Vendredi, octobre 31, 2025

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Carmant claque la porte : la loi 2 fait sa première victime ministérielle

Le ministre Lionel Carmant a jeté l’éponge jeudi, laissant derrière lui son poste de ministre responsable des Services sociaux et le caucus de la Coalition avenir Québec pour siéger comme député indépendant de Taillon. Une démission spectaculaire, directement provoquée par l’adoption samedi dernier du controversé projet de loi 2 qui réforme le mode de rémunération des médecins. Le médecin de formation se retrouvait écartelé entre ses convictions politiques et un conflit familial qui avait atteint un point de rupture.​​​

Entre la CAQ et sa famille, le ministre a tranché

« J’ai pris la décision déchirante de quitter mes fonctions de ministre », a déclaré Carmant lors d’un point de presse tenu aux côtés d’un François Legault visiblement ébranlé. « Les dernières semaines ont été difficiles et m’amènent aujourd’hui à recentrer mes priorités. Je fais le choix de ma famille, la famille que nous avons construite, mon épouse et moi ». Le ministre a insisté qu’il ne s’agissait pas d’un renoncement, mais d’un « choix de responsabilité », tout en promettant de continuer à servir les citoyens de sa circonscription.​​

La conjointe et la fille de Carmant, toutes deux médecins, digéraient particulièrement mal la réforme du gouvernement Legault. Le ministre avait lui-même confié plus tôt cette semaine qu’« elles sont fâchées », une formulation qui masquait mal l’ampleur du conflit familial. La tension avait explosé publiquement mercredi lorsque sa fille Laurence, médecin surspécialisée en médecine fœto-maternelle, a publié une lettre cinglante dans Le Devoir.

La fille du ministre songe à quitter le Québec

Dans sa lettre, la Dre Laurence Carmant exprime son exaspération face à un système qui freine sa productivité. « À Toronto, un avant-midi de procédures diagnostiques (amniocentèses, biopsies choriales) me permettait de voir huit à douze patientes ; au Québec, on m’indique que je ne peux en voir que trois dans le même laps de temps. Même médecin, même motivation, mêmes compétences : ma productivité chute de 75 % », écrit-elle.

Après avoir passé trois ans à Toronto pour acquérir une expertise en thérapie fœtale, la jeune médecin avait décliné des offres de carrière universitaire mieux rémunérées « par amour pour ma province ». Mais la loi 2 change la donne : « Si le gouvernement ne me permet pas de pratiquer librement, je n’aurai malheureusement d’autre choix que de partir pour une autre province et plusieurs collègues, tout aussi attachés au Québec, mais attirés par de meilleures conditions, en sont au même point », affirme-t-elle.

Un exode qui profite à Doug Ford

La crise tombe particulièrement mal pour Legault, qui a vu mercredi son homologue ontarien Doug Ford tendre les bras aux médecins québécois mécontents. « J’aimerais ça! Appelez 1-800-DOUG-FORD, tous les médecins, venez », a lancé le premier ministre ontarien avec un enthousiasme non dissimulé. « On va dérouler le tapis rouge pour vous », a-t-il ajouté, jouant même la carte de la « culture francophone » en Ontario.

Selon le Collège des médecins de l’Ontario, 60 demandes de médecins québécois ont été enregistrées depuis jeudi dernier, comparativement à seulement 19 entre juin et octobre 2024. Le Collège a même mis en place un « parcours simplifié » pour l’accréditation. L’invitation de Ford a fait sortir Legault de ses gonds : « C’est totalement inacceptable. C’est un manque de jugement total », a-t-il tonné en français et en anglais pour s’assurer que le message se rende « à l’autre bout de l’autoroute 401 ». Mais le premier ministre québécois se retrouve dans une position difficile : l’Ontario ne fait qu’accueillir des réfugiés professionnels créés par les propres politiques de Québec.

Des amendes qui font grincer des dents

Ce qui hérisse véritablement les médecins dans cette réforme, ce sont les sanctions draconiennes. La loi interdit les « actions concertées », menaçant les médecins d’amendes allant jusqu’à 20 000 $ par jour d’infraction pour un individu, et jusqu’à 500 000 $ par jour pour un groupement. Ces amendes sont doublées en cas de récidive. La loi va plus loin : elle interdit même aux médecins de « ralentir » ou de « se désengager », avec un système de surveillance pour contrôler leur cadence de travail.

