Mardi, Décembre 30, 2025

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La défection de Chris d’Entremont soulève des questions de légitimité démocratique

Six mois après avoir été élu conservateur, le député d’Acadie—Annapolis rejoint un parti qui a perdu dans sa circonscription.

La décision du député Chris d’Entremont de quitter le Parti conservateur pour rejoindre les libéraux de Mark Carney, six mois seulement après avoir été élu sous la bannière conservatrice, soulève des questions fondamentales sur la légitimité démocratique et les véritables motivations derrière cette défection.

Un mandat électoral contesté

Lors de l’élection fédérale du 28 avril 2025, d’Entremont a remporté le siège d’Acadie—Annapolis avec 47,7% des voix, devançant le candidat libéral Ronnie LeBlanc par seulement 533 votes. Le candidat libéral avait obtenu 46,6% des suffrages — ce qui signifie que d’Entremont représente maintenant un parti qui a été défait dans sa propre circonscription il y a à peine six mois.

« En fin de compte, je pense vraiment que c’était une manœuvre très égoïste de la part de notre député, et je suis déçu, » a déclaré Brian Hurdle, qui a travaillé sur toutes les campagnes fédérales de d’Entremont, dans une entrevue à Global News.

Rob Batherson, ancien président du Parti conservateur fédéral, a qualifié la défection de « pire trahison personnelle que j’ai jamais vécue en 30 ans de politique, » selon le National Post.

La question de la pension parlementaire

La chronologie entourant la pension de d’Entremont soulève des questions sur le timing de ses décisions politiques.

D’Entremont a été élu député fédéral pour la première fois en octobre 2019. Les députés canadiens deviennent éligibles à une pension après six ans de service parlementaire. Au moment de l’élection d’avril 2025, d’Entremont avait complété environ cinq ans et demi de service fédéral — il lui manquait donc environ six mois pour qualifier sa pension.

Sans se représenter en avril 2025, d’Entremont n’aurait pas atteint le seuil de six ans nécessaire pour bénéficier de la pension parlementaire. Sa réélection en avril lui a permis de continuer à siéger jusqu’en octobre 2025, moment où sa pension s’est finalement qualifiée, selon les données de la Bibliothèque du Parlement.

Sa défection vers les libéraux est survenue le 4 novembre 2025 — à peine quelques semaines après avoir sécurisé sa pension en octobre.

Selon le chroniqueur Brian Lilley du Toronto Sun, d’Entremont avait « parlé ouvertement avant la dernière élection de vouloir servir un mandat de plus pour sécuriser sa pension » et de « servir comme président pendant ce mandat pour bonifier sa pension avec le salaire plus élevé. »

Rick Perkins, ancien député conservateur, a révélé que d’Entremont lui avait confié avant l’élection: « Si une élection a lieu maintenant, je vais perdre mon siège. Je pourrais aussi bien ne pas me présenter. » Cette déclaration soulève une question troublante: si d’Entremont savait qu’il risquait de perdre, pourquoi s’est-il tout de même représenté sous la bannière conservatrice en avril 2025, pour ensuite traverser vers les libéraux à peine six mois plus tard, juste après avoir sécurisé sa pension?

Le poste de président de la Chambre rapporte 309 700 $ par année, comparé au salaire d’un député de 209 800 $, selon les données officielles de la Chambre des communes.

L’option indépendante rejetée

Interrogé sur les raisons pour lesquelles il n’a pas choisi de siéger comme indépendant plutôt que de rejoindre le parti qui a perdu dans sa circonscription, d’Entremont a répondu sans ambages à SaltWire: en siégeant comme indépendant, on est « incapable de faire quoi que ce soit du tout. »

Cette justification soulève des questions. Le timing de sa défection — survenue le jour même du dépôt du budget fédéral — a permis au gouvernement libéral minoritaire de se rapprocher de la majorité parlementaire. Le gouvernement a par la suite remporté les votes de confiance cruciaux sur le budget les 5 et 6 novembre 2025, sécurisant ainsi sa position jusqu’aux prochaines élections.

Le refus de d’Entremont de siéger comme indépendant suggère-t-il qu’il espère obtenir un poste plus prestigieux au sein du gouvernement libéral? Des discussions en coulisses auraient-elles pu avoir lieu avant sa défection, discussions qui ne pourraient être concrétisées qu’une fois les votes de confiance sur le budget assurés?

Bien que le premier ministre Mark Carney ait nié avoir promis un poste de ministre à d’Entremont, cette négation laisse ouverte la possibilité d’autres types d’arrangements. Un poste au Cabinet rapporterait à d’Entremont un salaire additionnel de 98 300 $ en plus de son salaire de député, tandis que d’autres postes comme président ou vice-président de comités parlementaires viennent également avec des allocations supplémentaires.

La ministre Mélanie Joly a révélé avoir passé cinq ans à tenter de recruter d’Entremont, ce qui suggère que des conversations de longue date ont eu lieu entre le député et les libéraux.

Malcolm F. Brown de Dartmouth a écrit dans une lettre publiée par SaltWire: « L’attitude éthique serait qu’il siège comme indépendant. S’il a vraiment eu un éveil politique, alors il aurait dû démissionner, ce qui aurait déclenché une élection. Il pourrait alors se présenter sous la bannière libérale et laisser les électeurs de sa circonscription décider quel parti politique ils veulent qui les représente. »

D’Entremont n’a pas répondu aux demandes de commentaires concernant d’éventuelles discussions avec les libéraux avant sa défection ou sur ses ambitions de carrière au sein du gouvernement.

