Mardi, septembre 9, 2025

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Bienvenue en Amérique : investissez chez nous, mais laissez vos travailleurs à la maison

Vendredi dernier, une scène surréaliste s’est jouée en Géorgie. Plusieurs centaines de travailleurs, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtés en plein chantier par des agents fédéraux américains. Le site? Une usine de batteries pour véhicules électriques, projet phare de Hyundai et LG. Le bilan? 475 arrestations, dont plus de 300 ressortissants sud-coréens. Certains ont même tenté de fuir en se jetant dans une fosse d’eaux usées. Voilà l’Amérique dans toute sa splendeur : on déroule le tapis rouge pour les milliards d’investissements étrangers, mais on sort les menottes pour les étrangers en chair et en os.

Cet épisode grotesque mérite qu’on s’y arrête. Car il concentre toutes les contradictions de la politique américaine : attirer l’argent étranger tout en diabolisant les étrangers, se proclamer champion de la libre entreprise tout en asphyxiant l’économie par des règles migratoires absurdes, vanter les emplois rapatriés tout en arrêtant ceux qui construisent les usines. C’est du théâtre politique, mais un théâtre où les figurants finissent en prison.

Le raid spectaculaire

Le raid s’est déroulé à Ellabell, en Géorgie, sur un site gigantesque où Hyundai Motor Group et LG Energy Solution investissent 4,3 milliards de dollars. L’usine fait partie d’un plan global de 12,6 milliards de dollars pour implanter une filière batteries et véhicules électriques aux États-Unis. Ce chantier devait être la vitrine du grand virage énergétique américain.

Ce matin-là, tout semblait normal. Casques blancs, gilets jaunes, camions et grues. Puis, soudain, des dizaines d’agents de l’ICE et du Homeland Security Investigation débarquent avec un mandat de perquisition. On arrête les machines, on bloque les sorties, on annonce dans des haut-parleurs que le chantier doit cesser immédiatement. Scène digne d’un film policier, sauf que les protagonistes ne sont pas des criminels, mais des ouvriers en train de visser des boulons.

475 personnes sont arrêtées, dont environ 300 Sud-Coréens. La plupart n’avaient pas de visa de travail valide. Certains étaient venus avec des visas touristiques ou d’affaires, d’autres avaient dépassé leur durée de séjour. Tous sont regroupés, fouillés, embarqués dans des bus. Image grotesque et tragique d’ouvriers transformés en fugitifs pour avoir répondu à l’appel de l’économie américaine.

Transférés au centre de rétention de Folkston, ils attendent désormais leur sort. À ce stade, aucune accusation criminelle. Simple affaire d’immigration, nous dit-on. Mais avec une violence symbolique immense : la plus grande rafle de l’histoire du département de la Sécurité intérieure.

L’allié traité en clandestin

Ce raid choque par son absurdité diplomatique. La Corée du Sud est l’un des alliés les plus fidèles de Washington. Séoul investit massivement aux États-Unis. Rien qu’en juillet dernier, sous la pression de Trump, le gouvernement sud-coréen a promis 350 milliards de dollars d’investissements pour calmer les menaces de droits de douane. Hyundai, LG, Samsung et SK ont multiplié les méga-usines de batteries et de semi-conducteurs, notamment dans le Sud américain.

Et voilà que les ouvriers coréens venus concrétiser ces promesses se retrouvent menottés comme des clandestins. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères a immédiatement exprimé son inquiétude et ses regrets. Traduction diplomatique : « On vous donne des milliards et vous humiliez nos citoyens ».

La contradiction est totale. Comment convaincre des partenaires d’investir des sommes colossales tout en traitant leurs employés comme des criminels? Comment se dire leader du libre-échange tout en fermant la porte à ceux qui en sont les vecteurs?

Les responsabilités partagées

Il serait trop simple de ne blâmer que l’administration américaine. Dans cette affaire, tout le monde joue un double jeu.

L’administration américaine

Trump est de retour et doit montrer à sa base qu’il applique sa promesse de fermeté. Les descentes musclées de l’ICE se multiplient. Fermes, restaurants, garages, partout on rafle des travailleurs sans papiers. L’affaire d’Ellabell s’inscrit dans cette logique : frapper un grand coup pour prouver que « la loi c’est la loi ». Quitte à sacrifier la cohérence économique et diplomatique.

Hyundai et ses sous-traitants

Soyons clairs : si 300 Sud-Coréens travaillaient avec des visas touristiques, ce n’est pas un hasard. Les entreprises ont sciemment choisi cette option. Pourquoi? Parce que le système migratoire américain est kafkaïen. Obtenir des centaines de visas de travail temporaires est quasi impossible dans les délais d’un chantier. Les quotas H-2B sont ridicules et inadaptés à des projets industriels. Résultat : on fait venir les équipes coréennes expérimentées, on ferme les yeux, et on prie pour que personne ne vienne déranger.

