Une idée séduisante… en apparence
Le municipalisme, vous connaissez? C’est cette idéologie qui s’infiltre doucement dans le monde municipal depuis quelques années. Des penseurs comme Murray Bookchin ont popularisé l’idée d’une transformation sociale par la base, en misant sur des assemblées locales, des conseils de quartier, une démocratie directe qui redonnerait aux citoyens le pouvoir trop longtemps confisqué par les élites étatiques et économiques.
Sur papier, l’idée est séduisante : rapprocher le pouvoir du citoyen, encourager la participation, sortir des logiques centralisées qui imposent des solutions mur à mur. Une phrase comme « penser global, agir local » ou encore la délégation de la gestion des changements climatiques aux municipalités — comme l’illustrait récemment Luce Daneau dans un épisode de Ian et Frank — en sont des exemples concrets.
Mais comme c’est trop souvent le cas avec les utopies politiques, l’emballage masque une logique uniforme. Derrière les belles paroles de décentralisation se cache, chez Bookchin et ses disciples, une vision étroite : tout le monde serait libre… à condition d’adhérer à leur modèle économique, social et environnemental. Une sorte d’anarchisme planifié, où des notions comme la propriété privée, le marché libre ou la responsabilité individuelle deviennent des reliques d’un monde à abolir.
L’internationalisation des municipalités
Dans son livre *Right Here, Right Now*, l’ancien premier ministre Stephen Harper introduit le concept des « Somewheres » et des « Anywheres ».
Les premiers sont profondément attachés à leur patelin, leur façon de vivre. Leur vie et leur engagement politique tournent autour de leur famille, de leur communauté, de leur possibilité d’emploi. Ne leur parlez pas de plages non genrées en Somalie : ils vont vous envoyer paître.
Pour les seconds, c’est tout l’inverse. Ils pourraient vivre n’importe où sur la planète, et ce serait pareil. Les enjeux locaux les ennuient, parce qu’après tout, « on a une planète à sauver ». Bruno Marchand, Valérie Plante ou notre nouveau PM Mark Carney sont des exemples de personnes que l’on peut qualifier de *Anywheres*.
Le phénomène auquel on assiste tranquillement est une forme de prise de contrôle des localités par les *Anywheres*, que certains appellent *mondialistes*. Après tout, que l’on aime ou non l’approche, avoir un *Anywhere* à la tête d’un pays comme le Canada peut faire un certain sens. Mais cela fait peu de sens d’en avoir un pour s’intéresser à des enjeux de déneigement ou d’infrastructures souterraines.
Et pour que ça change, il faut que les *Somewheres* s’organisent.
La diversité idéologique, clé d’un vrai municipalisme
Et c’est là que le bât blesse. Le municipalisme peut devenir un formidable outil de liberté, mais seulement si on le débarrasse de sa prétention à l’universalité idéologique.
Chaque ville, chaque communauté, chaque région devrait pouvoir choisir sa voie. Si une municipalité veut s’organiser selon les principes du socialisme démocratique — créer des coopératives, collectiviser certains services, adopter des pratiques écoféministes — qu’elle le fasse. Mais sa voisine doit tout autant pouvoir choisir une approche libérale classique : défendre la propriété privée, maintenir une fiscalité modeste, encourager l’entrepreneuriat, respecter la liberté contractuelle.
Le vrai pluralisme, c’est ça : la possibilité d’expérimenter des modèles divergents, même à quelques kilomètres de distance. Une concurrence institutionnelle pacifique qui permet aux citoyens de choisir non seulement leurs élus, mais leur environnement politique.
La centralisation rampante des structures régionales
Or, au Québec, la tendance à l’uniformisation est bien réelle. Et parfois, elle passe inaperçue.
Prenez les MRC (municipalités régionales de comté), ces structures régionales où siègent généralement les maires des villes membres. Leurs règlements, souvent appelés règlements municipaux uniformisés, sont votés selon des règles de double majorité : il faut que la majorité des membres votent pour, mais aussi que ceux-ci représentent la majorité de la population du territoire.
Dans les faits, cette mécanique peut facilement écraser la spécificité locale. Prenons l’exemple des fermes urbaines. Certaines municipalités autorisent leurs citoyens à garder quelques poules en cour arrière, d’autres s’y opposent fermement. Résultat? Des citoyens se plaignent : « Pourquoi ma cousine peut avoir des poules dans le village voisin, mais pas moi? » Ou encore : « Mon voisin a des poules sur le bord du chemin, j’ai peur de les frapper en auto. »
Plutôt que d’assumer une décision locale différente, les représentants des MRC peuvent être tentés d’uniformiser la réglementation. Une proposition est rédigée, soumise au vote, adoptée… et voilà : plus personne ne se plaint, parce que tout le monde est pareil. Mais au prix de quoi? D’une standardisation forcée qui gomme la diversité des choix citoyens.
Pour un municipalisme libéral
Le municipalisme ne devrait jamais être un outil de conformité, mais un cadre pour la coexistence des différences.
C’est dans une décentralisation réelle — pas seulement administrative, mais idéologique et juridique — que réside la solution. Chaque communauté doit pouvoir façonner ses institutions en accord avec ses propres valeurs. Ce n’est qu’à cette condition que le municipalisme devient un projet libéral au sens noble : pluralité d’expériences, autonomie politique, respect de la dissidence.
En ce sens, le municipalisme n’est pas une fin, mais un moyen. Et ce moyen ne vaut que s’il respecte la liberté de choisir. Pas seulement celle de participer à une assemblée populaire, mais aussi celle de ne pas y participer. Pas seulement le droit de collectiviser, mais aussi celui d’investir, de posséder, de transmettre.
Le droit, fondamental, de dire non.