Mercredi, mars 12, 2025

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Élections annulées, candidats disqualifiés : la démocratie en péril ?

En Europe de l’Est, deux pays font face à des crises politiques majeures. La Géorgie et la Roumanie traversent des turbulences électorales qui soulèvent des questions fondamentales sur l’équilibre entre protection démocratique et censure politique.

La Géorgie : 100 jours de contestation

En Géorgie, les élections parlementaires de novembre dernier ont déclenché une vague de protestations qui se poursuit depuis plus de 100 jours consécutifs. Le parti au pouvoir, Rêve géorgien, dirigé par l’oligarque Bidzina Ivanishvili, a été déclaré vainqueur dans un scrutin que l’opposition et une grande partie de la population considèrent comme manipulé.

Ivanishvili, l’homme le plus riche du pays ayant fait fortune en Russie, a transformé son parti initialement pro-européen en une formation aux tendances illibérales et de plus en plus alignée sur Moscou. Cette évolution va à l’encontre des aspirations d’une majorité de Géorgiens favorables à l’intégration européenne.

Le Parlement européen a d’ailleurs sonné l’alarme en octobre 2024, déclarant que la démocratie géorgienne est en danger et que le recul démocratique actuel en Géorgie met effectivement en suspens l’intégration du pays avec l’UE.

Malgré les contestations, les observateurs internationaux et l’OSCE ont reconnu que, bien que les élections aient été marquées par un terrain de jeu inégal, le cadre juridique était jugé suffisant pour maintenir la crédibilité des résultats.

La Roumanie : Annulation et disqualification

En Roumanie, la situation est encore plus complexe. En décembre 2024, la Cour constitutionnelle a pris une décision sans précédent en annulant l’intégralité de l’élection présidentielle, alors même qu’un second tour était en cours. Cette annulation faisait suite à la victoire surprise au premier tour de Calin Georgescu, un candidat ultranationaliste pro-russe qui avait obtenu 23% des voix alors que les sondages le créditaient de moins de 10%.

Plus récemment, le 9 mars 2025, le bureau électoral central roumain a barré la route à Georgescu pour l’élection présidentielle qui doit être réorganisée en mai, invoquant une décision de justice antérieure et affirmant qu’il ne respectait pas les réglementations électorales.

Cette disqualification a provoqué des manifestations à Bucarest, où des partisans de Georgescu se sont rassemblés devant le bureau électoral en criant « Voleurs! » et « Traîtres! ». Des violences ont éclaté lorsque des manifestants ont jeté des pierres, renversé des voitures et incendié des poubelles, poussant la police antiémeute à utiliser des gaz lacrymogènes.

L’ingérence russe : Réalité ou prétexte?

Batu Kutelia, ancien ambassadeur géorgien aux États-Unis et ancien chef du Service de renseignement étranger de Géorgie, explique que selon le manuel du Kremlin, « la capture de l’État implique l’installation d’oligarques et de gouvernements fantoches alignés sur la Russie pour contrôler les nations par la corruption tout en réprimant la société civile, les médias indépendants et l’opposition politique ».

Les autorités roumaines justifient ces mesures exceptionnelles par des preuves d’ingérence russe. Des documents déclassifiés des services de renseignement roumains affirment que la Russie a lancé une « action hybride » contre la Roumanie par le biais de cyberattaques et de désinformation.

Selon ces rapports, la campagne médiatique de Georgescu aurait été coordonnée par un « acteur étatique » qui aurait payé plus de 100 influenceurs sur TikTok pour promouvoir sa candidature dans les deux semaines précédant l’élection.

Des informations plus détaillées, du Romania’s Supreme Council of National Defense (CSAT) et du Directorate for Investigating Organized Crime and Terrorism (DIICOT), révèlent un réseau de plus de 600 000 bots orchestrant une campagne TikTok pour Georgescu, violant la loi électorale en ne divulguant pas sa nature politique. Plus troublant encore, ces opérations auraient été financées par 50 millions d’euros en cryptomonnaie, acheminés depuis un réseau russe opérant depuis l’Afrique du Sud.

