Les fusions municipales, ça fait un quart de siècle qu’on vit avec, et je me demande souvent : est-ce qu’on a vraiment gagné au change? À l’époque, on nous vendait ça comme une solution miracle : regrouper les petites municipalités avec les plus grandes pour créer des économies d’échelle, renforcer la vitalité des régions et garantir la survie des services publics. Sur papier, ça avait du sens. Mais dans la vraie vie, qu’est-ce que ça a donné? Parce que, soyons honnêtes, entre les promesses et la réalité, il y a souvent un fossé. Alors, succès ou fiasco? Ça dépend où on regarde, mais deux choses me sautent aux yeux : le manque de compétition entre les municipalités qui s’est installé depuis, et cette uniformisation des approches qui étouffe souvent les particularités locales, même si, techniquement, les municipalités ne sont pas toutes soumises aux mêmes lois. Et pourtant, je me suis mis à penser à ces fameuses « guerres de clochers » — ces rivalités entre villages ou quartiers voisins qu’on a tant pointées du doigt. Et si elles avaient aussi du bon? Allons-y, déballons ça.
Des fusions qui marchent… parfois
Je ne vais pas tout jeter aux poubelles. Certaines fusions ont porté leurs fruits. Prenez Deschambault-Grondines, dans Portneuf, par exemple. Là, ça semble avoir fonctionné. Grondines, ce petit village charmant, risquait de dépérir doucement, comme tant d’autres coins ruraux laissés à eux-mêmes. En se fusionnant avec Deschambault, plus grande et mieux équipée, Grondines a gagné un accès à des services qu’elle n’aurait jamais pu se payer seule — des routes entretenues, une gestion des déchets, des infrastructures de base. Et pourtant, les gens de Grondines ne se sont pas perdus dans le mélange. Ils disent encore « je viens de Grondines », pas juste « de Deschambault-Grondines ». Pourquoi? Parce que la fusion n’a pas tout écrasé sous un rouleau compresseur. Les habitants ont continué à faire vivre leur coin, à garder leur identité. Mais soyons clairs : ce n’est pas juste la fusion qui a sauvé Grondines. C’est aussi la volonté des gens sur place. Sans ça, aucune loi ou regroupement ne peut faire des miracles.
Mais pour chaque Deschambault-Grondines, il y a des cas qui grincent. Regardez Montréal ou Québec. Là, c’est une autre histoire. À Montréal, on a vu des villes comme Westmount ou Anjou se faire avaler dans la mégapole en 2002, avec l’idée qu’une grande ville unifiée serait plus efficace. Résultat? Une gestion chaotique, des dettes mélangées dans un gros sac à surprises, et des services qui, au lieu de s’améliorer, ont souvent pris une claque. À Québec, même topo : les fusions ont centralisé les décisions, éloignant les citoyens des choix qui les touchent. Les petites municipalités absorbées, comme Loretteville ou Sillery, ont perdu leur voix, et la qualité des services n’a pas suivi. Alors, économies d’échelle? Peut-être sur certains tableaux comptables, mais dans le quotidien du citoyen, c’est loin d’être évident… Puisqu’après tout, il faut s’interroger en tant que contribuable : préfère-t-on payer un peu plus de taxe municipale puisqu’il y a plus de dédoublement de services et avoir des rues déneigées ainsi que des nids de poule réparés dans la journée ou avoir des nids d’autruche dans la chaussée et des taxes un peu plus basse?
Et c’est sans parler de ce que les gouvernements font pour nuire à eux-mêmes. Par exemple, l’un des secteurs connaissant sans cesse des augmentations de coûts est le déneigement. Dans la plupart des cas, le frais le plus élevé que les déneigeurs doivent assumer est celui du carburant. Imaginez le gain qu’on pourrait avoir sur nos comptes de taxes si le gouvernement donnait la même exemption aux déneigeurs qu’aux agriculteurs en ce qui a trait à la taxe sur le carburant. Après tout, dans un pays nordique comme le Canada, le déneigement me semble un service essentiel.
Quand les guerres de clochers dynamisaient les municipalités
Parlons maintenant de ces « guerres de clochers ». Avant les fusions, chaque municipalité devait se battre pour attirer des résidents, des commerces, des familles. Si une ville offrait de meilleurs services — des parcs bien tenus, des taxes raisonnables, une bibliothèque ouverte le dimanche —, elle gagnait des points. Les gens votaient avec leurs pieds, comme on dit. Ça forçait les élus à se creuser la tête, à innover, à écouter leurs citoyens pour ne pas se faire dépasser par le voisin. Ces rivalités locales, souvent caricaturées comme mesquines ou ridicules, avaient un côté positif : elles stimulaient une compétition saine. Chaque municipalité voulait être la meilleure, ou du moins, ne pas être la pire. Et ça, ça profitait aux citoyens.
