Mercredi, octobre 15, 2025

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La nation Diogène : autopsie d’un Québec enseveli sous son passé

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Une société qui vieillit tend à s’enliser dans ses habitudes. Le Québec de 2025 illustre tristement ce principe : c’est un vieil individu attaché à chaque bibelot du passé, une grand-mère qui refuse de jeter le moindre souvenir de peur d’oublier les jours glorieux. On préfère la routine rassurante à l’inconnu de l’avenir. Cette mentalité de conservation à tout prix transforme peu à peu la province en un grenier saturé de vieilleries institutionnelles et de symboles défraîchis.

Le syndrome de Diogène, observé chez certaines personnes âgées, consiste à accumuler jusqu’à l’insalubrité. Refus d’aide, déni du problème, attachement maladif à tout ce qui fut. On garde les objets, les papiers, les souvenirs, au point de ne plus distinguer la valeur du rebut. Tout y est précieux : les journaux jaunis, les boîtes de conserve, les tickets de métro de 1989. C’est pathétique et attendrissant à la fois ; un refus de mourir travesti en fidélité.

Eh bien, le Québec est atteint du même mal. Il entasse ses vieilles structures, ses programmes d’un autre siècle, ses illusions de Révolution tranquille. Il garde tout, jusqu’au ridicule : un syndicalisme d’État muséifié, une bureaucratie hypertrophiée qu’on vénère comme un patrimoine, des institutions qu’on ne réforme jamais, mais qu’on célèbre dans des colloques financés par elles-mêmes. On ne gouverne plus : on conserve. On ne pense plus : on empile.

Ce culte de la conservation a ses prêtres : chroniqueurs, syndicalistes, ministres et fonctionnaires qui s’érigent en gardiens de la mémoire collective. Ils invoquent sans cesse le « modèle québécois », cette relique qu’on ne doit pas toucher. Pourtant, derrière le vernis social-démocrate, la machine s’essouffle. Les services publics craquent, les jeunes s’exilent, l’innovation stagne. Mais qu’importe : l’essentiel est de ne rien changer. L’audace est devenue suspecte, la réforme une hérésie, la modernité une menace.

La peur du futur alimente cette manie. Le numérique? Une source d’angoisse. L’intelligence artificielle? Une intrusion. La simplification administrative? Une trahison de nos procédures ancestrales. Chaque innovation provoque un débat existentiel. On hésite, on temporise, on crée un comité. Puis on conserve l’ancien système « pour ne pas brusquer ». Dans le fond, la devise implicite du Québec n’est plus « Je me souviens », mais « Je me rassure ».

Les exemples abondent. L’obsession du papier, par exemple, demeure un fétiche collectif. Le livret de banque ou de caisse, ce petit carnet de transactions obsolète, trône encore dans les tiroirs comme un talisman. On le protège, on le réclame, on le tamponne, on le range religieusement, alors qu’un simple relevé numérique suffirait. Il symbolise cette confiance d’un autre âge : le papier ne ment pas. Comme si le progrès technologique portait en lui une menace morale.

La bureaucratie suit le même rituel. Le citoyen québécois continue de faire la file, formulaire imprimé à la main, pendant qu’une plateforme électronique dysfonctionne à moitié. On multiplie les signatures, les cachets, les copies certifiées. On refuse l’automatisation au nom de la « sécurité ». Les applications gouvernementales naissent dans la fanfare et meurent dans la honte. Alors on recommence, en papier. C’est notre cercle de Diogène : empiler les procédures comme on empile les journaux.

Et l’école, ce sanctuaire de la reproduction, n’est pas en reste. L’arrivée de tablettes en classe suscite des levées de boucliers. Les enseignants craignent la distraction, les parents redoutent la déshumanisation. On préfère les manuels imprimés, la craie, le cahier Canada. Au lieu d’encadrer la modernité, on la bannit. Les enfants grandissent dans une société qui leur enseigne que le changement est dangereux, que le confort du connu vaut mieux que la curiosité.

Ce refus du neuf n’est pas seulement technologique ; il est spirituel. Le Québec confond la fidélité avec la peur. Il honore son passé comme un fétiche, sans comprendre qu’un héritage n’a de valeur que s’il est fécond. On célèbre les héros d’autrefois pour ne pas avoir à en produire de nouveaux. On brandit la Révolution tranquille comme une médaille, alors qu’elle devrait être un tremplin. On se félicite d’être différents, mais cette différence sert trop souvent d’excuse à notre stagnation.

Les nations jeunes avancent, trébuchent, recommencent. Le Québec, lui, s’assoit sur ses cartons d’archives. Sa maison est pleine à craquer, et il prétend que c’est du patrimoine. Il vit dans l’odeur de ses souvenirs. Il regarde ses diplômes jaunis en murmurant : « On était bons, hein ? » Il refuse l’aide, il se méfie du dehors, il croit encore que le progrès menace son âme. Pourtant, la poussière s’accumule et l’air se raréfie.

Ce n’est pas un hasard si la jeunesse s’éloigne. Elle étouffe dans cette maison encombrée. On lui parle d’avenir avec les mots du passé. On la félicite d’être prudente, docile, subventionnée. Ceux qui osent bousculer les murs sont traités d’ingrats. On leur dit : « Fais pas trop de vagues ». Et le Québec continue de somnoler, persuadé qu’il est prudent alors qu’il s’éteint.

Le syndrome de Diogène n’a pas de remède miracle. Il faut d’abord reconnaître la maladie. Admettre qu’on garde trop. Qu’on a peur. Qu’on s’enferme dans nos objets, nos symboles, nos vieilles certitudes. Et puis, il faut jeter. Oui, jeter. Se délester du superflu, du déjà-dit, du « on a toujours fait ça comme ça ». Oser le vide pour retrouver le souffle.

Le grand ménage national ne sera pas administratif, mais moral. Il ne consistera pas à remplacer un formulaire par une appli, mais à retrouver le goût du risque. Accepter de ne pas tout contrôler, de laisser le neuf déranger. Un peuple qui ne veut pas se réinventer finit enseveli sous son propre passé.

Il n’est pas trop tard. Mais chaque décennie de prudence nous rapproche du point de non-retour, celui où la poussière devient cendre. Le Québec a le choix : ouvrir les fenêtres, ou étouffer dans son musée. Et si le pire n’était pas de perdre nos souvenirs, mais de perdre notre avenir à force de s’y cramponner ?

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Samuel Rasmussen
Samuel Rasmussen
Samuel Rasmussen, alias Le Blond Modéré, est membre des Trois Afueras et collaborateur du podcast Ian & Frank. Titulaire d'une formation en relations internationales à l'Université de Sherbrooke, il s'intéresse particulièrement à la géopolitique, aux zones d'influence et aux différentes formes de pouvoir.

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