Une contradiction majeure sur l’avortement

La défection de d’Entremont soulève également de sérieuses questions sur ses convictions concernant l’avortement.

En juin 2021, d’Entremont a voté en faveur du projet de loi C-233, qui visait à interdire les avortements sélectifs basés sur le sexe du fœtus, une mesure présentée par ses partisans comme une question de droits de la personne et de lutte contre la discrimination basée sur le sexe, selon les registres officiels de la Chambre des communes. Issu d’une famille acadienne historique où la foi catholique a traditionnellement joué un rôle important, d’Entremont n’a jamais répondu publiquement aux questionnaires de groupes pro-vie lui demandant ses convictions personnelles sur l’avortement.

Or, depuis 2014, tous les députés libéraux sont tenus de voter pro-choix sur toutes les questions liées à l’avortement, selon une directive de l’ancien premier ministre Justin Trudeau maintenue par Mark Carney. Le premier ministre Carney a déclaré soutenir « sans réserve » le droit à l’avortement lors de la campagne électorale de 2025. Cette exigence stricte du caucus libéral s’applique maintenant à d’Entremont.

D’Entremont n’a pas répondu aux demandes de commentaires sur la façon dont il concilie son vote passé et ses convictions personnelles avec les exigences strictes du caucus libéral sur l’avortement.

Allégations sur le processus de sélection interne

Le député conservateur Marc Dalton a publié sur les réseaux sociaux que d’Entremont aurait été contrarié de ne pas avoir été « nommé » au poste qu’il convoitait en 2025. « D’Entremont n’a jamais voulu qu’un vote ait lieu. Il voulait être nommé. Quand cela ne s’est pas produit et qu’il a perdu lors d’un vote libre contre Tom Kmiec, il était très contrarié et l’a fait savoir, » a écrit Dalton sur X.

D’Entremont avait été vice-président de la Chambre de novembre 2021 à mai 2025. Selon Brian Lilley, après avoir perdu l’appui du caucus conservateur pour un poste de direction en 2025, d’Entremont aurait dit qu’il devait « rentrer à la maison pour retirer les couteaux de son dos. »

En septembre 2023, d’Entremont s’était également présenté pour le poste de président de la Chambre après la démission d’Anthony Rota. Selon Lilley, d’Entremont avait convaincu le chef Pierre Poilievre de soutenir sa candidature et le bureau du chef de l’opposition avait mobilisé ses ressources pour l’appuyer. Malgré cet appui, d’Entremont a perdu contre le libéral Greg Fergus. « Je lui ai demandé sa feuille d’appel des personnes qu’il avait contactées qui disaient qu’elles le soutiendraient. Il n’y en avait pas, il n’avait pas fait d’appels ni pris note de qui le soutiendrait, » a rapporté un ancien membre du personnel cité par Lilley.

Une réception glaciale dans la circonscription

Le 11 novembre 2025, d’Entremont a été hué par plusieurs personnes pendant qu’il déposait une couronne lors de la cérémonie du jour du Souvenir à Annapolis Royal, selon des médias locaux dont SaltWire et CJLS.

Angela Amero, présidente de la succursale 21 de la Légion royale canadienne, a publié une déclaration condamnant ceux qui ont hué, mais l’incident illustre la profondeur du sentiment de trahison ressenti par certains électeurs.

D’Entremont a déclaré que l’incident l’avait bouleversé: « Ça me fait me sentir mal d’avoir été là et d’avoir en quelque sorte attiré ça (au service) devant les membres de la légion. » Suite à sa défection, d’Entremont a également reçu des menaces en ligne suffisamment graves pour que la GRC de la Nouvelle-Écosse ouvre une enquête.

Appel à une enquête éthique

Democracy Watch, un organisme non partisan de surveillance démocratique, a demandé au commissaire à l’éthique du Canada d’enquêter pour déterminer si d’Entremont a violé le code de conduite des députés.

« Traverser le parquet est une violation fondamentale du droit des électeurs de faire un choix éclairé lors du vote, » a déclaré Duff Conacher, cofondateur de Democracy Watch, dans un communiqué.

Plusieurs commentateurs politiques, incluant le stratège Warren Kinsella, ont appelé à ce que les traversées du parquet déclenchent automatiquement des élections partielles. « Si vous traversez le parquet, à mon avis, vous devriez également soumettre à nouveau votre candidature au peuple, afin qu’il puisse décider s’il approuve ou non, » a écrit Kinsella dans un article d’opinion publié par Yahoo News Canada.

Un parti qui n’a pas changé

Le Parti conservateur n’a pas changé ses positions sur les enjeux majeurs depuis l’élection d’avril 2025. Le chef Pierre Poilievre a réitéré en juin 2024 que « un gouvernement conservateur ne soutiendra aucune législation pour réglementer l’avortement, » conformément à la politique officielle du parti adoptée en septembre 2023.

D’Entremont n’a pas répondu aux questions sur ce qui a changé dans le Parti conservateur depuis l’élection qui justifierait sa défection, ni aux demandes de commentaires sur le timing de sa défection et sa relation avec l’obtention de sa pension parlementaire.

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Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier est journaliste pour PiluleRouge.ca. Passionné de politique depuis plus de dix ans, il s'est impliqué à plusieurs reprises sur la scène provinciale. Entrepreneur en informatique, il allie rigueur journalistique et regard critique sur l’actualité. Son approche analytique et son sens de l’humour apportent une perspective unique aux sujets qu’il couvre.

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