Comment faire progresser nos idées? Comment atteindre une nouvelle audience qui n’est pas déjà acquise? Comment ne pas se condamner à l’entre-soi?
Voilà des questions que toutes les familles politiques et idéologiques se posent (ou devraient se poser). Dans le cadre de cette réflexion qui m’anime depuis des mois, voire des années, j’ai eu le privilège d’être invité à une semaine de conférences coorganisée par l’Institut économique de Montréal (IEDM) et le Arab Center for Research, pour le compte de la réunion spéciale 2025 de la Société du Mont-Pèlerin, à Marrakech.
Le thème de la conférence : comment atteindre de nouveaux publics pour le libéralisme? La question est plus que pertinente, car, hélas, la liberté régresse un peu partout dans le monde. Plusieurs pays ont dégringolé en termes de liberté de presse et de liberté économique, selon divers indicateurs. Dans 43 pays répartis sur tous les continents, la liberté de presse est en recul, une première depuis 50 ans. L’indice de liberté économique de la Heritage Foundation n’est guère plus reluisant : dans les deux plus grandes puissances mondiales, la Chine et les États-Unis, la liberté économique est en déclin.
La liberté est attaquée de part et d’autre du spectre politique : à gauche, par de nouvelles émulations du socialisme, et à droite, par un retour du protectionnisme économique qui exalte les tarifs comme le nouveau Saint-Graal. D’un autre côté, les dérives autoritaires de sociétés de plus en plus surveillantes et contrôlantes, notamment depuis la crise du COVID-19, ont amené toute une nouvelle génération de sympathisants aux idées libérales, voire carrément libertariennes. La prise de conscience que l’État peut être un prédateur de libertés fondamentales fut une sorte d’épiphanie pour plusieurs personnes qui, jusque-là, ne s’étaient jamais posé la question de leur attachement à ces dites libertés.
Maintenant, comment faire pour élargir ce bassin de sympathisants libéraux?
Il ne m’est malheureusement pas possible de rendre compte ici de tout ce qui fut discuté lors de ces conférences. Je me contenterai simplement d’aborder une avenue qui me semble fondamentale : pour agrandir la grande famille libérale, il faudra investir la culture.
Je ne parle pas ici de simplement mener une « guerre culturelle » au sens où l’entendent certains influenceurs conservateurs — en ciblant explicitement les dérives du « progressisme » —, mais de convaincre par le pouvoir de la création artistique.
Malheureusement, les ennemis de la société libre ont pris beaucoup de place dans l’édition, le cinéma, la musique, l’humour et, plus largement, dans toutes les sphères de la création. C’est peut-être ce qu’avaient compris à leur époque Ayn Rand et Rose Wilder Lane (et sa mère Laura Ingalls), en diffusant leurs idées par la littérature. Je suis convaincu qu’un groupe comme Rush n’aurait jamais produit l’album 2112 ou des chansons comme Anthem, qui contiennent des références explicites à Ayn Rand, si celle-ci avait publié un long traité théorique plutôt qu’un roman.
Les libéraux et les libertariens excellent dans le domaine des idées, mais ils sont souvent peu convaincants lorsqu’il s’agit de les présenter ou de les faire rayonner. Ce n’est pas sans ironie quand on sait qu’ils défendent le libre marché. Très concrètement, cela signifie qu’il faut davantage de musiciens, de cinéastes et d’écrivains prêts à défendre et à illustrer nos valeurs. Une partie du public reste et restera insensible à la théorie ou aux concepts abstraits, mais elle peut être touchée par la culture.
Ce n’est pas tout. Il existe un dicton anglais qui dit : put your money where your mouth is. Autrement dit, les libéraux, qui sont très efficaces lorsqu’il s’agit de produire et de financer des études économiques, des groupes de réflexion et des fondations, devront sans doute apprendre à investir du temps et de l’argent pour soutenir la création culturelle libérale.
Bien sûr, le combat culturel se fera à armes inégales. Les médias d’État et les organismes subventionnés continueront de promouvoir leur propre vision de la culture, financée par l’argent des contribuables. Les libéraux, eux, n’ont pas accès à ces ressources publiques pour propager leurs idées. Mais s’ils refusaient de laisser le champ libre aux courants illibéraux dans l’espace culturel, leurs idées pourraient progresser.
Peut-être même plus vite qu’on ne le croit.