La censure politique : Remède ou poison pour la démocratie?

Ces événements soulèvent une question fondamentale : peut-on défendre la démocratie en censurant des candidats ou des partis politiques?

Des recherches montrent que la censure politique peut avoir des effets néfastes sur la société. Elle limite l’accès à l’information et aux connaissances, entrave la liberté d’expression, empêche les mouvements sociaux et l’activisme, et peut même restreindre la croissance des entreprises et l’innovation.

Plus inquiétant encore, la censure politique peut exacerber la polarisation. Lorsque les idées des gens sont censurées, ils peuvent renforcer leurs croyances actuelles et ressentir plus d’hostilité envers le camp opposé – un phénomène connu sous le nom d' »effet de retour de bâton ».

Des études ont également montré que les partisans d’une cause politique censurent préférentiellement les commentaires qui s’opposent à leur cause, même lorsque ces commentaires sont inoffensifs et courtois.

Si l’on admet que l’ingérence étrangère est un problème, alors il faut être cohérent : elle l’est sous toutes ses formes, peu importe qu’elle vienne de la Russie, de la Chine, des États-Unis ou encore de l’Union européenne. Point de double standard : on ne peut dénoncer l’une tout en tolérant l’autre sous prétexte qu’elle serait plus proche de nos intérêts. Une ingérence reste une ingérence, et ses conséquences, bien réelles, ne devraient pas être relativisées en fonction de leur origine.

Un dilemme démocratique

Le dilemme est réel : comment les démocraties peuvent-elles se protéger contre les ingérences étrangères sans compromettre leurs propres principes?

Certains juristes soutiennent que la « censure unilatérale », c’est-à-dire la suppression d’un seul point de vue politique, est incompatible avec la démocratie car elle porte atteinte à l’engagement démocratique en faveur d’élections libres et équitables.

D’autres, comme la Cour constitutionnelle roumaine, invoquent le concept de « démocratie militante » – des mesures extraordinaires prises pour sauvegarder l’intégrité du système démocratique lui-même.

La Cour a notamment argumenté : « La liberté des électeurs de se forger une opinion comprend le droit d’être correctement informés avant de prendre une décision. La manipulation des technologies numériques et de l’intelligence artificielle pendant la campagne a déformé la volonté de l’électorat et violé le principe d’égalité des chances entre les candidats ».

Pendant ce temps, les tensions transatlantiques s’intensifient. L’administration du président américain Donald Trump a critiqué l’annulation de l’élection roumaine comme un exemple de gouvernements européens étouffant la liberté d’expression et la dissidence politique. Elon Musk, entrepreneur tech et conseiller de Trump, a qualifié la décision de « folle » sur sa plateforme médiatique.

À l’inverse, divers diplomates européens, dont les ambassadeurs d’Allemagne, de France, des Pays-Bas et d’Espagne, ont exprimé leur soutien à l’autonomie du système judiciaire roumain.

Alors que la Géorgie poursuit ses manifestations et que la Roumanie se prépare à une nouvelle élection présidentielle en mai, une chose est claire : la guerre hybride de la Russie contre les démocraties européennes est bien réelle, mais les réponses à cette menace soulèvent autant de questions qu’elles n’apportent de solutions.

Comme le souligne Mitchell Orenstein, expert en politique est-européenne : « L’Occident n’a cessé d’échouer à répondre adéquatement aux tactiques de guerre hybride de la Russie depuis plus d’une décennie. En concentrant toute l’attention sur la guerre cinétique en Ukraine, ils n’ont pas fait assez pour contrer la guerre hybride de la Russie partout ailleurs ».

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Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier
Maxym Perron-Tellier est journaliste pour PiluleRouge.ca. Passionné de politique depuis plus de dix ans, il s'est impliqué à plusieurs reprises sur la scène provinciale. Entrepreneur en informatique, il allie rigueur journalistique et regard critique sur l’actualité. Son approche analytique et son sens de l’humour apportent une perspective unique aux sujets qu’il couvre.

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