Depuis des mois, Haïti est sous l’emprise de gangs criminels qui terrorisent la population civile. Ils ont réussi à étendre leur pouvoir dans certaines zones rurales du pays. Roromme Chantal estime que les groupes violents sont contrôlés par les États-Unis. Les Américains veulent maintenir leur influence sur ce pays. C’est pour cela que Washington ne veut pas qu’un mouvement populaire progressiste prenne le pouvoir dans la Perles des Antilles.
Roromme Chantal est professeur au département de science politique de l’Université de Moncton et spécialiste de la question haïtienne.
Entretien
Simon Leduc : Est-ce que la situation s’est encore détériorée en Haïti depuis quelques semaines?
Roromme Chantal : « Le département de l’Artibonite, qui est situé dans le centre du pays, est touché par des actes de violence de la part d’un gang très agressif. Ces derniers peuvent compter sur un arsenal d’armes automatiques pour terroriser et massacrer la population civile. C’est l’équivalent d’une armée. Donc, la terreur ne touche plus seulement la zone urbaine de Port-au-Prince. Elle s’étend maintenant dans les régions rurales du pays. »
Les États-Unis instrumentalisent-ils les gangs afin de contrôler la politique haïtienne?
Roromme Chantal : « J’estime que les gangs sont contrôlés par les États-Unis. Les autorités américaines tirent les ficelles à chaque fois qu’elles veulent faire adopter une politique en Haïti. Les groupes violents sont utilisés contre le pays si ce dernier n’accepte pas la vision américaine.
Par exemple, en 2024, les États-Unis voulaient se débarrasser du premier ministre Ariel Henry, car ce dernier n’adhérait pas à sa politique. Il a quitté le pays et s’est réfugié au Kenya. On a mis en place une force multinationale, approuvée par l’ONU, dirigée par le Kenya afin de tenter de combattre les gangs. En représailles, les mouvements violents ont bloqué l’aéroport international pour empêcher l’atterrissage de l’avion de l’ancien premier ministre. Les Américains ont demandé à M. Henry de ne pas rentrer dans son pays.
Donc, quand les pouvoirs américains désirent faire adopter une mesure, les gangs armés sont très actifs à ce moment-là. »
Quel est l’objectif des États-Unis à long terme en territoire haïtien?
Roromme Chantal : « L’Empire américain contrôle Haïti avec un pouvoir monolithique depuis la première intervention militaire américaine en 1914. Elle a duré de 1914 à 1935. Des soulèvements populaires ont forcé le départ des Américains. Il faut savoir que la mission a commis beaucoup d’exactions contre la population haïtienne. Il y a eu des morts du côté haïtien. Après le départ des soldats américains, c’est l’armée haïtienne a pris le contrôle du pays.
François Duvalier a pris le pouvoir en Haïti à partir de 1957. Après son décès en 1971, son fils, Jean-Claude Duvalier, a repris le flambeau. C’était un régime dictatorial qui est resté au pouvoir avec le soutien des États-Unis jusqu’en 1986. Jean-Claude Duvalier a quitté le pouvoir à cause d’un soulèvement populaire qu’il n’arrivait pas à contrôler. Washington a maintenu les Duvalier au pouvoir malgré le caractère sanguinaire du régime. Celui-ci était un rempart contre la menace communiste qui était présente à Cuba avec le régime de Fidel Castro. On était dans le contexte de la Guerre froide. Les Américains craignaient une montée de cette idéologie en Amérique du Sud et dans les Caraïbes.
Après la Guerre froide, les Américains ont maintenu leur emprise sur la Perle des Antilles.
Aujourd’hui, l’intérêt de ces derniers est surtout économique. L’ancien président Bill Clinton a dit que la misère haïtienne a été causée en partie par la politique néolibérale américaine des années 80. La grande puissance mondiale a encouragé la destruction de la politique nationale haïtienne pour faire d’Haïti un marché économique pour elle.
Les autorités américaines ont anéanti l’industrie bovine et la production de riz en Haïti afin de pouvoir inonder le pays de ses produits. Le Venezuela de Hugo Chavez a proposé d’exporter du pétrole au territoire haïtien à un prix modique. L’État haïtien aurait pu utiliser cet argent pour financer des programmes sociaux au bénéfice de la population. Évidemment, les Américains se sont opposés au projet vénézuélien, car cela aurait empêché les entrepreneurs américains d’écouler leur pétrole en sol haïtien. La proposition avec son voisin a permis à l’État haïtien de disposer de plus de quatre milliards de dollars dans le trésor public. Cet argent a été détourné par Michel Martelly qui fut placé au pouvoir par Hillary et Bill Clinton lorsque le président Obama était au pouvoir.
D’autre part, les États-Unis ont un intérêt stratégique dans ce pays pauvre des Caraïbes. Ces derniers ont toujours convoité des zones géographiques haïtiennes, comme le Môle Saint-Nicolas, qui sont des voies stratégiques pour contrôler la navigation maritime. De plus, l’État haïtien disposerait dans son sol de ressources extrêmement importantes comme du pétrole et de l’or. Washington ne voulait pas que le gouvernement haïtien mette en place des projets d’exploration de son sol en partenariat avec des firmes étrangères. Les États-Unis veulent contrôler les ressources haïtiennes en maintenant au pouvoir des politiciens qui sont très malléables. C’est comme cela que les Américains expriment leur influence sur la Perle des Antilles depuis plus d’un siècle.
Pour conclure, les États-Unis ne veulent pas qu’un mouvement populaire progressiste prenne le pouvoir en Haïti afin de ne pas perdre leur mainmise sur ce pays. En conséquence, les gangs armés vont continuer leur règne de terreur sur la société civile, et ce, dans l’indifférence totale de la Communauté internationale. L’avenir de ce pays est sombre. »
