Alors que le gouvernement fédéral tente de lancer la phase nationale de son programme de rachat d’armes à feu, une facture estimée à plus de 750 millions de dollars, cette initiative cristallise une contestation inédite, autant parmi les forces de l’ordre que chez les propriétaires d’armes. D’un côté, de nombreux corps policiers refusent d’appliquer une mesure qu’ils jugent inefficace, invoquant le manque de ressources et l’absence de lien direct avec la criminalité réelle. De l’autre, des experts techniques et acteurs de terrain dénoncent une législation où les critères de bannissement semblent davantage reposer sur l’apparence visuelle des armes modernisées que sur leurs véritables caractéristiques balistiques. Résultat : la politique actuelle risque de priver les utilisateurs les plus vulnérables — notamment les personnes de faible gabarit — d’outils adaptés, soulevant ainsi d’importants enjeux d’ergonomie, de sécurité et d’inclusivité dans la réglementation canadienne.
Le programme de rachat : Des promesses aux résultats cachés
Le gouvernement fédéral a lancé un programme de rachat d’armes de style « assaut » suite à l’interdiction de mai 2020. La phase commerciale, qui s’est déroulée jusqu’en avril 2025, a collecté environ 12 000 armes à feu auprès des entreprises pour un coût dépassant 22 millions de dollars.
Désormais, le gouvernement tente de déployer la phase destinée aux propriétaires individuels. Avant un lancement national prévu avant la fin de 2025, un projet pilote a été lancé à Cape Breton, en Nouvelle-Écosse, en octobre 2025. Les résultats révèlent non seulement l’indifférence du public, mais aussi un manque de transparence troublant.
Le test pilote : Résultats secrets et chiffres flous
Le projet pilote visait à collecter environ 200 armes à feu auprès des propriétaires locaux. Au lieu de cela, seulement entre 10 et 22 armes ont été remises, soit un taux de participation oscillant entre 5 % et 11 % de l’objectif initial. Les chiffres exacts restent flous, le chef de police de Cape Breton ayant signé un accord avec le gouvernement fédéral l’interdisant de commenter publiquement les résultats du pilote.
Cette censure informelle soulève des questions : pourquoi le gouvernement refuse-t-il de divulguer les résultats précis d’une initiative financée par les contribuables ? Les chiffres sont-ils tellement décevants qu’ils justifient le secret ?
De plus, même l’origine exacte de ces armes reste obscure. Des sources locales suggèrent que certaines pourraient provenir de l’extérieur de la région immédiate de Cape Breton, ce qui compromettrait davantage la validité du pilote censé tester la participation locale.
Obstacles opérationnels et retards chroniques
Le programme a également fait face à des défis majeurs avant même le lancement du pilote. Canada Post a refusé d’aider à la collecte des armes. L’amnistie pour les propriétaires qui n’avaient pas déclaré leurs armes a dû être prolongée à plusieurs reprises, étant actuellement valable jusqu’en octobre 2026 — un délai qui suggère une participation bien inférieure aux attentes.
Budget massif pour résultats mineurs
Le gouvernement a plafonné le budget du programme de rachat national à 742 millions de dollars. Des analyses parlementaires suggèrent que le seul rachat des armes pourrait coûter jusqu’à 756 millions de dollars — avant même de compter les frais administratifs, les salaires des agents de compensation et la destruction des armes.
Malgré cet investissement massif, les résultats du pilote de Cape Breton jettent un doute sérieux sur l’efficacité du programme national. Et surtout, aucune preuve n’a été fournie que ce programme réduira la criminalité liée aux armes à feu au Canada.
La police refuse de jouer le jeu
Le message envoyé par les forces de l’ordre est sans précédent dans l’histoire canadienne récente : « Non ».
La Police provinciale de l’Ontario (OPP), la plus grande force provinciale du pays, a confirmé qu’elle ne détournerait pas ses ressources pour confisquer des armes à des propriétaires légitimes. Elle est rejointe par la Fédération nationale de la police (représentant 20 000 membres de la GRC) et l’Association de police de Toronto.
Clayton Campbell, président de l’Association de police de Toronto, résume le sentiment général des policiers de terrain : « Je ne connais aucun cas où une arme à feu détenue légalement aurait été utilisée dans un crime à Toronto. Les armes utilisées dans les crimes sont toutes illégales et détenues par des gangs et le crime organisé. (I cannot think of a single instance where a legally-owned firearm has been used in a crime in Toronto. The guns used in crime are all illegal firearms in the hands of gangs and organized crime.) »
Le malaise est tel que même le ministre de la Sécurité publique, Gary Anandasangaree, a admis en privé dans un enregistrement ayant fuité en septembre dernier que la police « manque de ressources » pour cette tâche. Plus révélateur encore, le ministre a laissé entendre que la raison pour laquelle le premier ministre Mark Carney maintient la politique est largement électoraliste : « Le Québec est dans une situation différente des autres parties du Canada… C’est quelque chose qui est vraiment, vraiment, vraiment important pour beaucoup d’électeurs du Québec qui ont voté pour nous. » Les commentaires du ministre suggèrent ainsi que le programme répond davantage aux préoccupations électorales qu’à une stratégie cohérente de sécurité publique.
