Jaser de conscription autour du poêle à bois !

Renaud Brossard | Vice-président aux Communications à l’IEDM, un think-tank ayant des bureaux à Montréal, Ottawa et Calgary.

Rappel : Le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé, affirme que le gouvernement va obliger les nouveaux médecins à pratiquer dans le secteur public pour une période de 5 ans, faute de quoi ces derniers s’exposeront à des amendes salées


La scène semblait pittoresque.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, était assis dans sa cabane à sucre, avec une vingtaine de ses plus proches attachés politiques. Mais l’heure n’est pas aux réjouissances. Ils ont une crise majeure à régler.

Comme un conseiller politique l’explique à ce cercle restreint, un peu plus de trois pour cent des médecins québécois pratiquent la médecine à leur compte, au lieu de la pratiquer pour le compte du ministère.

Ils traitent des Québécois et Québécoises, mais les actes médicaux qu’ils réalisent sont rémunérés directement par le patient, sans que le formulaire rose soit envoyé en triplicata avant d’être traité par la vaillante armée de fonctionnaires de l’État.

Le ministre est dans tous ses états. « Wow… », laisse-t-il tomber, ébahi.

Les autres conseillers s’activent. Ils proposent une panoplie de scénarios afin de sévir contre ces médecins qui ont choisi l’autonomie dans leur pratique.

Une première idée fuse : « On pourrait les réglementer! », s’exclame l’un d’eux. « En limitant les tarifs facturés par leur pratique, on pourrait les forcer à revenir au public. »

Après tout, une pratique au privé est plus risquée financièrement et nécessite de payer de sa poche pour le personnel de soutien, comme le personnel administratif. Et contrairement au public, il n’y a pas une file interminable de patients qui attendent de recevoir des services de santé, sans jamais les obtenir à temps.

Une autre voix s’élève pour demander à qui parmi les centaines de cadres intermédiaires du ministère pourrait être attribuée la responsabilité d’une opération aussi délicate.

Silence.

Le ministre se lève et met une nouvelle buche dans le poêle à bois.

D’autres idées fusent et les heures passent.

« On pourrait leur demander un engagement ferme à travailler pour l’État, dès le début de leurs études! », propose l’un.

« On pourrait leur donner une amende salée s’ils décident de traiter des patients sans passer par nous! », suggère l’autre.

« On pourrait essayer de comprendre pourquoi ils quittent le public, et s’attaquer aux causes de ces départs! », lance naïvement le petit nouveau.

Tous s’esclaffent. On lui explique que réduire la paperasse administrative, leur donner plus de temps en salle d’opération ou encore leur permettre d’avoir une qualité de vie intéressante ne fait pas partie de la philosophie de la boîte.

« C’est plus simple de faire comme avec les infirmières et les contraindre à travailler pour nous ou à changer d’emploi », explique le doyen parmi eux.

Tous se taisent.

La solution était-elle devant eux tout ce temps?

L’un d’eux prend la parole et dit : « Croyez-vous qu’on pourrait mobiliser toute la force de l’État pour mettre les médecins à notre service pendant quelques années et leur imposer une forme de conscription? »

Un autre renchérit : « On pourrait l’imposer aux nouveaux diplômés, sous peine de devoir payer des amendes tellement élevées que même leurs arrière-petits-enfants seraient encore en arrérages. »

Le ministre se lève, satisfait, et dit à ses comparses : « Chers collègues, je crois que ce que vous proposez ici va changer le Québec. C’est une solution ambitieuse et je crois que c’est la bonne. »

Tous célèbrent.

Le ministre s’éclipse, et s’en va songeur sur le balcon de sa cabane à sucre.

« J’ai vraiment une bonne équipe! », se dit-il. « On ne va peut-être pas traiter plus de Québécois et Québécoises, mais ceux qu’on va traiter vont l’être grâce à mon ministère, et ce, après avoir patienté suffisamment longtemps sur les interminables listes d’attente qui le caractérisent. »

Peut-être qu’en fin de compte, tout ce qu’il manquait pour rétablir l’accès à la santé au Québec, c’était de s’enfoncer encore plus dans le modèle du « tout-à-l’État ». Cela allait donner un autre bon projet de loi, s’ajoutant à la longue liste de réformes proposant toujours plus de gouvernements, de règlements et de structures en santé.

À la table du conseil des ministres, il paraîtrait comme un vrai réformateur.

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