est le premier ministre et, théoriquement, le premier ministre devrait être responsable de toutes les questions importantes auxquelles le gouvernement est confronté. »
Un paradoxe entre valeurs et actions
Le contraste entre les écrits de Carney et ses actions politiques actuelles est frappant. Dans son livre de 2021, « Value(s) », Carney prônait une approche économique basée sur des valeurs. Cependant, sa campagne électorale semble s’éloigner de ces principes, adoptant des politiques plus proches du centre, voire conservatrices, tout en conservant l’équipe libérale.
Carson Jerema, chroniqueur au National Post, souligne cette contradiction : « Carney a, pendant des années, confondu à plusieurs reprises le sens moral des valeurs avec les prix du marché, comme si le fait que les gens n’attribuent pas, par exemple, un prix sur leurs enfants, prouvait que les marchés ne les valorisent pas et sont donc irrémédiablement défaillants. Or, une telle façon de penser trahit une incompréhension du fonctionnement du monde ».
Alors que la campagne électorale s’intensifie, les Canadiens devront décider si les compétences de Carney l’emportent sur les questions concernant sa transparence financière, son éthique et ses pratiques fiscales passées. Une chose est certaine: les électeurs se rendront aux urnes le 28 avril sans avoir toutes les réponses sur les intérêts financiers de celui qui pourrait diriger le pays pour les prochaines années.