Le mythe de « l’arme d’assaut »
Au cœur du problème réside une confusion sémantique volontaire. Le terme « arme d’assaut » désigne militairement une arme capable de tir automatique (rafale). Or, ces armes sont prohibées au Canada depuis 1977.
Les armes visées par le rachat actuel sont semi-automatiques (un tir par pression). Le critère de bannissement n’est ni la cadence de tir, ni la puissance, mais exclusivement l’apparence.
Le gouvernement a banni le Mossberg 715T — une .22 Long Rifle — en la classant comme « variant de l’AR-15 ». Techniquement, c’est une classification erronée majeure.
Le Mossberg 715T utilise un mécanisme d’action simple par friction (une conception classique des années 1960), tandis que l’AR-15 fonctionne selon un système de gaz de culasse directe avec piston court — deux systèmes fondamentalement différents. En d’autres termes : l’intérieur ne se ressemble pas du tout. La RCMP a elle-même admis ultérieurement que le Mossberg « n’avait aucune similitude de conception réelle » avec l’AR-15, sauf de façon purement visuelle.
Pour illustrer l’absurdité : c’est comme si le gouvernement bannissait une bicyclette de montagne parce qu’elle a des pneus crantés et une couleur noire, en prétendant qu’elle fonctionne comme une motocyclette. Ou encore, c’est comme bannir une chaise IKEA noire « tactique » en la classant comme « variante de chaise militaire » simplement parce qu’elle est noire, alors que l’intérieur en bois aggloméré fonctionne exactement comme n’importe quelle autre chaise.
La vraie incohérence? Le Ruger 10/22 et le Savage Model 64 utilisent exactement le même mécanisme d’action simple que le Mossberg — ils tirent la même munition .22 Long Rifle, fonctionnent de façon identique, et offrent les mêmes performances balistiques. Mais ils restent parfaitement légaux parce qu’ils ont une crosse en bois ou une apparence plus « classique ». C’est purement une question de cosmétique.
La RCMP a classé le Mossberg comme « variant de l’AR-15 » en se basant exclusivement sur des critères d’apparence : crosse en polymère ajustable, rails picatinny accessibles, magazine détachable, design ergonomique moderne. Aucun de ces critères n’affecte réellement le mécanisme de tir. Un .22 reste un .22, qu’il soit en bois ou en polymère noir.
Pour l’illustrer autrement : c’est l’équivalent de bannir une Toyota Corolla parce qu’elle a un ensemble de jupes sportives (body kit) noires, tout en laissant légale une Corolla classique grise qui a exactement le même moteur, la même transmission et les mêmes performances.
Le bannissement s’avère être une politique basée uniquement sur le look. Ce qui préoccupe le gouvernement, c’est moins la sécurité publique face aux criminels que l’esthétique d’une arme.
C’est ce que les experts appellent un « délit de faciès » technologique : on interdit l’arme noire parce qu’elle fait peur, tout en ignorant que sa jumelle en bois fonctionne exactement de la même manière.
L’argument oublié : L’ergonomie au service de l’inclusion
Ce que les législateurs qualifient de caractéristiques « de style militaire » sont en réalité des évolutions ergonomiques (le principe du Form Follows Function) qui rendent les armes plus sûres et plus accessibles, notamment pour les femmes et les personnes de petit gabarit.
En diabolisant le polymère et les crosses ajustables, le gouvernement force un retour vers des technologies du siècle dernier, lourdes et inadaptées à la diversité des tireurs modernes.
1. Le poids et la fatigue
Une carabine traditionnelle en bois et acier pèse souvent entre 4 et 5 kg. Pour une femme seule en forêt se protégeant contre la faune, ou pour une personne âgée, ce poids est un handicap. Les armes modernes en polymère (souvent autour de 2,5 kg) réduisent la fatigue musculaire, permettant une réaction plus rapide et précise en cas de charge d’ours, de cougar ou de loups.
2. L’ajustement morphologique
Les crosses télescopiques, souvent citées comme des attributs « tactiques », sont en fait des outils d’inclusion. Une crosse en bois fixe est conçue pour l’homme moyen d’1m80. Pour une femme d’1m60, cette crosse est trop longue, rendant le tir instable et dangereux. L’arme « noire » ajustable permet à l’utilisateur d’adapter l’outil à son corps, et non l’inverse, garantissant un meilleur contrôle.
3. La poignée-pistolet : une question de santé
Loin d’être un accessoire de tueur, la poignée-pistolet offre une position du poignet beaucoup plus naturelle que la crosse droite traditionnelle. Elle permet aux personnes ayant moins de force dans le haut du corps ou souffrant d’arthrite de soutenir l’arme plus près de leur centre de gravité, augmentant la sécurité de la manipulation.
Conclusion
En voulant bannir des objets sur la base de leur apparence, le programme de rachat se heurte à la réalité de l’ingénierie. Il retire de la circulation des outils dont la modernité est un gage de sécurité pour les utilisateurs les plus vulnérables, tout en mobilisant des milliards de dollars et des ressources policières qui, de l’aveu même des chefs de police, devraient être consacrés à la lutte contre la contrebande frontalière et les gangs de rue.
Le Canada se retrouve ainsi dans une impasse : une politique idéologique qui désarme les citoyens respectueux des lois et aliène les policiers, sans pour autant désarmer un seul criminel.

