Par Ian Sénéchal, président de VotreConseiller.net
Récemment, un couple m’a consulté à propos d’un projet bien concret : acheter une propriété en Floride dans les 12 prochains mois. Ils avaient déjà accumulé une somme importante en dollars américains, placée de façon défensive. Mais après avoir lu plusieurs analyses de marché, ils envisageaient une stratégie différente : convertir maintenant la majeure partie de leurs USD en dollars canadiens, investir temporairement cet argent ici, puis financer l’achat en Floride avec un prêt hypothécaire en USD. Comme ce prêt pourrait être remboursé en tout temps sans pénalité, ils se disaient qu’ils pourraient en profiter pour « jouer le change » et rembourser le prêt au moment opportun.
Le raisonnement semble logique : si le huard se renforce, on rembourse l’hypothèque à bon taux, et on empoche la différence.
Mais dans les faits, c’est une stratégie risquée — et surtout inutile.
Prévoir le taux de change? Mission impossible
Même les économistes les mieux outillés se trompent régulièrement sur les mouvements de devises. Le marché des changes est volatil et influencé par des dizaines de facteurs : taux d’intérêt, politique monétaire, géopolitique, climat économique mondial, etc. Autrement dit, aucun expert ne peut prédire de façon fiable la direction d’une devise à court terme — et encore moins son amplitude.
Dans ce contexte, élaborer une stratégie qui repose sur le timing du marché des devises, c’est spéculer. Point.
Vous avez des USD ? Gardez-les. Vous êtes déjà couverts.
Dans le cas de ce couple, les dollars américains sont déjà là. L’achat à venir sera en USD. Ils ont donc zéro risque de change en ce moment. Mieux encore : leur placement est déjà dans la bonne devise, il n’y a rien à faire.
En convertissant en CAD, puis en contractant une hypothèque en USD, ils introduisent volontairement un risque de taux de change. Ils se créent un enjeu qui n’existait pas. Pourquoi ? Pour peut-être faire un gain, si le marché tourne en leur faveur.
Mais ce gain potentiel a un coût : celui de l’incertitude et de l’anxiété.
L’illusion de l’opportunité
Il est toujours tentant de croire qu’on pourrait « battre le marché » en agissant au bon moment. Et si le taux CAD/USD montait dans six mois? Est-ce qu’on aura raté une occasion en or?
Ce raisonnement est alimenté par un biais cognitif bien connu : une fois qu’un événement s’est produit, on a tendance à croire qu’il était prévisible. Mais en réalité, ces opportunités ne sont jamais certaines à l’avance.
Parier sur un scénario, c’est aussi accepter le risque que le scénario inverse se produise. Et si le huard se déprécie encore ? Vous aurez converti vos USD trop tôt et financé l’achat à un taux désavantageux. Bon courage pour expliquer ça à votre futur vous.
Le monde financier adore votre activité… pas votre prudence
Il faut aussi se rappeler que chaque conversion de devises génère des frais. Certains visibles, d’autres intégrés aux taux. Chaque aller-retour entre USD et CAD est rentable pour le système financier. Ce n’est pas un hasard si tant d’analyses tentent de capter votre attention sur les fluctuations de devises : l’industrie gagne à ce que vous bougiez.
Mais ce n’est pas parce qu’on vous incite à agir que c’est dans votre intérêt de le faire.
Conclusion : la simplicité comme avantage stratégique
Dans un monde où tout pousse à l’action, ne rien faire est souvent la meilleure décision. Et dans ce cas précis, elle est aussi la plus rationnelle.
Si vous avez des fonds en USD, que vous comptez les dépenser en USD, et que vous avez un horizon clair de 12 mois, alors vous êtes déjà dans la position idéale. Ne bougez pas. Protégez votre capital, gardez vos placements liquides, et rendez-vous en Floride avec une paix d’esprit… que bien peu de spéculateurs peuvent s’offrir.