« C’est le gouvernement qui va dire aux médecins : vous allez travailler tant de jours, tant d’heures, de telle façon. C’est une prison », a dénoncé le Dr Vincent Oliva de la Fédération des médecins spécialistes du Québec. Le texte confère aussi au ministre le pouvoir de retirer des années d’exercice du dossier d’un médecin, à raison d’un semestre par jour de participation à une action concertée. Les fédérations médicales parlent ouvertement d’une « prison soviétique ».

Une réforme adoptée au bâillon à 4h du matin

Adoptée sous bâillon à 4h du matin samedi dernier, la loi 2 constitue le huitième bâillon du gouvernement Legault depuis 2018. Le projet de loi de 120 pages a été voté par 63 voix contre 27, tous les députés de l’opposition s’étant prononcés contre. Le ministre de la Santé Christian Dubé justifie cette réforme drastique par l’urgence d’agir, estimant que le statu quo ne répond plus aux besoins des Québécois.

La réforme remplace le paiement à l’acte par un système de capitation où les médecins reçoivent un montant forfaitaire par patient, ajusté selon le niveau de vulnérabilité. Un mécanisme lie également 15 % de la rémunération à des indicateurs de performance collectifs : les omnipraticiens devront fournir 17,5 millions de rendez-vous par année, tandis que les spécialistes devront réaliser au moins 97 % des chirurgies dans un délai maximal de 12 mois. Olivier Jacques, professeur à l’Université de Montréal, qualifie la loi d’« autoritaire » : « Obliger les gens à mettre en œuvre des changements n’est pas nécessairement la meilleure façon de les mettre en œuvre ».

Legault perd un allié de longue date

François Legault n’a pas caché son émotion en évoquant le départ de son ami et ancien voisin. « Je le connais depuis longtemps et je connais sa famille. Je comprends le déchirement qu’il vit actuellement avec sa famille. Et dans la vie il faut toujours choisir d’abord sa famille. C’est ce que fait Lionel aujourd’hui », a déclaré le premier ministre.​

Legault a rappelé avoir recruté Carmant lors de parties de hockey, insistant régulièrement auprès de son voisin : « Pis, y as-tu pensé? ». « Il faut être courageux pour accepter de venir en politique », a-t-il souligné, reconnaissant ne pas l’avoir « gâté » en lui confiant le portefeuille des Services sociaux avec ses dossiers sensibles touchant les jeunes vulnérables, la santé mentale et l’itinérance.​

Le départ de Carmant représente un nouveau coup dur pour la CAQ, qui a également perdu cet automne les députées Andrée Laforest et Maïtée Blanchette Vézina, en plus d’expulser Pierre Dufour. Christian Dubé, l’architecte de la loi 2, s’est contenté de demander qu’on lui laisse « digérer la nouvelle », exprimant son « empathie » pour son ex-collègue.

Un homme respecté de tous

Contrairement à bien des démissions politiques, celle de Carmant n’a généré aucun commentaire acrimonieux, même de l’opposition. Le solidaire Vincent Marissal a salué « l’homme, sa droiture, son courage et son esprit de grande collaboration », tandis que le porte-parole libéral en santé André Fortin a décrit un homme « qui fait de la politique pour les bonnes raisons » et « qui était venu offrir son expertise ».

Carmant reste fidèle à ses électeurs de Taillon jusqu’à la fin de son mandat, promettant de continuer à les servir avec « la même passion et le même sens du devoir ». Les fédérations médicales, quant à elles, ont annoncé leur intention de contester la loi 2 devant les tribunaux, et des étudiants en médecine ont même déposé une poursuite contre l’État. Le débat est loin d’être terminé, et la démission de Carmant pourrait n’être que le premier d’une série de soubresauts provoqués par cette réforme explosive.​​

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Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier est journaliste pour PiluleRouge.ca. Passionné de politique depuis plus de dix ans, il s'est impliqué à plusieurs reprises sur la scène provinciale. Entrepreneur en informatique, il allie rigueur journalistique et regard critique sur l’actualité. Son approche analytique et son sens de l’humour apportent une perspective unique aux sujets qu’il couvre.

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