Les acteurs locaux

En Géorgie, tout le monde s’était félicité du projet Hyundai. Le gouverneur républicain Brian Kemp parlait du plus grand projet économique de l’histoire de l’État. Mais dès que l’affaire a éclaté, il a défendu l’application stricte de la loi. Les démocrates locaux, eux, ont dénoncé une opération de terreur contre des travailleurs indispensables. Encore une fois, les ouvriers se retrouvent pris entre deux camps qui s’affrontent sur leur dos.

Les conséquences

Économiques

Le chantier est arrêté. Chaque jour perdu coûte des millions. L’ouverture de l’usine est retardée. Les modèles électriques de Hyundai et Kia risquent de manquer de batteries locales. Les emplois américains promis sont différés. Le grand projet de transition énergétique prend du plomb dans l’aile.

Diplomatiques

Séoul est humilié. L’incident risque de refroidir l’enthousiasme pour investir davantage. Les 350 milliards promis seront-ils toujours sur la table? La Corée du Sud est un allié stratégique face à la Chine et à la Corée du Nord. Ce genre de coup de force crée un climat de méfiance inutile.

Politiques

Trump marque des points auprès de sa base anti-immigration. Mais il envoie un message inquiétant aux investisseurs étrangers : vos dollars sont bienvenus, pas vos travailleurs. Les démocrates crient à la terreur politique, les républicains crient à la défense de la loi. Le chantier d’Ellabell devient un champ de bataille idéologique.

Humain

475 individus dorment derrière des barbelés pour avoir travaillé. Des ouvriers qualifiés, des techniciens, des ingénieurs. Pas des criminels. Pas des trafiquants. Juste des gens qui posaient des boulons sur une usine.

Les solutions

On pourrait proposer autre chose que la brutalité aveugle et le spectacle politique.

  • Créer des visas spécifiques pour les projets industriels. Quand un pays investit des milliards, il doit pouvoir dépêcher temporairement ses équipes, avec un cadre clair et rapide.
  • Augmenter et assouplir les quotas de visas de travail temporaires. Mieux vaut des travailleurs en règle que des pseudo-touristes arrêtés en masse.
  • Sanctionner les entreprises financièrement plutôt que d’humilier publiquement les ouvriers. Amendes, régularisation forcée, mais pas de descentes spectaculaires.
  • Recentrer l’ICE sur les vraies menaces: criminels, cartels, trafiquants. Pas des ouvriers qui construisent une usine.
  • Respecter les alliés. Quand un partenaire stratégique investit, on coopère en amont pour régulariser ses employés.

C’est du bon gros sens économique et diplomatique. C’est aussi du respect des libertés individuelles : on ne traite pas comme des criminels ceux qui travaillent honnêtement.

Enfin…

L’affaire d’Ellabell est un concentré d’absurdités. Trump se vante d’avoir attiré Hyundai et LG, puis fait arrêter les ouvriers qui bâtissent l’usine. L’Amérique réclame des milliards sud-coréens, mais jette en prison des Sud-Coréens. On promet des emplois locaux, mais on arrête le chantier qui devait les créer.

Pour les gens raisonnables, cette histoire est une démonstration éclatante : l’État obèse, nationaliste et bureaucratique détruit sa propre prospérité. L’économie mondiale avance, mais la politique recule. La liberté d’entreprendre exige des règles souples, adaptées, pragmatiques. L’immigration doit être gérée avec intelligence, pas avec des descentes dignes d’un film policier.

À force de jouer au shérif, l’Amérique se tire dans le pied. Les ouvriers arrêtés ne sont pas des menaces, ce sont des bâtisseurs. Les investisseurs étrangers ne sont pas des parasites, ce sont des partenaires. La vraie menace, c’est l’incohérence d’un système qui dit oui aux capitaux, mais non aux travailleurs.

Dans ce théâtre absurde, il n’y a qu’un perdant : la cohérence. Et avec elle, l’image d’une Amérique qui se voulait une terre de liberté et d’opportunités.

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Samuel Rasmussen
Samuel Rasmussen
Samuel Rasmussen, alias Le Blond Modéré, est membre des Trois Afueras et collaborateur du podcast Ian & Frank. Titulaire d'une formation en relations internationales à l'Université de Sherbrooke, il s'intéresse particulièrement à la géopolitique, aux zones d'influence et aux différentes formes de pouvoir.

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