Avec les fusions, cette dynamique a disparu. Dans une grande ville comme Québec ou Montréal, pourquoi un arrondissement se démènerait-il pour être meilleur que celui d’à côté? Tout est décidé au centre, dans les bureaux de l’hôtel de ville. Les budgets sont uniformisés, les priorités aussi. Si Charlesbourg (à Québec) ou Saint-Léonard (à Montréal) veut un projet — disons, un marché public ou une piste cyclable —, bonne chance pour convaincre la machine centrale si ça ne cadre pas dans le plan uniformisé de développement urbain (lire ici une de mes expressions fétiches : Le fantasme urbanistique des planificateurs centraux municipaux). La compétition, qui poussait jadis les municipalités à se surpasser, a été remplacée par une grosse structure où tout le monde rame dans la même direction… ou stagne ensemble. Peut-être que ces « guerres de clochers » avaient du bon, après tout : elles gardaient les municipalités sur le qui-vive, prêtes à innover pour ne pas perdre la face.
L’uniformisation : un carcan qui étouffe, même avec des lois différentes
Les fusions municipales, c’est une chose, mais elles s’inscrivent dans un cadre réglementaire plus large dicté par Québec. Au Québec, toutes les municipalités ne sont pas logées à la même enseigne : les plus grandes, à l’exception de Québec et Montréal qui ont des statuts particuliers, sont régies par la Loi sur les cités et villes, qui leur donne des pouvoirs plus larges, tandis que les plus petites, souvent rurales, relèvent du Code municipal, un cadre plus simple et restrictif. En théorie, cette distinction devrait permettre à chaque municipalité d’adapter ses décisions à sa réalité. Mais dans la pratique, ça ne change pas grand-chose. Pourquoi? Parce que même les villes sous la Loi sur les cités et villes doivent se plier à des normes provinciales strictes dans des domaines comme la gestion des infrastructures ou la sécurité publique, tout comme leurs voisines sous le Code municipal. Impossible de sortir du cadre fourni par papa provincial.
Prenons l’exemple des routes : qu’une municipalité soit un petit village du Bas-Saint-Laurent sous le Code municipal ou une ville comme Gatineau sous la Loi sur les cités et villes, elle doit respecter les standards du ministère des Transports pour réparer une rue. Une solution locale et économique, comme une route en gravier pour un coin rural, devient impossible si les normes exigent du pavage. Résultat? Malgré des lois différentes, les normes imposées par Québec uniformisent les pratiques et limitent l’autonomie des municipalités, qu’elles soient grandes ou petites. Les fusions n’ont fait qu’amplifier ce carcan en centralisant encore plus les décisions.
Et les citoyens dans tout ça?
Ce qui me préoccupe aussi, c’est l’impact sur les citoyens. Avec le manque de compétition et cette uniformisation, on dirait que le lien entre les gens et leurs élus s’est effrité. Avant les fusions, dans une petite municipalité, tu savais à qui parler si quelque chose clochait. Le maire était à deux pas. Aujourd’hui, dans une grande ville fusionnée, bonne chance pour faire entendre ta voix. Les décisions se prennent loin, dans des comités où les arrondissements ont peu de poids. Et comme tout est standardisé, les solutions locales, celles qui collent vraiment aux réalités du terrain, passent à la trappe. Et peu à peu, on se retrouve dans une république du statu quo et du consensus. Bien que j’apprécie que les politiciens restent dans un cadre restreint, j’apprécie toute fois qu’ils soient réactifs quand ils sont réellement en mesure d’aider les citoyens.
Comment s’en sortir? Promouvoir et favoriser les solutions locales
Il y a cependant des façons d’obtenir les gains d’une fusion tout en gardant l’agilité et l’autonomie des petites municipalités. Je prends encore une fois en exemple mon patelin. Depuis le nouveau schéma de couverture de protection incendie, les appels d’entraide entre caserne de pompier sont beaucoup plus fréquents. Ça mange quoi en hiver? Quand un appel d’urgence est effectué par la centrale et qu’une caserne n’a pas assez de pompiers volontaires de disponibles pour répondre efficacement, celle-ci doit faire une demande d’entraide. Cette pratique augmente la couverture et diminue les risques, mais ça augmente aussi les tâches administratives. Il y avait un projet qui était en réflexion de créer une régie intermunicipale de protection incendie entre 3 villages afin de réduire les appels d’entraide. C’est une forme de partenariat où les 3 services incendies sont traités comme s’ils n’étaient qu’une seule entité.
Le projet n’est toujours pas complété, mais les 3 villages sont à évaluer la possibilité de bâtir une caserne centrale aux trois territoires. Le coût de construction d’une caserne neuve aux normes actuelles est très élevé et ça représente une part importance de leur budget. En faisant un tel partenariat, les sommes épargnées sont considérables et ce qui fait que ça pourrait fonctionner, c’est la collaboration déjà en place entre ces services qui étaient déjà en place, une fusion forcée par le provincial n’aurait pas fonctionné.
Les guerres de clochers : un mal nécessaire?
Si les rivalités d’antan entre municipalités pouvaient sembler désuètes, elles avaient le mérite de pousser les élus à se surpasser pour leurs citoyens. Les fusions, en éliminant cette dynamique, ont souvent créé des structures lourdes et déconnectées. Peut-être qu’un retour à une saine émulation, combiné à des partenariats volontaires pour certains services, comme pour les services incendie, pourrait raviver la vitalité des régions sans sacrifier les bénéfices d’une collaboration réfléchie.